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LIENS ENTRE LA DESERTIFICATION ET LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES



  • INTRODUCTION

    Lors de la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement (CNUED) tenue à Rio de Janeiro en 1992, les pays participants se sont mis d’accord sur un certain nombre d’instruments internationaux, notamment la Convention-cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) et la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la Désertification (CCD). Ces deux conventions spécifiques sont néanmoins liées par le fait qu’elles portent sur différents problèmes d’environnement et de développement. Ainsi, dans le cadre d’un développement durable préconisé par l’Agenda 21, les solutions apportées par l’une ne devraient pas poser de problèmes pour les autres conventions, quoique ces instruments ne paraissent pas liés. L’objectif de notre présentation est d’examiner les liens qui existent entre la désertification et les changements climatiques, et de montrer les points d’ancrage possibles pour des solutions communes. Pour cela nous présenterons d’abord la désertification et les changements climatiques, avant de montrer les interactions – notamment les impacts en Afrique --, et les possibilités de lutte commune qu’offrent les deux conventions.

    I. Désertification et Changements climatiques
    1.1 Désertification : Définition, Causes et Importance

    La Convention des Nations Unies sur la lutte contre la Désertification (CCD) définit la désertification comme " la dégradation des terres dans les zones arides, semi-arides et subhumides sèches par suite de divers facteurs, parmi lesquels les variations climatiques et les activités humaines ". En ce sens, la dégradation des terres désigne la diminution ou la disparition, dans les zones sus-mentionnées, de la productivité biologique ou économique et de la complexité des terres cultivées non irriguées, des terres cultivées irriguées, des parcours, des pâturages, des forêts ou des surfaces boisées du fait de l’utilisation des terres ou d’un ou de plusieurs phénomènes, notamment de phénomènes dus à l’activité de l’homme et à ses modes de peuplement, tels que l’érosion des sols causée par le vent et/ou l’eau, la détérioration des sols, et la disparition à long terme du couvert végétal.
    Ainsi, la désertification constitue un processus subtil et continu dû à deux grands facteurs qui agissent souvent de concert : les phénomènes naturels qui se manifestent périodiquement tels que les sécheresses, et l’exploitation et l’abus par l’homme des écosystèmes sensibles et vulnérables des zones sèches. Les causes humaines sont la conséquence de crises sociales qui se répercutent négativement sur l’écosystème. Elles ont trait à :
    • la dégradation des écosystèmes qui entraîne :
    le surpâturage
    le déboisement intensif
    • un bouleversement des systèmes traditionnels de culture résultant en partie d’une pluviométrie déficitaire
    • la rupture de l’équilibre traditionnel entre les activités agricole et pastorale.
    La désertification touche 40 % des terres émergées du globe. Elle affecte directement environ un milliard d’individus dans le monde et en menace des millions d’autres. Une gestion inappropriée des zones agricoles et pastorales, ajoutées aux fréquentes sécheresses, ont fini par augmenter la vulnérabilité des zones arides et exacerber le processus de désertification. Celle-ci se manifeste à travers une érosion accélérée des sols due au vent et aux eaux de ruissellement, une salinisation accrue des sols, une disparition progressive de la biodiversité, une réduction de la productivité des sols. Cela conduit à l’appauvrissement des populations qui dépendent de ces écosystèmes. Il faut noter que la désertification et la sécheresse ne concernent pas que l’Afrique.

