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RSE : quel rôle pour les syndicats ?


Les syndicats sont traditionnellement associés aux grèves et manifestations que leur rôle social implique parfois. De par leur statut, les syndicats endossent pourtant aussi un rôle de conception et de mise en œuvre des politiques RSE en entreprises : experts des conditions de travail, protégés juridiquement, rôdées au dialogue social, les syndicats ont tous les atouts pour jouer un rôle encore plus poussé en la matière.

Acteurs clés du dialogue social

Le dialogue social en entreprise s’est construit autour du droit, et plus spécifiquement du droit du travail, raison pour laquelle les syndicats ont été d’abord réservés face aux premières tentatives de RSE : considérées comme du green- ou du social-washing, les premières chartes et mesures RSE inspirent plutôt de la méfiance. Les préoccupations environnementales en particulier ont longtemps été vues comme des contraintes susceptibles de peser sur l’emploi. Mais une fois acquis le fait que la RSE pouvait être un levier de compétitivité, de productivité et d’amélioration des conditions de travail, les syndicats se sont emparés du sujet.

Même la CGT considère dans un document d’orientation sur la RSE, que « La responsabilité sociale des entreprises est un terrain d’intervention pour les organisations syndicales ». La CGT y voit une opportunité de « production de droit social par l’institutionnalisation de la RSE », surtout dans un contexte « d’irresponsabilité des entreprises en matière financière, environnementale et sanitaire. » Il est vrai que les entreprises ne sont pas forcément les plus promptes au dialogue et à la confiance réciproque : à l’époque du rachat de SFR par Numéricâble, en dépit des promesses de Patrick Drahi qu’il n’y aurait aucun licenciement sec, « il y a eu 1 200 départs contraints » rappelle ainsi Sana Iffach, déléguée centrale CFE-CGC de SFR.

L’exemple de SFR illustre le fait que les syndicats ne sont pas des opposants systématiques : tout est question de contexte, de culture du dialogue et d’expérience syndicale. Lorsqu’à l’été 2016, SFR n’annonce pas moins de 5000 suppressions de postes avant 2017, soit un tiers des effectifs, l’UNSA et la CFDT, syndicats majoritaires chez SFR, ont acté le plan de licenciement. La situation économique de l’entreprise le justifie, mais les syndicats sont sur le qui-vive eut égard à l’expérience mentionnée plus haut. Acteurs du dialogue social incontournables en cas de difficultés économiques, les syndicats savent aussi pertinemment où se situe l’intérêt général et celui de l’entreprise. Mais au-delà des question légales ou règlementaires relatives aux licenciements, les syndicats ont aussi pour mission de veiller sur les conditions de travail de ceux qui restent. De l’organisation des tâches aux cadences de production, en passant par l’environnement de travail, les syndicats sont en réalité déjà les garants de politiques RSE qui ne disent pas leur nom.

Veiller aux conditions de travail

Exemple toujours chez SFR : aux 5000 postes potentiellement supprimés pourrait s’ajouter l’externalisation « masquée » de 2000 emplois auprès d’Altice, la maison-mère. Ces « ajustements statutaires » ne sont pas sans conséquences pour les salariés, dont la chaine hiérarchique et la mission peuvent alors changer. Autre cas, bien plus grave : ce n’est pas moins de six suicides que le syndicat CGT du CHU de Toulouse a recensé en quelques mois. « Ces burn-out, ces suicides, sont l’expression d’une grande souffrance. Tout le monde souffre à l’hôpital, les emplois sont précarisés dans les services et les plans d’austérité se succèdent au travers de réformes sauvages », déplore Patricia Calmettes, secrétaire CGT de Rangueil. Le service public n’échappe pas aux pressions de productivité et de rentabilité : en entreprises ou à l’hôpital, lorsque quatre salariés se retrouvent à faire le travail de six ou dix EVT, les conditions de travail se dégradent inéluctablement, avec toutes les conséquences que cela suppose sur leur santé physique et psychologique.

