Mediaterre

   

Nucléaire : risque-t-on de supprimer l'entreposage en piscine ?


Alors que la commission d'enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires à rendu son rapport complet début juillet, la question de l'entreposage et du refroidissement des combustibles usés pourrait prochainement être au centre des préoccupations des acteurs de la filière. Si la France a traditionnellement opté pour l'entreposage en piscine, certains appellent aujourd'hui de leurs vœux la mise en place d’un système d'entreposage à sec.

« Concernant le recyclage des combustibles, il va prochainement y avoir un débat public sur le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs ((PNGMDR). Nous verrons à ce moment-là ce qu’il en ressort et nous prendrons acte des recommandations », assurait le 5 juillet Dominique Minière, directeur exécutif en charge de la Production Nucléaire et Thermique d’EDF.

Deux techniques, des avantages différents

Dès juin dernier, à la demande de la commission parlementaire, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) publiait un comparatif des deux techniques de refroidissement des combustibles radioactifs : l'entreposage à sec, et l'entreposage en piscine. A l'aune d'un débat qui pourrait s'avérer décisif pour les orientations futures de la filière nucléaire française, retour sur ces deux méthodes.

Dans chacun des cas, les combustibles usés sont en premier lieu placés dans la piscine du site où se trouve le réacteur concerné pendant trois à quatre ans. Une opération qui vise à faire baisser une première fois le taux de radioactivité, et à pouvoir procéder au transfert des matières.

Ensuite, plusieurs options sont possibles. Dans le cas d'un entreposage à sec, trois techniques majeures peuvent être adoptées : l'entreposage à sec en casemates, en silos ou en emballages. Les avantages de ces techniques sont principalement à considérer en termes de sûreté. En effet, comme l'explique le rapport de l'IRSN, les risques sont moindres.

Tout d'abord, « la radioprotection est assurée par la structure de l'entreposage ». Ensuite, une seconde barrière protège mécaniquement et thermiquement les matières. Troisième avantage, les évacuations de chaleur se font par convection naturelle de l'air. Nul besoin donc d’électricité ou de système de refroidissement par l'eau, ce qui permet d'évacuer tout risque de rupture d'alimentation.

L'un des arguments utilisés par les partisans de l'entreposage à sec est également la plus grande sécurité des installations. Selon le rapport parlementaire publié début juillet, les parois des piscines seraient plus vulnérables dans le cadre d'actes terroristes et de malveillance.

Les limites de l'entreposage à sec

Cependant, cette méthode pâtit de certaines limites techniques. En réalité, selon la puissance thermique des combustibles, les durées de refroidissement sont souvent largement supérieures à celles de l'entreposage en piscine.

Ensuite, l'évolution du processus de refroidissement est difficile puisque les combustibles sont « bunkerisés » dans différentes couches de matériaux hermétiques.

Enfin, moins denses que les entreposages par piscine, les entreposages à sec nécessitent une surface au sol bien plus importante, même si les recherches actuelles visent à tenter de mettre au point des systèmes de superposition des conteneurs.  

Aux Etats-Unis par exemple, premier parc nucléaire mondial, l'entreposage à sec est généralisé depuis les années 80. Les combustibles usés sont généralement entreposés dans des cylindres en inox, eux mêmes entourés d'une couche de béton ou d'acier. A l'inverse, la France a privilégié depuis les années 80 l'entreposage en piscine, notamment dans l'usine de la Hague, où 10 000 tonnes de combustibles seraient entreposées dans 4 bassins.

Mais le 5 juillet dernier, Barbara Pompili, rapporteur de la commission d'enquête sur la sécurité et la sûreté du nucléaire, demandait aux acteurs de la filière d'« envisager l'option du refroidissement à sec ».

L'entreposage en piscine adapté au modèle français ?

L'eau présente l'intérêt de refroidir plus rapidement les combustibles usés. Certains, souvent issus du retraitement, comme le Mox, ont une puissance thermique trop importante pour être entreposés à sec. « En tout état de cause, si l’option de l’entreposage à sec était retenue et compte tenu du temps de refroidissement des assemblages Mox usés, c’est-à-dire vingt ans, une piscine centrale restera toujours nécessaire » affirmait Dominique Minière devant la commission parlementaire.

Le stockage sous-eau permet également une reprise plus facile des combustibles usés en vue du recyclage. La flexibilité de l'entreposage ainsi que le fait de pouvoir contrôler en permanence, et de visu, l'évolution du processus de refroidissement, sont des atouts non négligeables.

C'est sans doute ces raisons qui ont poussé la filière française, qui a choisi d'investir massivement dans le recyclage des déchets, à se diriger vers l'entreposage sous-eau. D'autres pays, comme la Russie ou le Japon, ont adopté la même politique.

En réalité, il est difficile de considérer qu'une technique serait meilleure qu'une autre. Les deux paraissent sûres et efficaces, chacune avec leurs avantages respectifs. Cependant, il s'agit de choix décisifs qui doivent être faits en fonction de la structure, des objectifs et des qualités propres du parc nucléaire de chaque pays.

Le piège de l'idéologie

Ainsi, si la question du choix de la technique d'entreposage fait débat, il faut rappeler que sans les piscines de refroidissement, la filière française serait contrainte de délaisser les programmes de recyclage et de retraitement.

Or il s'agit clairement d'un des domaines où l'expertise française est la plus prisée. Orano (ex Areva) fait en effet figure de leader mondial du recyclage, notamment grâce à la maitrise du combustible Mox, mélange d'oxyde de plutonium issu du traitement des combustibles usés et d'oxyde d'uranium.

Un savoir-faire qui s'exporte depuis de nombreuses années, et jusqu'à aujourd'hui, comme en témoigne la signature en mai dernier d'accords entre Orano et l'Ukraine pour le traitement des déchets de réacteurs VVER 1000 (EPR) du pays.

Mais alors, quelle politique adopter ? « A chaque concept ses usages, ses avantages et inconvénients. L’entreposage en piscine est particulièrement adapté aux combustibles encore très chauds, alors que l’entreposage à sec est réservé aux combustibles suffisamment refroidis », estime le directeur général de l’IRSN, Jean-Christophe Niel. Les deux techniques semblent compatibles, mais le débat risque de ressurgir dans les prochaines semaines.

Alors que le nucléaire reste un domaine éminemment polémique, et que l'on connait les réticences du ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot à son égard, on peut craindre que certaines décisions ne soient prises pour des raisons idéologiques, au détriment d'un pragmatisme traditionnellement de rigueur dans le secteur de l’énergie.  

Déjà début juillet, la publication du rapport parlementaire de Barbara Pompili, ancienne présidente du Groupe écologiste à l'assemblée, a fait grincer des dents. « Les experts mentionnés sont souvent des anti-nucléaire et des choses ne sont pas comprises » avait regretté Dominique Minière, tandis qu'Orano (Ex Areva) dénonçait « un rapport très orienté ».

Le document était cependant loin de faire l'unanimité parmi les membres de la commission. Cinq députés Les Républicains ont dénoncé « un procès contre la filière nucléaire » et qualifient le rapport de « malhonnête intellectuellement ».


Partagez
Donnez votre avis

Conception & Réalisation : CIRIDD - © 2002-2024 Médiaterre V4.0