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Nous voulons donner une nouvelle impulsion aux relations franco-africaines" - Fabrice Le Saché


Aera Group, présenté comme le leader de l’ingénierie financière climatique en Afrique a récemment  signé la première facilité carbone d’Afrique de l’Ouest avec la Banque Ouest Africaine de Développement  (BOAD). En amont du forum Africain du Carbone à Cotonou (Bénin), prévu du 28 au 30 juin 2017, Fabrice Le Saché, co-fondateur du groupe Aera,  présente les défis et solutions de  la finance carbone en Afrique. Entretien.  

Propos recueillis par Houmi Ahamed-Mikidache

 

En quoi consistent les activités d’Aera Group ?

Nous accompagnons un certain nombre d’entreprises privées en Afrique, mais aussi des collectivités publiques. On accompagne des porteurs de projets qui développent des projets de réduction d’émission de gaz à effet de serre. Nos domaines :  énergies renouvelables,  traitement de déchets et efficacité énergétique notamment. Nous les accompagnons  en les aidant  à obtenir des certifications carbone, des certifications de  performance de réduction de CO2 , une certification qui va donner droit à un crédit carbone pour chaque tonne évitée. C’est la partie conseil de notre accompagnement. On les aide aussi sur le deuxième aspect qui est connecté au premier, sur la monétisation et la valorisation économique financière des émissions qu’ils engendrent. Résultat : ils obtiennent un supplément de revenu pour leur projet en phase d’exploitation.

Donnez-nous un exemple ?

J’ai un barrage hydroélectrique. Je mets en route mon barrage hydroélectrique et  je produis mon électricité. Généralement, l’ électricité dépend d’un réseau lié à une centrale thermique, dans la plupart des pays africains. Ma centrale hydroélectrique est 100% énergie propre, 100% électricité verte. En utilisant, l’énergie verte, j’évite que la consommation des habitants du pays soit alimentée par des centrales thermiques. Ainsi, cela réduit les émissions de CO2, parce que  le thermique pollue. Mes crédits carbones  deviennent ainsi un complément de revenu. En plus de vendre de l’électricité, je vais recevoir des crédits carbone que je vais vendre également. Cela me fera donc une deuxième ligne de revenu. Il faut évidemment, au préalable, avoir enregistré mon projet, le faire auditer,  selon les procédures de fond et de forme de l’ONU.  Chez Aera Group, nous accompagnons donc les développeurs pour obtenir les certifications et ensuite pour la monétisation. Le premier point est préalable au second.

Où en êtes-vous en terme de certification ?

Nous avons obtenu au cours du premier trimestre 2017, trois certifications réussies. Trois projets ont fait  l’objet d’un enregistrement auprès du conseil exécutif du Mécanisme du Développement Propre (MDP) de l’ONU. Ces trois projets ont été validés et intégrés au Mécanisme de Développement Propre. Ce sont deux  projets photovoltaïques au Sénégal, un  de 33 Mégawatts  et l’autre de 20 Mégawatts. Celui de 33 mégawatts à Meouan dans la région de Thiès est porté par le fonds d’investissement Meridiam. Et celui de 20 mégawatts à Bokhol, dans le Nord-Ouest du Sénégal,  est  soutenu par le fonds d’investissement Greenwish. Le troisième projet c’est un barrage hydroélectrique en Côte d’Ivoire, le barrage de Soubré. C’est le plus grand barrage jamais enregistré pour les crédits de carbone en Afrique,  un barrage de 275 mégawatts en Côte d’Ivoire. Soubré entre en exploitation au deuxième trimestre. Bokhol est entré en exploitation en octobre 2016. Aujourd’hui, à partir du moment où ces projets ont été enregistrés, ils ont le droit formel d’émettre des crédits carbones,  suite aux vérifications périodiques des projets. C’est une étape importante, parce qu’au final, le montant agrégé de ces trois projets représente 650 000 tonnes de CO2 évités par an en Afrique de l’Ouest dans la zone de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA).

 

Mais alors, pourquoi le marché du carbone n’est-il pas prospère en Afrique ?

L’un des gros problèmes de l’Afrique est d’une part  que la demande est très faible. C’est un problème sur lequel ils ont peu de levier d’action. L’autre problématique est liée à la responsabilité quasi-totale de l’Afrique. L’Afrique ne peut pas se plaindre de ne pas recevoir de sources de revenus de la finance carbone, sans certification au préalable. Cette certification leur permet, de fait, de convertir la réduction de CO2 en crédit carbone et en  monnaie carbone. Ce processus est indispensable. Sans cette certification, les projets ne sont pas rentables, et c’est un drame pour l’Afrique.