    1.2 Changements climatiques

    La Convention-cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques définit quant à elle les changements climatiques comme " les changements de climat qui sont attribués directement ou indirectement à une activité humaine altérant la composition de l’atmosphère mondiale et qui viennent s’ajouter à la variabilité naturelle du climat observé au cours de périodes comparables ". En adoptant cette Convention, il s’agissait de prendre des initiatives pour lutter contre les changements climatiques et leurs effets néfastes, c’est-à-dire les modifications de l’environnement physique ou des biotopes qui exercent des effets nocifs significatifs sur la composition, la résistance ou la productivité des écosystèmes naturels et aménagés, sur le fonctionnement des systèmes socio-économiques ou sur la santé et le bien-être de l’homme.
    Les changements climatiques attendus sont attribués à une augmentation des émissions anthropiques et partant de la concentration des gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère. Ces activités concernent essentiellement :
    • l’utilisation des combustibles fossiles ;
    • la destruction des forêts qui absorbent le dioxyde de carbone ;
    • le changement d’exploitation des terres et les activités agricoles.
    L’échelle de temps de ces changements est de quelques décennies à un siècle ou plus. Le réchauffement global serait la principale conséquence de cette concentration de GES, avec une hausse de la température moyenne globale de surface de 1,5 à 3°C. Selon le deuxième rapport du GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat), ce sont surtout les activités humaines – notamment la combustion des combustibles fossiles, la modification de l’occupation des sols et l’agriculture – qui entraînent une augmentation de la concentration atmosphérique de gaz à effet de serre qui ont tendance à réchauffer l’atmosphère. Ces experts prévoit que les variations de la concentration des GES et des aérosols conduiront à l’échelle régionale et globale, à une évolution des paramètres climatiques ou liés au climat tels que la température, les précipitations, l’humidité du sol et le niveau de la mer. Par ailleurs, la vulnérabilité de certaines collectivités humaines face à des dangers tels que les tempêtes, les inondations et les sécheresses s’est accrue en raison de la croissance démographique et de l’occupation de certaines zones comme les aires de drainage des cours d’eau et les plaines côtières.
    Les changements climatiques peuvent avoir des impacts sur la végétation, les ressources en eau, l’utilisation des terres, la productivité des sols, les ressources naturelles en général. Ces impacts peuvent à leur tour entraîner des conséquences sur la qualité de vie des populations touchées et créer des troubles graves. Dans les zones arides, les changements climatiques risquent d’aggraver le processus de dégradation des sols et de désertification.
    II. Interactions du climat et de la désertification
    Selon le deuxième Rapport d’Evaluation du GIEC, il y aura pour 2100, une augmentation mondiale de la température moyenne de l’air en surface de 2°C par rapport à 1990. D’après les scénarios des scientifiques, les régions arides deviendront plus chaudes et pas davantage humides. Les déserts deviendront par ce fait plus extrêmes. La désertification risque de devenir irréversible d’autant plus que l’environnement deviendra plus sec et que les sols seront dégradés par l’érosion et le tassement. L’adaptation à la sécheresse et à la désertification pourrait reposer alors sur la création de systèmes de production diversifiés.
    Par ailleurs, il faut noter une augmentation de la température moyenne de 1° C suffirait à provoquer des changements climatiques régionaux susceptibles d’affecter la capacité de croissance et de régénération des forêts. Quand on sait que celles-ci ont une importance particulière dans la lutte contre la désertification, on comprend bien le problème.
    En zone sèche, le climat a des incidences sur le sol, la végétation, les ressources en eau et l’exploitation du sol par l’homme. Une augmentation de l’aridité des sols conduirait à la dégradation du couvert végétal, l’augmentation des feux de brousse, l’érosion éolienne, l’érosion due à l’eau de pluie, etc., qui à leur tour, pourraient accentuer les changements climatiques.
    L’augmentation prévue de la température aura sans doute pour effet d’accroître le taux d’évapotranspiration potentielle dans les zones sèches. Plus généralement, les changements climatiques augmenteront les effets de tous les facteurs mentionnés ci-dessus.

