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Autoroute : les stratégies bas carbone, au plus près du terrain


Le secteur autoroutier tricolore a entamé une révolution menant à la décarbonation de ses infrastructures. Dans différentes régions de France, des tronçons font aujourd’hui la part belle aux modes de construction et d’utilisation bas carbone. Mais la route est encore longue car les investissements devront être massifs dans les années à venir. 

Entre 60 et 70 milliards d’euros. La facture de la décarbonation du secteur autoroutier sera corsée, et partagée entre tous les grands opérateurs privés sous contrat avec l’État pour la gestion, la maintenance et la transformation des infrastructures dans les années à venir. En France, les 12000km d’autoroutes représentent 25% des émissions de gaz à effet de serre des transports qui eux-mêmes représentent 31% du total des émissions françaises de GES. Autant dire que le secteur – mis au banc des accusés pour son impact sur le climat – a une carte à jouer significative, ce qu’ont bien compris à la fois les pouvoirs publics et les sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA). « Les autoroutes sont essentielles au développement de notre pays et à l’aménagement du territoire, a souligné le Premier ministre Jean Castex en décembre dernier lors de l’inauguration d’un tronçon de contournement de Strasbourg. Améliorer les routes, c’est améliorer très concrètement le quotidien de nos concitoyens, […] c’est désenclaver et desservir certains territoires. » Reste maintenant à généraliser les solutions proposées pour cette fameuse décarbonation.

Signer des conventions à l’échelon local

En décembre dernier également, Tours Métropole Val de Loire et Vinci Autoroutes ont signé une convention bas carbone afin d’intégrer l’autoroute dans son environnement urbain et périurbain. L’objectif affiché est de permettre l’essor de mobilités collectives et partagées, et d’accélérer l’installation des bornes de recharge électrique. « Cette convention comporte plusieurs volets, détaille Marc Bouron, directeur général adjoint de Vinci Autoroutes. Il y a un premier volet de mesures pour lutter contre l’autosolisme et favoriser le transport en commun avec par exemple l’installation de parcs d’échange multimodaux ou de parkings de covoiturage. Il y a également un volet sur l’amélioration de l’accessibilité à la métropole de Tours avec un nouvel échangeur du côté de Rochepinard. Et enfin, il y a un volet sur l’intégration environnementale et paysagère de l’autoroute A10 dans ce secteur très dense. » 

Cette convention de 100 millions d’euros est venue parachever des politiques mises en place depuis plusieurs années avec les collectivités locales de l’agglomération de Tours. Dans la pratique, cela se traduira par exemple avec ce nouvel échangeur (25 millions d’euros) destiné à délester le réseau local souvent congestionné. « Cette convention résulte d’une triple nécessité : l’urgence climatique, celle de réunir un territoire tourangeau scindé en deux, celle de repenser l’usage de l’autoroute », a souligné Frédéric Augis, président de Tours Métropole Val de Loire. Dans les cartons, plusieurs projets complèteront le nouvel échangeur : une voie sur l’A10 réservée aux transports collectifs, la végétalisation des infrastructures et surtout l’aménagement de plusieurs pôles multimodaux, reliant autoroute, gare TGV, passerelles pour vélos…

La métropole de Tours a probablement gardé un œil sur ce qui se passe en région Provence Alpes Côte d’Azur depuis 2019 et la signature d’une convention similaire (40 millions d’euros). Trois ans plus tard, les travaux d’aménagement vont bon train et devraient s’achever en 2023 avec la modernisation de plusieurs aires, comme celle l’aire de l’Arc au pied de la montagne Sainte-Victoire. Au programme ici également : place accrue à l’autopartage et généralisation des bornes de recharge haut débit.