 

Le problème d’un prix plancher du carbone en Afrique n’est toujours pas résolu. Quelles sont vos solutions ?

Nous, chez Aera Group, nous avons 36 projets d’enregistrés en Afrique, ce n’est pas rien.  Avec un volume de  650 000 tonnes par an, multiplier  avec un prix plancher de 5 euros, cela  peut être intéressant pour le Sénégal ou la Côte d’Ivoire. Mais, sans base de projets permettant d’avoir une projection de gain,  difficile de convaincre les autorités.

Nous, on agit sur l’offre pas sur l’achat. Par contre, avant de recevoir des revenus, il faut avoir quelque chose. Malheureusement, il y a de nombreux projets qui « agissent » sans certification, et après, ils ne peuvent pas avoir  des unités à vendre, des crédits carbones à vendre. Mais, on peut voir les choses différemment.  Si on avait de plus en plus de projets qui obtenaient en amont une certification, on pourrait créer un rapport de force, parce que cela permettrait aux Etats de  catalyser tous les financements verts.  On leur servirait sur un plateau la possibilité d’avoir des réceptacles d’investissement de fonds internationaux. Parce qu’effectivement la question du financement Nord-Sud est complexe, et souvent on veut savoir par quel canal obtenir ces fonds Nord-Sud. Le Sud ne voit d’ailleurs pas grand-chose arriver. Par contre, si on jouait le jeu de la communauté internationale, en obtenant des certifications, cela pourrait avoir des effets positifs.

 

Mais, comment se porte  le marché du carbone ?

La situation du marché est toujours dynamique même si  depuis trois ans et demie voire quatre ans, on tutoie un niveau zéro. Mais il y a des signaux  de redémarrage  qui sont liés à plusieurs phénomènes conjugués. Le premier c’est le secteur aérien qui a signé un accord contraignant  avant la COP 22 de Marrakech. Là, on attend des critères d’éligibilité des crédits qui sont  éligibles pour  les achats des compagnies aériennes. Il est très probable que cela soit au bénéfice et en faveur de l’Afrique. On parle de centaine de millions de tonne de CO2 potentiellement à compenser par les compagnies aériennes. Là c’est très sérieux. Le secteur maritime est en train de réfléchir à copier-coller ce qu’a fait le secteur aérien au niveau de leur organisation professionnelle internationale. On a une demande qui est en train de revenir.  On vient récemment de  signer  un contrat de vente à terme de 2 millions de tonnes de crédits africains à des coréens. Il y a une très forte  demande venant de ces pays émergents qui est liée au fait qu’ils instaurent  eux-mêmes des plafonds d’émission pour leurs industriels et les autorisent à avoir recours aux mêmes instruments que ceux de l’Union Européenne.

 Pourquoi les pays émergents s’intéressent-ils au crédit du carbone africain ?

Pour le moment, La plupart de ces pays, Mexique, Chine, Turquie, et même la Corée du Sud autorisent l’achat du crédit carbone uniquement au niveau domestique …Mais on est train de voir que ça  cela se  craquelle…Et que la Corée du Sud est en train de réfléchir à l’acquisition de crédits internationaux. Ils ne vont surtout pas se retourner vers leurs voisins chinois et les chinois ne vont pas aller chez les brésiliens. Cette nouvelle configuration [l’achat des crédits carbones africains par les pays émergents] est un élément  favorable pour l’Afrique. Autre aspect favorable : à partir de 2020, il y a à peu près 80 Etats qui achèteraient du crédit carbone pour remplir les engagements liés à l’Accord  de Paris qui entrera en vigueur à ce moment-là.  On sent quand même que chez certains il y a une volonté d’utiliser des fonds souverains et il est possible que des fonds souverains soient recréés. La Nouvelle Zélande  s’est récemment  prononcée pour l’achat de crédit carbone à partir 2020,  la Suisse aussi et d’autres Etats ont aussi évoqué cette perspective.

Quelles sont les failles des marchés actuellement ?

