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Le marché québécois du carbone est-il en transition ?


Depuis 2013, il existe au Québec une plateforme de réduction des émissions de gaz à effet de serre imposée aux entreprises émettrices d’au moins 25 000 téqCO2 par année dans les secteurs de l’industrie, de l’électricité et de la distribution de carburant et combustible fossiles. Cette plateforme est qualifiée de règlementaire car elle est régie par un certain nombre de lois inscrites au « Règlement concernant le système de plafonnement et d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre » contenu dans la Loi sur la qualité de l’environnement. Cependant, l’échange de droits d’émission était possible au Québec bien avant la mise en place de ce système. En effet, les entreprises ayant développé des projets de réduction d’émission ou effectué des démarches de réduction de leurs propres émissions de gaz à effet de serre ont la possibilité de vendre les crédits obtenus auprès d’autres entreprises polluantes. Ce système est régi par des normes de certification et de validation, et est qualifié de volontaire car ces entreprises ne sont aucunement obligées d’y participer.

Marché volontaire vs. système de plafonnement et d’échange de droits d’émission

Le marché volontaire du carbone est apparu en Amérique du Nord en 1989, date de la première transaction documentée de crédits compensatoires. Il s’agissait d’une entreprise américaine souhaitant compenser, par la replantation d’une forêt au Guatemala, les émissions de gaz à effet de serre liées à la construction d’une nouvelle centrale électrique. Ce type de transfert d’émissions a inspiré le mécanisme de développement propre instauré en 1997 par le Protocole de Kyoto contenu dans la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques.

Les projets du marché volontaire appartiennent généralement à l’une des trois catégories suivantes : destruction d’émissions (méthane du bétail et gaz industriels), réduction d’émissions (énergies renouvelables, efficacité énergétique et Reduced Emissions from Deforestation and Degradation) ou séquestration (naturelle et artificielle). Le marché volontaire fonctionne à l’aide d’une place d’échange de commodités, une bourse, où s’effectuent les transactions comme ce fut le rôle du Chicago Climate eXchange jusqu’en 2010 et désormais du Carbon Trade eXchange. Les normes, certifiant les crédits compensatoires, servent à assurer les bourses de la qualité des crédits qui sont échangés. Elles sont appliquées par des organismes accrédités qui suivent des protocoles de quantification et de validation reconnus internationalement.

Plateforme réglementaire

Le système de plafonnement et d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre est la plateforme règlementaire québécoise gérée par le Ministère du développement durable, de l’environnement et de lutte aux changements climatiques qui impose aux entreprises fortement polluantes un plafond d’émissions couplé à un échange de droits d’émissions (ou cap-and-trade). Deux types de droits d’émission existent : les quotas d’émission et les crédits compensatoires.

Les quotas d’émissions correspondent au plafond d’émission fixé par le ministre et représentent des unités d’émission. Ces unités sont disponibles de plusieurs manières : allouées gratuitement par le ministre aux entreprises (valable que pour les secteurs d’activité soumis à une forte concurrence internationale), vendues par le ministre aux entreprises via un compte de réserve (les acheteurs ne peuvent ensuite revendre ces unités) ou mises aux enchères communes avec les plateformes règlementaires membres de la Western Climate Initiative.

Les crédits compensatoires quant à eux proviennent de deux processus : ils sont accordés par le ministre à titre de « réduction hâtive » aux entreprises ayant prouvé une réduction réelle de leurs émissions de gaz à effet de serre entre 2008 et 2012, ou bien sont issus de projets de réduction d’émissions de gaz à effet de serre inscrits aux protocoles prévus par le « Règlement concernant le système de plafonnement et d’échange de droits d’émissions de gaz à effet de serre ». Lorsque les crédits compensatoires issus d’un projet de réductions d’émission sont approuvés par le ministre (via plusieurs vérifications assurées par des organismes de validation reconnus), 97% d’entre eux sont vendus dans le système tandis que les 3% restants viennent garnir un compte d’intégrité environnementale.

La vente de crédits compensatoires se déroulent de trois manières : par vente aux enchères avec les plateformes partenaires de la Western Climate Initiative, par vente bilatérale entre deux entreprises (ou over-the-counter) où le Conseil patronal de l’environnement du Québec joue le rôle d’intermédiaire, ou par vente multilatérale via l’Intercontinental Exchange.

Quelle forme le marché du carbone prend-il au Québec ?

Depuis 2015, la portée du système de plafonnement et d’échange de droits d’émission s’est étendue aux distributeurs de carburant et combustible fossiles, permettant ainsi de couvrir 85% des émissions de gaz à effet de serre du Québec. Ceci indique que les 15% restants, essentiellement constitués de la foresterie et l’agriculture, sont couverts par le marché volontaire. Cette infime proportion montre que le marché volontaire n’est plus dominant au Québec, et que la plateforme règlementaire devient l’outil principal de la politique provinciale en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La plateforme règlementaire va-t-elle alors progressivement « avaler » le marché volontaire, ou les deux marchés sont-ils plutôt en train de « s’hybrider » ?

Cette question est actuellement à l’étude dans un projet de recherche qui s’intéresse à la cartographie et la théorisation des réseaux de l’éco-normalisation de la politique climatique au Québec. À partir d’un répertoire des acteurs du marché volontaire et du système de plafonnement et d’échange de droits d’émission, plusieurs résultats ressortiront. Parmi ceux-ci, il sera notamment possible de déterminer si les deux marchés ont des acteurs en commun. Il sera également possible d’évaluer les points communs et les différences des modes de normalisation de deux marchés. Et enfin, il sera possible d’illustrer l’emprise du secteur privé sur cette politique climatique publique.

Source  : GaïaPresse

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