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Microfinance : quel rôle pour les organisations de solidarité internationale ?


Le secteur de la microfinance a connu en quelques décennies une expansion incontestable. La maturité de ce dernier et sa financiarisation croissante, ainsi que le « boom technologique » des pays en développement, ont poussé les organisations de solidarité internationale à se repositionner en proposant de nouveaux modes d’intervention. 

Le 4 février dernier, à l’occasion d’un événement organisé par le Gret, des experts de la microfinance se sont rencontrés afin d’échanger sur la façon dont les évolutions et tendances du secteur de la finance inclusive ont pu infléchir le mode opératoire des organisations de solidarité internationale  en France et en Europe ces dernières années.

Appuyés par sa direction scientifique, les experts « microfinance » du Gret ont réuni une quarantaine de praticiens issus d’opérateurs techniques, de bureaux d’étude, de bailleurs, ou encore de fonds d’investissement ou de fondations dans les locaux du Gret, sur le site de la Cité du développement durable.

Des experts de l’agriculture et des énergies vertes étaient aussi présents pour mettre en perspective les problématiques de microfinance abordées. Au-delà de créer un moment de prise de recul et d’échanges entre pairs, cette première édition devait parfaire l’exercice stratégique du Gret et son partage avec les praticiens présents sous un angle prospectif.

Les échanges de la journée ont été compilés dans une publication récente éditée par le Gret dans la série Débats & Controverses, dont le contenu alterne entre restitutions des échanges de la table ronde, et synthèses des discussions.

Quels engagements des bailleurs de fonds en faveur de l’inclusion financière ?

L’intervention du CGAP (Consultative Group to Assit the Poor), dont les travaux de recherche orientés vers l’action permettent d’avoir une vision plus transversale du secteur, s’est focalisée sur les évolutions du financement .Le CGAP a identifié différentes tendances qui caractérisent le secteur de la microfinance aujourd’hui :

  • Une croissance continue des engagements publics, en particulier des institutions nationales et internationales de financement du développement, qui ont augmenté de 54 % depuis 2011 pour atteindre près de 40 millions d’euros en 2017. Ainsi, on note que 70 % des investissements proviennent du secteur public.
  • Une diversification des prestataires de services financiers avec l’évolution de leur modèle économique du fait de la répartition différente de la manne financière, en particulier avec la finance numérique. On note également une baisse de la part des financements alloués au gouvernements.
  • Un changement de priorité géographique du secteur, voire géopolitique avec notamment la primeur donnée au développement du marché en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud, dont le niveau d’inclusion financière reste faible et le niveau de pauvreté élevé.
  • Une évolution des instruments financiers, avec le maintien de l’instrument de la dette et une baisse des subventions dont la raison est encore hypothétique (projets arrivant à terme, subventions dirigées vers les pays les plus pauvres et dont les montants sont plus faibles).

Ainsi, l’aide internationale évolue. La microfinance est passée d’une conception « traditionnelle », où elle consistait à lutter contre la pauvreté des ménages, à une vision plus élargie et inclusive. La microfinance s’inscrit désormais comme une méthodologie d’intervention et un outil transversal aux services d’enjeux de développement plus globaux, vecteurs de création d’emplois et de réduction des migrations.

Quels modes opératoires pour les organisations de solidarité internationale ?

Des organisations de solidarité internationale comme  l’Iram, Pamiga, Entrepreneurs du Monde, Ada – et le Gret – ont ainsi témoigné lors de cette journée. Elles sont revenues sur leurs engagements et les changements stratégiques amorcés au cours de ces dernières années pour répondre aux nouveaux enjeux de la microfinance et continuer ainsi à jouer un rôle dans ce secteur.

Toutefois, la question de la solidité de ces organisations se pose. Sont-elles suffisamment structurées pour maintenir des activités de finance inclusive ? Plusieurs perspectives se dessinent :

  • La première consiste en l’élaboration d’alternatives aux cas commerciaux, dans une approche de type recherche-action. Ainsi il s’agirait de rechercher de nouvelles solutions efficientes pour les populations, non desservies, de lancer des expérimentations graduelles de modèles qui pourraient ensuite être portées par les gouvernements, ou bien d’initier des actions de plaidoyer sur des thématiques oubliées par les agences et les gouvernements, avec la finance inclusive comme levier de sortie de crise (par exemple concernant les camps de réfugiés).
  • La seconde consiste à s’adapter à la finance inclusive et à la considérer comme un outil au développement de certains secteurs. C’est un vecteur et outil de contribution à l’agriculture durable, à la transition énergétique, à l’insertion professionnelle, à la création d’entreprise, etc.
  • Enfin, le dernier axe envisagé concerne la finance numérique. Devenue incontournable sans être une fin en soi, elle permettrait de faire évoluer le secteur et de faciliter l’atteinte des objectifs de développement durable (ODD), de couvrir les populations rurales et d’ouvrir à de nouvelles solutions de services, en complément d’autres modèles. Le contexte est en effet marqué par une compétition attirant de nouveaux acteurs, tels que les opérateurs de téléphonie mobile, qui renforcent leur logique de marché tout en ayant de fortes capacités d’investissement. Ils peuvent potentiellement occuper une position dominante dans les services financiers numériques, sans toutefois apporter une qualité et proximité avec le service. L’inclusion financière (élargissement de l’accès aux services bancaires) ne signifiera pas nécessairement finance inclusive (autonomisation des clients). Les organisations de solidarité internationale, notamment, via leur proximité avec les besoins réels, ont là un rôle à jouer dans l’équilibre des rapports de force au service des populations vulnérables.

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