Aujourd’hui, malheureusement, on est dans une période intermédiaire, où on est obligé de beaucoup monétiser  sur les marchés volontaires, donc sur les entreprises, pour soutenir les projets. Mais la demande n’est évidemment pas très volumétrique et ce qui est compliqué, c’est que le crédit carbone sur ce marché n’est pas très fongible. On ne pas vendre à un acheteur de la même manière un crédit  de carbone qui provient d’un projet  hydroélectrique à Madagascar ou d’un projet solaire au Sénégal. Les besoins de cet acheteur sont différents en fonction des pays : quand il acheteur  s’engage, il s’engage pour des besoins de communication liés à un projet ciblé. 

 Y a-t-il un engagement de l’Afrique sur un prix du carbone potentiel ?

Il commence à y avoir une compréhension pour la finance climat, l’accès aux capitaux internationaux, aux investissements, aux fonds internationaux, toute cette communauté d’investissement pour les projets bas carbone. Donc, il faut s’inscrire dans cette dynamique pour pouvoir bénéficier de la manne de la communauté internationale. Il y a la Banque Africaine de Développement, des banques multilaterales régionales. Nous avons signé la récemment un accord cadre  avec une banque africaine de développement, la Banque Ouest Africaine de Développement ( BOAD).  Cet accord cadre visera à beaucoup mieux structurer  et a  crée un rapport de force avec le soutien des Etats. Ces Etats pourront ainsi porter un portefeuille de crédits carbones africains, et donner une visibilité au continent. L’Afrique, ainsi, ne demandera pas  à la communauté internationale, non pas l’aumône, mais une juste rémunération des efforts qui ont été consentis par des porteurs de projets africains, en dehors de toutes obligation. C’est donc, à mon avis, un axe qui peut être porteur, parce qu’il faut une pression conjuguée du secteur privé, de l’Etat, et des institutions parapubliques. Nous, on ne peut pas le faire seul. Nous ne sommes pas l’Afrique. On ne représente pas l’Afrique. Il faut que notre action soit partagée.

Quel est le rapport entre vos activités et  le Medef international ?

Il n’y a aucun lien entre la finance climatique et le Medef international. Par contre,  à titre personnel,  je coordonne un index international, le UP 40 qui rassemble  40 start up françaises les plus actives en Afrique, avec deux idées sous-jacentes, donner une visibilité à des trajectoires d’entrepreneurs en Afrique et des trajectoires qui sont à succès. Nous voulons  casser cette idée inexorable du déclin qui est présentée  partout comme étant l’alpha et l’omega. Second point : la France change  aussi, plus vite que le regard portée sur elle. Nous voulons  donner une nouvelle impulsion aux relations franco-africaines  sur la base d’une stratégie économique qui portent sur trois piliers, le numérique, l’entreprenariat et la transition climatique. Sur le dernier point, il y a un rattachement. Ces thématiques ne sont pas choisies au hasard. Nous avons choisi la transition climatique, parce tout simplement ça correspond à des problématiques  réelles sur le continent telles que la déforestation, les défis des villes, le rendement agricole. Cela correspond à des expertises clés que nous avons en France. Le digital, le numérique, parce que ça permet de solvabiliser des usages en Afrique et donc de monétiser des produits et des services de nos entreprises.  Enfin, nous nous concentrons sur l’entreprenariat, parce qu’on croit, premièrement, que le flux de jeunes africains ne pourra pas s’insérer uniquement dans des grandes entreprises du secteur public. Il faut bien qu’il ait des entreprises qui se créées localement. Nous nous ne souhaitons pas faire de transferts [de compétence], nous souhaitons faire des partenariats, des coopérations ad hoc, à géométrie variable, en fonction d’objectif, de captation de marché très précis : exemple un appel d’offre sur les lampadaires solaires. On va à Bamako, une de nos start up va s’associer avec une start up malienne, sur la base de cet objectif de conquête de captation de  cet appel d’offre. Nos alliances sont d’autant plus fortes qu’elles sont fondées justement  sur des objectifs précis, elles se nouent et se dénouent en fonction d’objectif précis. Elles ne ciblent pas un territoire donné et ça c’est vraiment une nouvelle forme de coopération qu’on souhaite mettre en place qui permettrait d’accélérer le développement des start up locales et donc d’accélérer notre déploiement commercial. Voilà un peu la philosophie de l’index. Il y a tout un nombre d’événements qu’on fait en Afrique, à Paris, en région…qui portent un petit peu cette vision. Evidemment, on a des coopérations croisées entre nous avec des grands groupes français pour avoir un visage « légèrement unifié ».

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