Des initiatives au plus près du terrain

Sur le terrain, l’autoroute bas carbone se décline en de nombreuses variations. La fluidité du trafic par exemple est au cœur de la stratégie du groupe Sanef qui implante en ce moment même un système de péage sans barrière sur l’autoroute A13 entre Paris et Caen. Objectif : réduire les bouchons. « L’autoroute A13 est une autoroute qui a un trafic extrêmement saisonnier, avec des pics très importants le week-end, explique Arnaud Quémard, directeur général du groupe Sanef. C’est aussi une autoroute avec des péages ouverts, avec des sommes forfaitaires, sans prendre de ticket. Entre Paris et Caen, on peut s’arrêter jusqu’à cinq fois, ce qui génère des embouteillages et donc de la consommation de carburant en plus. Une barrière classique de télépéage est franchie à 30km/h, là on ne ralentira pas du tout. Fondamentalement, c’est avant tout un projet écologique : tous les ans, ce seront 30000 tonnes de CO2 économisées, soit la consommation annuelle de 11000 véhicules. Cela signifiera aussi du pouvoir d’achat pour les 7,5 millions d’usagers de l’A13 tous les ans. » Pour Sanef, le démontage des anciens péages et l’installation des portiques intelligents représentent un investissement de 120 millions d’euros.

Parmi les sociétés concessionnaires d’autoroutes, il y a les grands noms du secteur comme Vinci ou APRR opérant sur tout le territoire français, ainsi que des PME indépendantes exploitant des tronçons régionaux. C’est le cas par exemple d’ALiS (Autoroute de liaison Seine-Sarthe), pour l’autoroute A28 entre Rouen (Seine-Maritime) et Alençon (Orne), qui a mis l’implication des associations locales au centre de sa politique de décarbonation. « D’ici 2025, ALiS projettera son bilan carbone actuel pour piloter sa stratégie de réduction des gaz à effet de serre selon la méthodologie ‘Science-Based Target’ avec pour objectif une neutralité carbone ‘Net Zéro’ à l’horizon 2050 au plus tard, assure l’entreprise dirigée par Antoine Tréboz. ALiS travaillera, notamment avec des associations locales, pour préserver les écosystèmes d’eau douce, les sols, les milieux naturels et les habitats afin de sauvegarder et protéger la biodiversité. ALiS intègre la durabilité de son exploitation (notamment bilan carbone Scope 1 & 2 dès 2021, Scope 3 complet en 2023) et veillera à limiter son impact environnemental global (CO2 mais aussi biodiversité, déchets et eau) dans le futur. » La limitation de l’impact environnemental se décline donc sur le réseau autoroutier, et en dehors. En collaboration avec le conseil départemental de l’Orne, l’entreprise ALiS finance également des projets de mobilité propre lancés par des acteurs locaux.

A l’État de créer les conditions pour investir

De la région PACA à la Normandie, tous les cas de figure reposent sur le partenariat entre les entreprises privées chargées du développement des infrastructures d’un côté, et les pouvoirs publics – État, régions, départements – de l’autre. La réussite de la décarbonation des autoroutes françaises dans les années à venir dépendra de ce travail conjoint où l’État – bénéficiaire in fine des autoroutes – doit pleinement jouer son rôle de chef d’orchestre. Avec, comme point de mire, l’objectif de ne faire reposer les 60 à 70 milliards d’investissement globaux que sur les entreprises privées et les usagers. 

Car la facture de la décarbonation des autoroutes ne doit pas reposer sur les contribuables, ce qui serait le cas si le réseau venait à être renationalisé. « Il faut accompagner les ménages les plus modestes pour que la transition écologique ne se fasse pas à leurs dépens. La transformation des autoroutes constitue aussi un enjeu social », assure Patrice Geoffron, professeur de sciences économiques à Dauphine. Car l’autoroute verte de demain doit avant tout répondre à une équité sociale tangible. « Nos autoroutes doivent rester un atout pour la France, pour les Français, pour leurs déplacements, avait déclaré le ministre délégué aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari devant le Sénat en 2021. Elles doivent, mieux qu’avant, embrasser les enjeux écologiques et sociaux de notre temps. » Au gouvernement maintenant de créer les conditions optimales pour les investissements des SCA. La France ne peut pas se payer le luxe de rater la transition écologique de la route. Car l’urgence climatique, elle, n’attend pas.

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