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La confiance, enfant pauvre du management ?


Le rôle de contrôle du manager est une des instructions les plus délicates, les plus nuancées et les plus fugaces que les professeurs d'écoles de commerce ont à transmettre à leurs élèves.  Elle est contrebalancée par la confiance, ingrédient essentiel du management.  Mais dans une majorité d'entreprises, cette confiance est jugée en retrait, au profit des mécanismes de contrôle.

 

Une étude de fin 2011 publiée dans the Economist, montrait que les managers français étaient choisis en fonction de leur expertise technique plutôt que sur leur capacité à inspirer confiance auprès de leurs collaborateurs.

 

L'Agora du Management, think tank français, publiait un article en février 2007 positionnant la confiance entre la constance et l'instabilité : " Malgré la fréquence des erreurs, quelque soit le nombre des transgressions et de nos déceptions, la confiance dans la parole d'autrui est fondatrice du rapport à autrui. "  Contrairement à la croyance, la confiance ne se rompt pas au premier cahot sur la route.  Elle est le lien fondamental dans la relation à autrui, et donc à la collaboration professionnelle.  Et elle permet donc de surmonter tous les problèmes rencontrés sur le chemin de la réalisation, précisément par la foi des uns dans la capacité des autres à tenir bon.  Si les managers ne pouvaient donc choisir qu'un seul ingrédient à mettre dans leur besace, ce devrait donc être celui-là.

 

Et pourtant, la confiance est l'enfant pauvre des systèmes managériaux.  En 2004, une étude menée par Entreprise et Progrès, observatoire associatif parisien du monde de l'entreprise,  indiquait que seul un tiers des cadres avait connaissance de la stratégie de leur entreprise.  Ce constat ne peut avoir qu'une seule cause : un management supérieur qui n'accorde pas assez de confiance à ses échelons inférieurs pour leur permettre de participer à la vision d'ensemble de leur action, ne serait-ce que de manière passive. 

 

Est-ce à dire que les échelons opérationnels n'ont pas de relation avec leurs supérieurs de l'étage stratégique?  Certainement pas.  Mais la relation est vrillée, car ils perçoivent dans le reporting uniquement un moyen de contrôle, et non une transmission d'information normée pour optimiser l'action collective.  En d'autres termes, ils accomplissent une action unique, en sens unique, pour une raison unique (l'ordre hiérarchique), au lieu de prendre part à un jeu d'ensemble.

 

Or, selon l'étude menée par le cabinet de conseil DDI, en mai 2004, l'impact du déficit de confiance sur la productivité d'une entreprise donnée est précisément calculable, et avoisine les 30 millions de dollars par an pour une entreprise de 10 000 employés.  Les salariés qui ressentent peu de confiance pour leur management ont, de leur propre aveu, 10% de retard sur leurs objectifs par rapport à ceux qui se disent confiants.  L'absence de confiance en entreprise peut donc avoir des conséquences coûteuses, car elle rend la relation déséquilibrée et friable.  En effet, les échelons inférieurs de l'entreprise ressentent alors une impression de "confiance forcée" envers leur direction.  Ils n'ont guère le choix que de faire confiance à leurs supérieurs, car ceux-ci sont à la barre de l'entreprise. Et le ressentiment qui en découle peut être violent au point de mener à des confrontations directes, puis des remises en question du management.  Qui plus est, la relation devient alors déséquilibrée car la confiance consentie en retour, par le management, est faible, voire nulle. Les salariés sont contraints d'accorder une confiance plus importante à leurs supérieurs qu'ils n'en reçoivent.  La relation ne peut alors être, au mieux, qu'éphémère et mener irrémédiablement au délitement du lien social et économique.

 

Thomas Peaucelle, directeur général délégué à la stratégie chez Cofely Ineo, propose sa vision du rôle de la confiance dans un management durable et sain.  "A travers les années d'expérience, les miennes comme celles du groupe, il est ressorti une chose essentielle : la confiance accroît l'efficacité générale.  Certains pensent qu'un contrôle millimétré de toutes les actions est ce qui rend une entreprise performante.  Nous pensons le contraire.  Nous parions sur le fait qu'un collaborateur qui se sent "calibré" aura tendance à faire mécaniquement ce qu'on lui demande.  Ni plus, ni moins.  Alors que notre de fonctionnement prouve qu'accorder la confiance la plus large possible amène nos employés à prendre à leur compte leurs missions et réalisations, et à les remplir bien mieux qu'on ne leur avait demandé. Comme si un mécanisme humain les amenait instinctivement à nous remercier de la confiance qu'on leur donne, en nous offrant toute leur intelligence en échange."  Ingénieur de formation, mais également Docteur en droit, Thomas Peaucelle fait un parallèle entre la loi de la république et le fonctionnement de l'entreprise " La loi qui oblige, la loi qui heurte et qui se met en travers des libertés, celle-là est mauvaise.  Car le rôle de la loi n'est pas de restreindre les libertés des hommes car ces derniers ne seraient pas dignes de confiance.  Son rôle est de créer un système harmonieux qui protège, éclaire et donne à chacun les moyens de se réaliser au travers de ses ambitions.  Notre mode de fonctionnement sert cet objectif".

 

La confiance est le point central de toute collaboration humaine, économique ou pas.  Si le rôle du management est de coordonner et de donner un sens à l'action collective, il ne peut se faire si un climat de défiance interdit ladite action collective.  Le gestionnaire n'aura alors qu'un rôle de contrôleur d'une sommes d'actions individuelles.  Le don de confiance implique une prise de risque et un dépassement de ses inquiétudes, car chacun a peur de ce que l'autre fera de la liberté qu'on lui donne.
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