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Contextualiser la consommation comme enjeu fondamental du développement durable


L'étude du lien entre consommation individuelle et développement durable pose la question fondamentale suivante : comment le monde, qui est composé d'environnements fragiles et de ressources finies, sera-t-il capable de supporter les aspirations des 9 milliards de personnes qui peupleront la planète d'ici 2050? Cette interrogation de base dans le domaine du développement durable soulève deux sous-questions distinctes, mais inter-reliées. D'un côté, il y a l'épineuse question de l'effet démographique sur l'environnement et les ressources. Mais il y a également la question des aspirations, en termes de style de vie et de confort matériel, de l'ensemble des individus qui peuplent la planète.

Sur ce dernier point, force est d'admettre que la société de consommation, si caractéristique du mode de développement moderne et industrialisé, peut être aujourd'hui qualifiée de phénomène global.  En termes économiques, le paradigme dominant a longtemps été que le développement - considéré comme la poursuite du bien-être - était indissociable de la croissance économique. Et même si la société de consommation globale émergente est probablement mieux représentée par l'image " d'îles de prospérité, et d'océans de pauvreté " (1, p.49), un taux de croissance économique élevé et soutenu depuis près de deux décennies en Chine ou en Inde (pour ne nommer que ces pays) permet à une proportion toujours croissante de la population globale de bénéficier des commodités de la modernité contemporaine: frigidaire, télévision, téléphone cellulaire, ordinateur, voiture, etc.

Si l'amélioration des conditions de vie des pays en voie de développement est un objectif du développement durable en soi, un problème presque %u2018mathématique' émerge néanmoins. En effet, l'impact que les sociétés humaines ont sur leurs environnements est fondamentalement déterminé par le nombre de personnes vivant sur la planète, ainsi que par la façon dont ces personnes mènent leur vie. Si, par exemple, l'ensemble des habitants de la terre vivaient dans les termes de production et de consommation que l'on retrouve en Occident, les émissions de CO2  seraient de 125 gigatons -près de cinq fois le niveau actuel -d'ici 2050. Si la réponse typique  du développement durable à cette problématique tend à présenter la solution technologique aux problèmes de pollution, il a été affirmé que " les gains en efficacité technologique sont souvent engouffrés par l'ampleur des aspirations matérielles d'une population mondiale en croissance " (1, p.47, traduction libre). La modification des styles de vie et des pratiques de consommation des individus qui peuplent la planète apparait donc comme un objectif incontournable à la poursuite du développement durable. Cet objectif requiert une étude systématique de la façon dont les gens mènent leur vie: comment les individus définissent-ils leurs conceptions de la " bonne vie "? Qu'est-ce qui se cache derrière la tendance vers la (sur)consommation typiquement occidentale, mais qui devient de plus en plus globale?

Si la théorie économique conventionnelle suppose que l'augmentation de la consommation conduit à l'augmentation du bien-être individuel (1, p.48), l'anthropologie suggère pour sa part que les biens de consommation sont porteurs d'un langage symbolique grâce auquel nous communiquons en permanence les uns avec les autres. Et en effet, force est de constater que la fonction des objets matériels va au-delà de la satisfaction des besoins matériels (2). En fait, les objets qui nous entourent facilitent une série de " conversations sociales " dont la discussion porte autour de sujets hautement intangibles tels que les notions de statut, d'identité culturelle ou de cohésion sociale. La consommation se présente dès lors comme un moyen utilisé par les individus pour se loger, se nourrir et s'habiller; cependant la façon spécifique dont ils se logent, s'habillent et de nourrissent distingue souvent la classe sociale à laquelle ils appartiennent, ou le genre d'emploi ils occupent, et quel genre de personnes ils fréquentent. Et dans les sociétés où la mobilité sociale existe, la consommation devient un moyen privilégié par lequel un individu est susceptible de modifier son statut social, en logeant dans un quartier plus riche afin d'envoyer ses enfants dans des écoles plus performantes, en s'habillant avec des vêtements de haut de gamme dans le but de trouver un bon emploi ou de séduire un partenaire de vie de qualité, ou même en organisant des repas somptueuses dans le but de divertir et d'impressionner famille et amis.

L'idée que la consommation est nécessaire pour assurer notre réussite familiale, professionnelle et sociale génère cependant trois problèmes majeurs pour la société. Premièrement, on remarque que la compétition pour le statut social via l'acquisition de biens matériels conduit souvent à l'érosion qualitative des relations sociales (famille, communautés) visées par ailleurs à travers la consommation comme lieux de cristallisation et de manifestation de l'épanouissement. Jackson appelle ce processus le " paradoxe du bonheur " (1, p.50). Deuxièmement, l'idée d'atteindre le bien-être par l'acquisition de biens matériels ne semble pas avoir de finalité car, aussitôt qu'un bien matériel est acquis l'individu s'y habitue et en désire un autre. Et finalement, les implications à l'égard de l'environnement et des ressources nécessaires à cette " course au sommet " sont tout simplement non durables.

Dans cette perspective, la modification des aspirations en termes de style de vie et de pratiques de consommation s'impose comme un objet d'étude incontournable du développement durable. Comment les citoyens-consommateurs peuvent-ils contribuer à rendre le monde plus durable, depuis l'échelle individuelle, n'est cependant pas une question simple, surtout lorsque l'on comprend que la consommation est imbriquée dans une panoplie de dynamiques se trouvant à la croisée des règles politiques, de l'économie, des discours dans les médias, ainsi que de la %u2018vraie vie' (3). Forte de ses méthodes d'observation participante et ethnographique, l'anthropologie peut aider à comprendre comment ces dynamiques globales s'articulent au niveau des individus dans le " vrai " monde.

 

Références

(1) Jackson, Tim (2008) " The Challenge of Sustainable Lifestyles ", Chapter 4 in G. Gardner and T. Prugh, State of the World 2008. Washington DC: WorldWatch Institute, pp.45-60.

(2) Douglas, Mary (1996) " The world of goods : towards an anthropology of consumption ", New York : Routledge.

(3) Bente, Halkier (2009) " A practice theoretical perspective on everyday dealings with environmental challenges of food consumption ", Anthropology of food [En ligne, consulté le 05 août 2013]. URL : http://aof.revues.org/6405

 

Auteur : Claudia Laviolette, doctorat en anthropologie, Université Laval

Source: L'Interdisciplinaire, journal étudiant de l'Institut EDS 

[Journallinterdisciplinaire]

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