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Les pays africains doivent comprendre que le secteur informel est une clé de développement inclusif


En s’écartant des normes internationales du travail, l’Afrique subsaharienne, fait une fois de plus exception à la règle pour définir sa propre voie. Puisque la majorité des activités économiques en Afrique sont informelles et que près de 80% du PIB provient du secteur informel, les observateurs et experts furent contraint de légitimer l’informalité comme étant la norme, c’est-à-dire le prisme au travers duquel devait se faire l’analyse des systèmes économiques africains.

A l’origine, le facteur économique (1) était le principal déterminant d’analyse du secteur informel, celui éducatif et culturel (2) permet cependant d’éclairer l’analyse sous un autre angle.

A l’échelle économique, l’informalité remonte bien avant les indépendances à travers les investissements directs étrangers (IDE) des pays occidentaux vers le continent africain. Les pays comme l’Afrique du Sud, le Kenya ou encore la Côte d’ivoire ont su en profiter pendant un certain temps. Dans les années 80, l’échec des politiques d’ajustements structurels (PAS), ont eu des effets dévastateurs (réduction des salaires, diminution des effectifs de la fonction publique, privatisation des entreprises nationales …) sur la population active. La dévaluation du Franc CFA en 1994 va encore davantage fragiliser le marché du travail et contribuer à l’augmentation du nombre d’agents exerçant dans le secteur informel.

En outre, les activités informelles ne se résument pas seulement à des stratégies de survie mais à des choix libres et conscient des populations africaines. On y trouve un certain nombre de véritables micro-entrepreneurs. Il serait donc intéressant de savoir si le niveau d’éducation, et partant de qualification influence cette orientation vers l’économie formelle. Autrement dit, les travailleurs du secteur informel y sont-ils délibérément ou alors c’est toujours un pis-aller, une roue de secours lorsqu’il n’y a plus d’issue dans le secteur public et privé ?

Pierre Tegoum, se penchera sur la question, avec comme cadre d’analyse le Cameroun[1]. Il démontre que l’éducation joue un rôle fondamental dans la situation professionnelle des personnes actives au Cameroun. L’insertion dans le secteur informel y est principalement déterminée par le contexte familial. En outre, la probabilité d’intégrer le secteur informel diminue avec le niveau d’instruction tandis que celle d’être chômeur et d’intégrer le secteur formel augmente avec le niveau d’instruction. Sous cet angle, une mesure préventive pour limiter le taux de travailleurs informel, consisterait à améliorer l’accessibilité et qualité de l’éducation, au moins jusqu’au premier cycle de l’éducation secondaire.

A l’échelle universitaire, il faut encourager les jeunes et surtout les femmes, vers des spécialisations comme l’ingénierie, l’industrie manufacturière, la construction, l’exploitation des ressources naturelles et l'agriculture. Les plus grands employeurs en Afrique sont les secteurs de commerce de détail, l'agriculture et l’industrie hôtelière. D’où la nécessité de rendre les compétences techniques et professionnelles plus attractives et séduisantes aux yeux des femmes et des jeunes.

La précarité et la faible voire absence de sécurité sociale pour les travailleurs du secteur informel sont les principales causes du désintérêt des jeunes pour ce secteur pourtant crucial des économies africaines. Le secteur informel absorbe désormais plus de la moitié de la main-d’œuvre mondiale et recouvre plus de 90% des PME. Une étude de la Banque Africaine de Développement (BAD) révèle qu'en Afrique subsaharienne seulement, l'emploi non rémunéré représente plus de 80 % de l'emploi total pour les femmes et plus de 60 % pour les hommes. Neuf travailleurs sur dix, ruraux et urbains, ont des emplois informels en Afrique.

Au-delà des facteurs économique et éducatif, nous pensons qu’il est également important de considérer la dimension socioculturelle. « La vitalité du secteur informel s’explique aussi par l’immersion de ses pratiques dans les aspects socioculturels de chaque pays —proximité, solidarité, liens sociaux forts, sentiment d’appartenance familiale, ethnique, clanique, etc. » relève l’économiste Kako Nubukpo, chercheur invité à Oxford.  En effet, certains travailleurs évoluent dans le secteur informel tout simplement parce qu’il s’agit d’une activité économique intergénérationnelle, d’un métier transmis d’un parent à un enfant. Il est donc difficile pour eux de s’imaginer dans une autre posture ou situation professionnelle.

C’est au regard de ces facteurs que nous estimons nécessaire de considérer le secteur informel comme normal en Afrique. « Un marché du travail qui fonctionne bien n’est pas nécessairement synonyme d’un marché du travail formel[2]» nous rappelle, à ce propos, Martin Rama, dans sa préface d’une étude de l’AFD (2013) sur les marchés urbains du travail en Afrique Subsaharienne. Dans les pays industrialisés, les marchés du travail sont le lieu de rencontre entre l’offre et la demande. Or dans un environnement africain où l’auto-emploi et le micro-entrepreneuriat constituent le mode dominant d’insertion sur le marché du travail, la frontière même entre offre et demande de travail devient floue. D’où l’importance de comprendre et intégrer l’économie informelle dans sa complexité et son hétérogénéité, pour en faire un véritable levier de croissance inclusive et durable pour le continent.

 Enfin, nous signalons que notre objectif n’était point de faire l’apologie de l’informalité, mais de le présenter comme étant une conséquence de politiques publiques inadaptées, de la mauvaise implémentation des réformes, de l’excès d’interventionnisme et aussi le fruit d’un libre choix. La formalisation en elle-même n’est pas à sanctionner, c’est un objectif de développement qui rendra la société plus stable », une alternative pour un modèle de croissance inclusif.

 

[1]Pierre Nguetse Tegoum, « 2.2. Analyse des rendements de l’éducation dans le secteur informel au Cameroun [40] », L’économie informelle dans les pays en développement, 2012, 1129.

[2]DE VREYER Philippe et ROUBAUD François, éd., Les marchés urbains du travail en Afrique subsaharienne, IRD/AFD, Africa Development Forum (Marseille: IRD Éditions, 2013)., p. 11.

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