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Le NEPAD est-il mal parti? Réflexions sur la situation actuelle de l'Initiative NEPAD



  • Nous avons reçu dde M. Mutima Sakrini Herman, Secrétaire Général de l'Union des Produteurs, Transporteurs et Distributeurs d'Énergie électrique en Afrique (UPDEA) la note ci-dessous dans laquelle il fait part de ses réflexions et suggestions sur le NEPAD au sortir d'un Séminaire régional (Tunis, 13-15 juillet 2005) centré sur la mise en oeuvre du Plan à court terme du (PACT) du NEPAD. Il s'agit, comme il l'indique, de sa "contribution à la matérialisation du NEPAD".

    Sibi Bonfils, IEPF
    sibi.bonfils@iepf.org


    LE NEPAD EST-IL MAL PARTI?

    « REFLEXIONS SUR LA SITUATION ACTUELLE DE L’INITIATIVE NEPAD »

    Par Ir. MUTIMA SAKRINI Herman
    Secrétaire Général de l’UPDEA

    Lancé en 2001 par les Chefs d’Etats Africains, le NEPAD avait suscité beaucoup d’espoir auprès de l’élite africaine et des partenaires au développement en ce qui concerne l’accélération du processus du développement de l’Afrique.

    Quatre années après, force est de constater que très peu de résultats ont été atteints. Les Chefs d’Etat eux-mêmes ont eu à faire ce malheureux constat dernièrement.

    La question maintenant est de savoir pourquoi ce faible niveau de résultats. Où se situe le blocage ? Réunis en séminaire à Tunis du 13 au 15 juillet 2005 par le Secrétariat du NEPAD et la BAD, les représentants des Communautés Economiques Régionales, des Organisations sectorielles continentales africaines, des partenaires au développement, du secteur privé et de la Société Civile ont fait la revue de la mise en œuvre du Plan à Court Terme (PACT) du NEPAD pour l’année 2004.

    Au sortir de cet atelier, où beaucoup d’experts ont pu s’exprimer, y compris nous-mêmes, il nous est apparu important de synthétiser dans une note nos réflexions afin d’apporter notre modeste contribution à la matérialisation du NEPAD en analysant quelques domaines clefs.

    a) Du Concept NEPAD

    Il nous semble qu’il y a un décalage entre le sens que les Chefs d’Etats ont du
    NEPAD et sa compréhension par l’élite africaine, chargée de matérialiser ce concept sur le terrain. Sauf erreur de notre part, le NEPAD est le résultat d’un malheureux constat établi par les Chefs d’Etat qui ont réalisé que l’Afrique demeure le continent le moins développé du monde, malgré ses nombreuses ressources naturelles et humaines ainsi que d’importants fonds qui ont été consacrés sous forme de crédit ou d’aide au développement. Ils se sont interpellés eux-mêmes et interpellé les partenaires de l’Afrique afin que la question du développement de l’Afrique soit abordée autrement qu’il ne l’a été jusqu’à présent. Au lieu de considérer l’Afrique comme un "éternel assisté", ils préconisent des relations "gagnant-gagnant" avec les partenaires. C’est pourquoi ils ont parlé de "Nouveau Partenariat".

    Que constate-t-on malheureusement à ce sujet ? Quatre ans après, ce partenariat n’est toujours pas établi.

    A la place d’un partenariat, il a été mis en place un programme dont le premier module, le PACT (Plan d’Action à Court Terme) pour les infrastructures, peine à se mettre en place car "l’esprit NEPAD ne semble pas y être. Cet état d’esprit qui voudrait que chaque acteur du développement de l’Afrique agisse différemment que dans le passé en explorant des nouvelles voies, notamment en ce qui concerne les modes de financement des projets.

    En ramenant le NEPAD à un programme, mieux à des listes des projets dits prioritaires, sans y insuffler l’esprit nouveau, on a, sans le vouloir, lancé la compétition entre pays sur : "qui aura le plus de projets dans le programme NEPAD ?" ainsi qu’entre les projets nationaux et les projets impliquant plusieurs pays ;

    Appliquant le principe qui veut que la charité bien ordonnée commence par soi-même, les Pays donnent priorité à des projets qui les intéressent eux-mêmes (projets nationaux) plutôt qu’à des projets régionaux qui selon eux doivent être pris en charge par le NEPAD.

