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Les biocarburants : une opportunité pour les terres arides


La dix-septième session de la Commission du développement durable (CDD-17) qui aura lieu du 4 au 15 mai 2009, à New York (États-Unis), est la deuxième du cycle biennal d'application qui aborde tout à la fois l'agriculture, le développement rural, la gestion des terres, la sécheresse, la désertification et l'Afrique. La désertification reçoit-elle toute l'attention qu'elle mérite ? Nous avons joint Luc Gnacadja au sortir de la réunion préparatoire de la CDD-17. Réactions à chaud.

Objectif Terre - La lutte contre la désertification occupe-t-elle une place adéquate dans les négociations ?

Luc Gnacadja - La désertification est un thème à part et a été abordé comme tel. Elle résulte de la dégradation des terres dans les zones arides, semi-arides ou subhumides sèches par suite de divers facteurs, dont les perturbations d'origine humaine et les changements climatiques. La discussion sur ce thème a été très enrichissante. Elle a mis en relief l'envergure du phénomène, mais surtout, on a vu s'y profiler une dynamique nouvelle entre les partenaires, pour la mise en oeuvre de la Convention sur la lutte contre la désertification (CLD). Maintenant que les 193 Parties à la CLD se sont mises d'accord sur une stratégie décennale [lors de la CP-8 de Madrid, septembre 2007], ce qui est important, c'est que tous les partenaires convergent dans la même direction, et c'est justement ce que permet la Commission du développement durable (CDD).

OT - Pourtant, la désertification est souvent perçue comme un problème africain. Les feux de brousse en Australie ou la sécheresse en Chine ont-ils changé cette perception ?

LG - Nous n'avons pas encore changé les perceptions, mais les lignes bougent. Les Africains ont eu le mérite de porter cette convention lors du Sommet de la Terre, à Rio, et cela a généré une sorte de prisme, à savoir que c'est un problème africain, que c'est un problème local. Nous reconnaissons qu'un des facteurs de la désertification est lié à une utilisation non durable des sols, mais nous savons aujourd'hui qu'il y a un second facteur, qui est d'ordre climatique.

À cet effet, une évaluation produite à partir des données satellitaires recueillies entre 1981 et 2003 par le projet d'Évaluation de la dégradation des terres arides (Global Land Degradation Assessment of Drylands) montre que non seulement la dégradation des terres est forte dans les zones vulnérables où, à certains endroits, on a atteint le point de non-retour, mais que les zones aux frontières des zones arides, à savoir les zones humides, subissent, elles aussi, une dégradation accélérée. Dans le bassin du Congo par exemple, on a constaté une forte aggravation de la dégradation des terres. C'est donc un phénomène qui amène la création de nouveaux déserts là où, hier encore, la rareté de l'eau n'était pas un problème.

OT - La crise alimentaire ou l'engouement pour les biocarburants risquent-ils d'accroître la pression sur les terres au point d'accélérer le processus de dégradation ?

LG - C'est une menace, mais comme toutes les menaces, elle porte son lot d'opportunités. Certains biocarburants - que je préfère appeler agrocarburants - représentent une opportunité pour les zones arides. Si on prend soin de sélectionner des essences qui ne sont pas alimentaires, qui consomment peu d'eau et dont les racines facilitent la fixation des sols, leur culture pourrait favoriser la mise en valeur et l'investissement dans les zones arides, tout en créant une activité génératrice de revenus pour les populations qui y vivent.

OT - Le transfert de ressources financières et technologiques vers les pays en développement était d'ailleurs une des revendications du G77/Chine lors de la CDD-16. Quels progrès ont été réalisés ?

LG - On a peu avancé, mais maintenant qu'il est clairement établi que le climat est un facteur aggravant la dégradation des terres, j'ose espérer que Copenhague sera l'occasion de mettre en place un régime climatique intégrant des actions à mener afin de freiner cette dégradation.

Nous savons aujourd'hui qu'il n'y pas de frontières tranchées entre l'atténuation et l'adaptation. Dans bien des cas, pendant que vous vous adaptez, vous contribuez à l'atténuation. Mieux encore, nous savons aujourd'hui que le potentiel des terres pour fixer le carbone est plus élevé que celui des forêts.

Nous savons également qu'il y a des techniques, des technologies qui permettent d'éviter la volatilisation du carbone et de le séquestrer dans le sol, comme l'ont fait les peuples précolombiens en Amazonie où on retrouve ce sol que les colons ont baptisé Terra Preta de Indio (traduction ?).

À Bali, nous avons organisé un événement parallèle sur cette technique qu'on nomme biochar, ou carbone organique. Aujourd'hui, il existe des foyers améliorés qui permettent de brûler de la biomasse sous environnement appauvri en oxygène et de produire de l'énergie peu polluante, parce qu'elle émet peu de fumée, en plus de produire du charbon qu'on peut utiliser comme fertilisant.

