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Lobby Européen des Femmes: "nous voulons une architecture claire pour réaliser l'égalité femmes/hommes"


Le Lobby européen des femmes (LEF) est la plus grande coalition d’associations de femmes en Europe. Ses membres sont des plates-formes nationales de trente et un pays, ainsi que des associations européennes travaillant sur divers sujets.
Pierrette Pape est coordinatrice par intérim du LEF. Elle est chargée de politiques et coordinatrice de projets au LEF, en charge de suivre les politiques européennes en matière de violences faites aux femmes.

 

Quels sont les points forts de votre manifeste pour l'Europe?

Le Manifeste du LEF s’appelle « Agissons maintenant pour son avenir, engageons-nous pour l’égalité femmes-hommes » parce que nous voulons rappeler aux candidat-e-s, mais aussi aux personnes qui vont aller voter, que les choix que nous faisons aujourd’hui ont un impact sur le court-terme, mais aussi sur le futur. Dans quelle Europe voulons-nous que nos enfants grandissent ? Quelle égalité des droits voulons-nous garantir pour les petites filles et petits garçons ?

Il faut rappeler que les eurodéputé-e-s vont désigner le/la Président-e de la Commission européenne, qui a le pouvoir de proposer des législations, et donc de faire avancer l’Europe vers plus de justice sociale ou au contraire vers plus d’austérité ou d’inégalités. Le Parlement européen a désormais la responsabilité de co-décider avec les États membres sur une grande partie des propositions législatives, y compris en matière de budget. Si nous voulons une Europe qui garantisse les droits des femmes, alors il faut voter en conséquence. Et surtout il faut voter !

Notre Manifeste demande une architecture claire pour réaliser l’égalité femmes/hommes : il faut une stratégie globale, avec des priorités claires, et des objectifs concrets. Nous voulons de la cohérence, et nous pensons que cela sera possible avec une Commissaire ou une Coordinatrice européenne des droits des femmes et de l’égalité femmes/hommes, qui pourra impulser des actions et assurer que les droits des femmes soient pris en compte dans toutes les politiques de l’UE. Les femmes représentent quand même la moitié de la population en Europe, il est temps d’avoir un poste politique qui les représentent et les défendent !

Ce que nous demandons, c’est une réelle volonté politique de faire changer les choses. De mettre fin aux violences et aux inégalités dans le travail, les soins, les tâches domestiques et la vie privée. Et de faire en sorte qu’aucune femme ne soit laissée de côté, quels que soient son origine, son statut migratoire, son état de santé, son âge, son orientation sexuelle, etc. Notre Manifeste se veut force de propositions concrètes. Par exemple, nous demandons à ce que 2016 soit désignée comme Année européenne de lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles. Avec une telle Année, on aurait une attention particulière au phénomène des violences, des actions européennes pour sensibiliser et soutenir des projets, mais aussi une pression forte sur les États pour qu’ils s’engagent dans une stratégie européenne qui permettrait de protéger les femmes. Aujourd’hui, la protection varie d’un pays à l’autre; par exemple en Lituanie, le viol marital n’est pas considéré comme un crime.

Notre Manifeste est aussi un outil stratégique pour assurer que l’égalité femmes/hommes sera au cœur des travaux du futur Parlement européen. Nous demandons aujourd’hui à tou-te-s les candidat-e-s, de tous les pays et tous les partis, de signer notre Manifeste. Plus de 50 candidat-e-s l'ont déjà signé: ce sont autant d’allié-e-s pour agir ensemble pour les droits des femmes lors de la prochaine législature. Nous avons aussi demandé aux candidat-e-s pour le poste de Président-e de la Commission européenne de signer notre Manifeste. Nous avons publié leur réponse sur notre site. En s’engageant pour l’égalité femmes/hommes, ces ‘Top Candidat-e-s’ devront répondre de leurs promesses une fois élu-e-s, et mettre en œuvre les propositions des associations de femmes. Nous proposons aussi aux votant-e-s de demander à leur candidat-e de signer le Manifeste du LEF, et quand elle-il sera élu-e, de l'interroger sur les moyens mis en place vous aller vers plus d’égalité.

 

Un grand nombre d’États n'ont pas encore appliqué les directives de l'UE concernant l'égalité des sexes, avez-vous des propositions pour que ces États respectent le droit européen ?