    Dans cette atmosphère, on ne voit pas la différence entre la situation d’avant et d’après l’avènement du NEPAD. Car en effet, il convient de souligner que la promotion des projets intégrateurs (du moins dans le secteur de l’électricité) n’a pas attendu le NEPAD. Dans les années 70, 80 et 90, il y a eu des lignes HT d’interconnexion électriques entre pays africains qui ont été construites en Afrique du Nord, de l’Ouest, du Centre et Australe, témoignant ainsi d’une réelle volonté d’intégration entre les pays concernés. Ce qui est attendu du NEPAD, nous semble t-il, c’est de renforcer, promouvoir et harmoniser ces initiatives plutôt que de vouloir établir des programmes continentaux.

    b) Des rôles des différents acteurs

    La mise en œuvre du NEPAD fait intervenir plusieurs acteurs dont :
    - Le Secrétariat du NEPAD (SDN)
    - Les Communautés Economiques Régionales (CER)
    - Les Pays
    - Les Partenaires au Développement
    - Les Organisations Sectorielles Continentales
    - Le Secteur Privé
    - La Société Civile

    Il apparaît à ce niveau une certaine confusion dans les rôles des uns et des autres.

    Il a été rappelé lors du séminaire susmentionné que le SDN et les CER jouent le rôle de facilitateur tandis que les Pays conservent leur rôle d’agents d’exécution des projets. Quelle différence alors avec le passé ?

    Il faut rappeler, que pour les Chefs d’Etat, initiateurs du NEPAD, cette initiative est conçue comme un plan global à l’échelle du continent mais que son opérationnalité passe par les CER, comme espace primaire opératoire, plutôt que par les Etats, à cause de l’étroitesse des marchés qu’ils représentent.

    Agir autrement que dans le passé aurait amené à redéfinir les rôles. Le NEPAD s’occupant des projets régionaux, il aurait été plus compréhensible que les acteurs de la promotion de l’intégration régionale, à savoir les CER, puissent jouer un rôle plus actif que celui de simple facilitateur. Dans cette optique, c’est à elles que devraient au moins revenir la transmission des requêtes aux bailleurs de fonds s’agissant des études des projets intégrateurs relatifs à leurs régions respectives. De façon plus globale, il s’agirait pour les CER de prendre en main le processus de recherche et de mobilisation de financements pour les projets d’intérêt communautaire, les Pays jouant ce rôle en ce qui concerne les projets d’intérêt national.

    Pour n’avoir pas évolué vers ce schéma qui responsabilise plus les CER, beaucoup de projets d’intérêt communautaire sont bloqués au stade de leur démarrage par manque de requête venant des pays chargés de s’en occuper
    ou suite à des mésententes entre pays impliqués dans un même projet.

    En ce qui concerne spécifiquement le Secrétariat du NEPAD, sa tâche, à ce stade de cette initiative, devrait concerner principalement la vulgarisation de "l’esprit NEPAD" de façon à ce que dans chaque pays, les décideurs, les experts et les populations puissent en comprendre le sens profond et l’adopter. A l’extérieur du Continent, le SDN devrait continuer à mener des campagnes d’explication et de sensibilisation auprès des partenaires au développement.

    La définition des programmes dans les différents domaines doit demeurer l’apanage des différentes CER, le Secrétariat du NEPAD veillera à ce que ces programmes soient harmonisés, pour ce qui concerne des infrastructures appelées à traverser ou relier plusieurs sous-régions.

    En cette matière, les organisations sectorielles continentales, comme l’UPDEA pour l’électricité, APPA pour le pétrole-gaz, UAC pour les chemins de fer, RASCOM pour les télécommunications, etc.… ont un rôle capital à jouer.

    C’est à elles que le SDN devrait confier la tâche d’harmoniser les programmes d’infrastructures des CER étant donné qu’à terme, il faut avoir à l’esprit l’interconnexion de ces infrastructures au niveau continental. Ayant des compétences techniques, ces organisations pourront se prononcer sur les caractéristiques techniques des ouvrages, les normes et standard à utiliser etc…

    En voulant faire croire aux pays qu’il y avait un Programme NEPAD, le SDN est tombé dans un mauvais piège. Depuis le début, les gouvernements des pays africains ont cru et ils continuent de croire que c’est au SND qu’il revient de mobiliser les financements auprès des Partenaires pour leurs projets inclus dans le programme NEPAD, eux ne devant que lancer les appels d’offres et s’occuper de l’exécution des projets sur site. Et comme le SDN n’amène pas de financements, alors les pays sont très déçus.

    Certains n’hésitent plus à se demander : à quoi sert le SDN si tout se fait comme avant.

    En ce qui concerne les Partenaires au Développement, il doivent peser de leurs poids pour que les Pays adoptent des méthodes de bonne gouvernance dans tous les secteurs de la vie nationale ; une bonne gouvernance où la corruption serait combattue avec la dernière énergie, une bonne gouvernance où les lenteurs administratives au traitement des dossiers devront être stigmatisées, etc..