À Poznań, nous avons proposé au Groupe de travail spécial sur l'action concertée à long terme que cette technique soit inscrite [au mécanisme pour un développement propre]. Treize pays ont soutenu cette démarche qui a été acceptée comme une option possible.

Parce qu'il peut être mis en oeuvre à toutes les échelles, familiale, communautaire ou urbaine, ce mécanisme peut amener plus de justice dans l'ordre du jour du climat et aider les pays et les populations les plus vulnérables et les moins émetteurs.

OT - Or, sans chercheurs, ces technologies risquent fort de rester sur le papier. Selon vous, la communauté scientifique appuie-t-elle suffisamment la Convention ?

LG - Historiquement, la Convention n'a pas été portée par la communauté scientifique et par la suite, elle n'a pas donné un message suffisamment clair pour que les chercheurs s'y impliquent. C'est pour cette raison que la stratégie décennale adoptée à Madrid en septembre 2007 porte, notamment, sur la nécessité de mobiliser les ressources scientifiques, technologiques, techniques et financières.

Les Parties qui l'ont adoptée ont appelé plusieurs réformes majeures. La première est la réforme du Secrétariat pour pouvoir mettre en oeuvre la dite stratégie ; la seconde est celle du Comité de la science et de la technologie qui doit revoir son mode opératoire pour fonctionner sur le format des conférences scientifiques afin que les chercheurs s'y sentent les bienvenus.

D'ailleurs, le premier objectif assigné à la prochaine conférence scientifique, qui aura lieu en septembre à Buenos Aires, est de bâtir une plateforme d'indicateurs pour mesurer la dégradation des terres et la désertification. Si nous parvenons à développer une méthode uniforme, ce sera une avancée majeure. Peut-être ne parviendrons-nous pas à avoir une plateforme qui nous permette de tout mesurer, mais à tout le moins, nous pourrons établir le petit dénominateur commun permettant aux pays membres d'avoir non seulement des objectifs, mais des objectifs quantifiés à réaliser. La coopération internationale pourrait ainsi développer des mécanismes incitatifs permettant d'atteindre ces objectifs.

Une fois qu'on aura cette plateforme d'indicateurs, il sera possible de l'intégrer dans le format des rapports des Parties à la CLD. On disposera alors de rapports plus uniformes, fait sur la base des mêmes indicateurs, et nous pourrions avoir une sorte de plateforme de surveillance ou de suivi-évaluation de la désertification sur le plan mondial.

OT - Pour finir, vous êtes secrétaire de la CLD depuis dix-huit mois. Avez-vous l'impression que la Convention est en train de prendre la place qui lui revient à l'échelle internationale ?

LG - Je suis optimiste par nature. Peut-être est-il trop tôt pour tirer des conclusions, mais j'observe que le débat sur le climat amène de plus en plus de gens à reconnaître la contribution et le potentiel des terres.
J'aime à dire que si nous avons eu des résultats mitigés par le passé, ce n'est pas parce que nous ne savions pas ce qu'il fallait faire, mais parce que nous n'avons pas su le diffuser. Les échecs découlent du fait qu'on n'a pas su faire ce qui fonctionne en plus grand ; ils touchent la mobilisation des ressources et la convergence des actions ; ils touchent aussi l'intégration de la dégradation des terres aux stratégies locales et nationales.

En 2005, j'ai été associé à l'évaluation des stratégies de réduction de la pauvreté dite de première génération en Afrique. Ce qui m'a le plus surpris, c'est que parmi ces pays, pour qui la dégradation des terres constitue un défi majeur, très peu avaient fait de la lutte contre la désertification une priorité nationale.
L'année dernière, l'Assemblée générale des Nations unies, en réponse au rapport du secrétaire général, a appelé l'ensemble des institutions onusiennes à travailler avec le Secrétariat de la CLD à la mise en oeuvre de sa Stratégie. Nous travaillons maintenant à définir la plateforme et le modus operandi qui nous permettront de faciliter et promouvoir ce partenariat.

Bio ou agrocarburant ?
Alors que le terme anglais biofuel fait consensus, l'équivalent français biocarburant porte à confusion. Dans l'usage courant, le préfixe bio désigne un produit issu de l'agriculture biologique, ce qui implique tout un processus de production et de certification, notamment l'absence d'engrais, de pesticides de synthèse et d'OGM. Losrqu'on accole le préfixe bio à carburant, c'est toutefois pour indiquer qu'il est produit à partir de biomasse. Or, c'est l'agriculture industrielle qui fournit la biomasse nécessaire à la production de carburant. Pour cette raison, le terme agrocarburant est de plus en plus utilisé. (Source : Liaison Énergie-Francophonie)

Propos recueillis par Yan Turgeon, rédacteur en chef d'Objectif terre, le bulletin de liaison du développement durable de l'espace francophone.

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