Depuis le premier traité de 1957 qui est à l’origine de que nous appelons l’Union européenne aujourd’hui, l’égalité femmes/hommes est un principe fondamental de la construction européenne. Deux directives garantissent l’égalité dans l’emploi et dans l’accès aux biens et services, et les États membres, qui ont adopté ensemble ces directives, doivent les mettre en œuvre.

Pourtant, 64 ans plus tard, les femmes en Europe gagnent toujours 16% de moins que les hommes, reçoivent une retraite inférieure de 39% à celle des hommes, sont plus pauvres que les hommes (presque 27% d’entre elles, contre 24% des hommes). Ce que le LEF demande, c’est d’abord que les réglementations existantes soient effectivement mises en œuvre: que l’égalité femmes/hommes dans le travail, dans l’accès aux biens et services, soit réelle. La France a la chance d’avoir une Ministre des Droits des Femmes, ce n’est pas le cas des autres pays en Europe.

Il y a bien d’autres domaines dans lesquelles les stéréotypes sexistes et les discriminations envers les femmes ont la peau dure : c’est le cas par exemple de l’éducation et des médias, deux domaines sur lesquels l’Union européenne n’a pas encore légiféré, ce qui laisse chaque État décider des mesures à apporter… ou pas ! C’est pour cela que nous demandons une législation européenne qui lutte contre les inégalités femmes/hommes dans tous les domaines de la vie, et qui permette à toute femme européenne de bénéficier de la même protection. Nous voulons l’égalité entre les femmes et les hommes, mais aussi entre toutes les femmes !

 

Comment faire pour que la commission pour l'égalité des genres qui agit au sein du Parlement européen soit renforcée alors qu'elle demeure fragile, attaquée par certains partis et lobbys ? Doit-il y avoir, au sein de l'UE, une commissaire en charge des questions d'égalité des sexes ?

Au sein de la Commission sur l’égalité des genres et les droits des femmes (FEMM), les eurodéputé-e-s proposent des résolutions politiques ou donnent leur avis sur des textes législatifs en cours. Pour les associations de femmes, cette Commission est cruciale, car elle assure que les droits des femmes soient pris en compte dans les politiques européennes, et elle permet aussi de lancer des messages importants sur la réalité des femmes en Europe. Par exemple, lors de la dernière législature, le Parlement européen a adopté, sur proposition de la Commission FEMM, une résolution demandant une législation sur les violences faites aux femmes, que la Commission européenne doit maintenant considérer sérieusement. Le Parlement a aussi adopté la résolution de la Commission FEMM recommandant le modèle abolitionniste en matière de prostitution, une autre résolution alertant sur l’impact négatif de la crise économique sur les femmes ou encore une résolution sur les stéréotypes de genre.

Le Parlement européen, grâce au travail de la Commission FEMM avec la Commission responsable de la justice et des affaires intérieures, a renforcé la dimension d’égalité femmes/hommes dans la directive européenne combattant la traite des êtres humains. La Commission FEMM a aussi permis de prendre en compte la situation des femmes, des gays et lesbiennes et des transgenres, dans la directive européenne sur les droits des victimes.

Cette Commission est donc fondamentale, et elle est en effet souvent remise en cause. Certains groupes politiques veulent la voir disparaître carrément, d'autres voudraient qu’elle s’occupe de toutes les formes d’inégalités. Pour le LEF, il faut que la Commission garde son mandat sur les droits des femmes et l’égalité femmes/hommes, car on doit sans cesse rappeler que l’égalité réelle n’est pas encore réalisée, et que sans cette égalité, nous ne vivons pas encore dans une vraie démocratie.

 

Que pensez-vous de l’initiative française de lancer une liste féministe : Féministes pour une Europe Solidaires ? En connaissez vous d'autres en Europe ?

A titre personnel, je trouve que cette initiative est très importante : elle permet de mettre la question des droits des femmes au cœur du débat, de rappeler que l’Europe doit dépasser le « mythe de l’égalité déjà là », et que l’égalité femmes/hommes dépasse les clivages. Une initiative similaire existe en Espagne Iniciativa feminista. J’espère que ces listes auront des élu-e-s au Parlement européen !

Propos recueillis par Caroline Flepp 50/50

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