Mais il n’est pas nécessaire d’en arriver à de telles extrémités pour qu’une intervention des syndicats soit nécessaire, en tant qu’intermédiaire, force de propositions, ou recours légal des salariés sur leur condition de travail. Tous les changements de situation, réels ou supposés, doivent être considérés avec la même vigilance, parce qu’ils sont sources d’incertitude sur l’avenir pour les salariés. A la FNAC par exemple, le récent rachat de Darty suscite encore de vives inquiétudes. La plupart des syndicats, FO et CGT-FNAC en tête, s’inquiète certes des répercussions prévisibles sur l’emploi, compte tenu des économies espérés par les deux enseignes. Dès 2015, Thierry Lizé, du syndicat FO de la FNAC, prévenait que « Le pire est à craindre en termes d'emplois. […] les mutualisations sur les centrales d'achat, la logistique, le siège ou le SAV ne se feront pas malheureusement sans casse sociale ». Mais ces événements se produisent surtout dans un contexte désormais ancien de dégradation de l’environnement de travail : sous-effectifs, multi-tasking, dilution des responsabilités, stress… « On n'est pas rentré à la Fnac pour vendre des cartes d'adhérents et placer des assurances », dénonçait dès 2012 Jean-Paul Marchall, délégué syndical SUD de l'établissement FNAC Lyon Bellecour. Dans le cas de la FNAC, les syndicats dénoncent ainsi depuis des années une stratégie en rupture avec la vocation d’origine de l’enseigne, voulue par ses fondateurs « révolutionnaires » Max Théret et André Essel : l’accès à la culture pour tous. Or la préservation de l’identité d’une entreprise comme la promotion de son utilité sociale rentrent dans le champ de la RSE.

Alerter sur la stratégie et l’identité

La RSE se positionne également sur le champ des « valeurs », au sens large. Or, c’est bien la proposition de valeur de l’entreprise, le « sens du métier » et la relation-client que défendent les syndicats dans le cas de la FNAC. « L'enseigne est en train de perdre son âme », déplore Metin Akca, délégué CFTC, au sujet de l’externalisation du SAV de Darty. Celui de la FNAC a déjà été vendu en mai 2016, celui de Darty pourrait suivre : « Le SAV est étroitement lié à l'image de marque de l'enseigne [Darty], mais il coûte vraiment très cher » alerte Olivier de Panafieu, associé du cabinet de conseil Roland Berger. Le « contrat de confiance » est menacé, et avec lui la réputation globale du nouvel ensemble FNAC-Darty ainsi créé. Or en termes de réputation, la FNAC prête déjà le flanc à la critique : « l’agitateur culturel » héberge des corners d’entreprises comme Samsung, connue pour fermer les yeux sur le travail des enfants chez ses sous-traitants, ou Apple, dont les montages fiscaux flirtent avec la ligne rouge de l’évasion fiscale. La FNAC est par ailleurs distributeur des produits Smartbox, une entreprise qui, comme beaucoup d’autres, a cédé aux sirènes de l’optimisation fiscale : Smartbox est désormais surtout connue pour s’être exilée fiscalement en Irlande, tout en supprimant des emplois en France. La FNAC propose aussi des machines et capsules Nespresso. Or ces dernières sont un cauchemar environnemental qui ne manquera pas un jour de dégénérer en scandale. Endommagée à l’extérieur comme à l’intérieur de l’entreprise, la réputation de la FNAC et son positionnement éthique inquiètent les syndicats : l’ensemble est étroitement lié à la performance de l’entreprise et donc, in fine, aux conditions de travail. Les syndicats, disposant généralement d’une forte antériorité de l’entreprise, sont bien souvent les garants d’une identité, de l’ADN d’une entreprise, face à des échelons décisionnels au turn-over bien plus important et aux objectifs parfois étroitement court-termistes.

Les syndicats, acteurs historiques de la RSE ?

Cette défense de « l’environnement de travail » et des valeurs portées par une « identité » au sens large est une politique RSE, même s’il arrive qu’elle ne soit pas formalisée de la sorte. Il ne serait d’ailleurs pas absurde de voir dans l’action syndicale historique un mouvement « proto-RSE ». Expérimentés, organisés et protégés par leur statut, les syndicats peuvent être en entreprises comme dans le service public le fer de lance de politiques RSE ambitieuses et concrètes, destinées à protéger aussi bien le salarié que son employeur des dérives possibles. C’est à cela que s’emploie déjà la majorité des syndicats, alors ne les réduisons surtout pas à ce que nous renvoie un prisme médiatique très déformant.

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