    Au plan interne, les Partenaires au Développement devront se faire violence en remettant en question beaucoup de dispositions de leurs procédures de mobilisation des fonds, de préparation des projets, d’appel d’offres, de décaissement des fonds, de suivi de l’exécution, etc… afin d’accélérer la réalisation des projets.

    Les procédures actuelles suivant lesquelles il peut facilement se passer deux à trois ans entre la date de l’introduction de la requête et le démarrage effectif de l’étude ou des travaux sur site ne sont pas de nature à soutenir le concept NEPAD. Là aussi, agir autrement devrait signifier le changement des procédures en adoptant des procédures simples et rapides, la situation du sous-développement de l’Afrique étant très critique.

    Quant aux Pays, ils doivent créer dans leurs territoires respectifs un climat de confiance qui permettrait aux investisseurs notamment au secteur privé de s’installer, un climat de confiance qui réduirait les " risques pays".

    Les gouvernements doivent afficher clairement leur volonté politique d’œuvrer pour une intégration rapide des économies africaines notamment en réalisant des actions qui leur reviennent et qui ne demandent pas de sorties de fonds ou des devises étrangères ; ex. la suppression des barrages routiers, la simplification de la circulation des biens et des hommes d’affaires, etc…

    En effet, dans bien de pays, les hommes d’affaires rencontrent autant de difficultés pour avoir un visa d’entrée qu’un touriste ou un réfugié économique.

    Agir autrement veut dire que là aussi les procédures doivent évoluer.

    Concernant la société civile, elle doit jouer un rôle de groupe de pression face aux différents acteurs cités ci-dessus afin de faire entendre la voix des populations.

    c) Concernant les programmes intégrateurs

    Pour crédibiliser le NEPAD, il faut que les populations voient des réalisations concrètes, même s’il s’agit des petits projets.

    A ce sujet, des projets simples mais à grand impact social et politique comme l’électrification des localités transfrontalières devront être soutenus et réalisés.

    En effet, avec des enveloppes variant entre 800 000$ à 10.000.000$ par projet, des populations frontalières situées près d’un réseau électrique du pays voisin peuvent y être branchées en quelques mois, leur apportant ainsi confort, possibilités d’entreprendre, réduction de l’exode rural en plus de la réduction des risques de conflits politiques à ces frontières.
    En effet, les deux communautés situées de part et d’autre de la frontière, en partageant désormais la même électricité, sont appelées à mieux se solidariser et à éviter de poser des actes de nature à nuire à l’autre d’autant plus que très souvent, elles parlent la même langue.

    Dans d’autres secteurs que celui de l’électricité, on pourrait aussi trouver de petits projets de ce genre et qui ont un grand impact politique et social.

    d) Conclusions

    Le NEPAD a été conçu comme une stratégie pour assurer à l’Afrique un développement durable au 21ème siècle.

    Dans cette perspective, il est impérieux qu’il y ait un vrai changement dans l’esprit de acteurs africains et étrangers chargés de le matérialiser par des actions et projets spécifiques.

    A ce niveau, on observe actuellement un décalage entre la conception originale du NEPAD et les mécanismes chargés d’assurer son effectivité : les différents acteurs continuent de jouer les mêmes rôles que par le passé, les modes de financement restent pratiquement les mêmes, les procédures de mobilisation des fonds gardent toujours leur lourdeur administrative, etc…

    Dans ces conditions, ne risque t-on pas de donner raison à ceux qui affirment que le NEPAD est mal parti ?


    Bibliographie
    - Conférence des Chefs d’Etat sur la participation du secteur privé au financement du NEPAD – Rapport Général : Dakar 15,16 et 17 avril 2002
    - NEPAD , Infrastructure short term Action Plan (STAP) review of Implementation Progress and the way forward, AfDB, May 2003

    Contacts: updea.org@aviso.ci; secgen@updea-africa.org



    Biographie
    Monsieur Mutima Sakrini Herman est Secrétaire Général de l’UPDEA (Union des Producteurs, Transporteurs et Distributeurs d’Energie électrique en Afrique) depuis le 1er Octobre 2001. Ingénieur Electricien diplômé en 1976 et Spécialiste en Planification énergétique, il a occupé plusieurs postes de Direction au sein de la SNEL (RDC) / Directeur de l’Equipement - Directeur de la Planification - Directeur Recherche & Développement puis Conseiller du Président Directeur Général de la SNEL avant d’être nommé au poste actuel.
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