    III. Rétroaction de la désertification sur le climat

    Les pressions directes dues à des activités humaines telles que le surpâturage, la surexploitation des terres et le déboisement vont conduire à leur tour à une réduction du couvert végétal, exposant les sols vulnérables à l’érosion. La diminution de la végétation risque d’étendre davantage encore la dégradation des sols par rétroaction entre la surface du sol et l’atmosphère. En effet, la réduction du couvert végétal augmente la rugosité du sol et l’albedo, c’est-à-dire l’accroissement du rayonnement de la surface qui se réfléchit vers l’atmosphère, provoquant ainsi un refroidissement de la surface. Il s’agit là d’un processus complexe qui va avoir des conséquences en chaîne contribuant à l’aggravation des conditions climatiques.
    Les processus physiques des changements climatiques et de la désertification sont intimement liés. Les changements climatiques provoquent la dégradation des terres, et la dégradation des terres aggrave les changements climatiques. D’une part, les changements climatiques réduisent le potentiel des sols, et d’autre part la désertification exacerbe les changements climatiques à cause de la réduction de la végétation qui constitue un puits pour le dioxyde de carbone, le gaz à effet de serre de loin le plus important.
    IV. Implications potentielles attendues pour l’Afrique
    Dans son Deuxième Rapport d’Evaluation, le GIEC a souligné le lien entre les changements climatiques et la désertification. Dans le cas de l’Afrique, les prédictions sont d’autant plus alarmantes que les zones arides occupent 65% de la surface du continent. L’Afrique, comme la plupart des régions en développement, serait plus particulièrement vulnérable aux impacts potentiels des changements climatiques.
    Ceux-ci accentueront la désertification et ses effets dans les zones arides avec des conséquences dans le système de production agricole qui accuse déjà un déficit chronique, l’approvisionnement en eau, les régimes des vents, etc. Les impacts de la rétroaction des changements climatiques sur la désertification se traduiraient par une surexploitation des ressources en eau, des terres, des forêts, et des pâturages conduisant ainsi à l’érosion et la dégradation des sols et autres. Si, à cela, on ajoute la croissance démographique attendue, la vulnérabilité du continent sera encore plus accentuée. Les changements climatiques accentueront donc la vulnérabilité des zones arides.
    Des scientifiques africains, sous la coordination de l’ACMAD, Centre Africain des Applications Météorologique pour le Développement, basé à Niamey au Niger, ont réalisé plusieurs études sur l’impact potentiel des changements climatiques en Afrique. Les conclusions de ces travaux indiquent pour les diverses sous-régions du continent ce qui suit:
    En Afrique du Nord, la détérioration des conditions climatiques a déjà contribué à l’avancée de la désertification, et forcé des populations à migrer en direction des zones côtières les plus peuplées du nord. Ainsi, des terres fertiles qui pourraient être utilisées à des fins agricoles, sont occupées par des habitations urbaines. Actuellement, 50% des besoins alimentaires sont couverts par des importations; mais ce pourcentage est appelé à croître jusqu’à 80% au cours des 50 prochaines années.
    Au Sahara et au Sahel, la sécheresse est appelée à empirer. Les principaux impacts de la baisse de la pluviométrie sont la dégradation des sols, la baisse des productions agricoles et pastorales, et des ruptures chroniques d’approvisionnement en nourriture. On prévoit également des mouvements de populations continus sur une large échelle, une instabilité politique, un accroissement des maladies et une perte significative au niveau de la biodiversité.
    Au Nord-Est de l’Afrique, les événements climatiques extrêmes, à la fois des inondations et la sécheresse, sont vraisemblablement appelés à croître aussi bien en magnitude qu’en fréquence. La dessiccation à laquelle on s’attend aura de graves conséquences sur les économies de l’Egypte et du Soudan qui reposent sur de vastes zones d’agriculture irriguée, des éleveurs, et des réserves en eau pour les habitants des villes et la pêche. On s’attend à ce que la production alimentaire diminue. L’élévation du niveau des mers conduira à la destruction de ressources le long des côtes et au déplacement de populations. Les systèmes de transports et de télécommunications seront également affectés.
    En Afrique de l’Est et en Afrique Centrale, les changements prévisibles en matière de pluviométrie et l’accroissement des périodes de sécheresse devraient avoir un effet négatif sur la production agricole. La biodiversité extrêmement riche de cette région est aussi en danger. On s’attend à une recrudescence de l’incidence du paludisme, de la maladie du sommeil et d’autres maladies infectieuses. La migration des populations en direction des villes devrait s’accélérer. De fortes pluies et des inondations affecteront sévèrement les infrastructures de transport et de communications.
    Dans les zones humides d’Afrique de l’Ouest, l’intensité des tempêtes et les inondations pourraient s’intensifier et le ravinage des sols par érosion empirer. Dans les zones arides, on s’attend à de plus fréquentes sécheresses et à des périodes sèches plus longues. Les zones côtières seront affectées par l’élévation du niveau des eaux, entraînant une érosion côtière, la submersion de terres, des inondations et un accroissement de la salinité des nappes phréatiques. Les modifications attendues du climat par rapport à la norme actuelle conduiraient à des pertes de récoltes, des perturbations dans la gestion du bétail et de possibles famines. Les maladies devraient être en recrudescence.
    La sécheresse récente en Afrique Australe donne un aperçu de ce qui pourrait résulter de l’effet de serre. Cette sécheresse, décrite comme étant la plus sévère de mémoire d’homme, représente simplement une condition transitoire en comparaison des prédictions liées à un doublement du taux de carbone dans l’atmosphère.
    Face à toutes ces manifestations réelles et potentielles des impacts, il est nécessaire de définir une approche intégrée pour lutter à la fois contre la désertification et les changements.

    V. Quelle stratégie de lutte contre la désertification et les changements climatiques ?

    Dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques, beaucoup de projets sont initiés dans le domaine de l’agroforesterie et de la sylviculture, avec notamment des programmes de reboisement. En effet, la gestion des forêts, des terres agricoles et des prairies peuvent contribuer à réduire les émissions de dioxyde de carbone, de méthane et d’oxyde nitreux, et à accroître les puits de carbone.
    Dans le domaine de la foresterie, les actions à entreprendre concernent le maintien du couvert végétal existant, la réduction du déboisement, et la régénération des forêts. Dans le secteur de l’agriculture, des pratiques novatrices pourraient contribuer à la réduction des émissions de gaz comme le méthane et l’oxyde nitreux. Par exemple, l’utilisation accrue du compost pourrait contribuer à réduire les émissions de GES et en même temps réduire les besoins de déforestation. Dans le domaine de l’énergie, un éventail de mesures sont envisageables, allant de la modification des processus de production à l’introduction de techniques nouvelles de production d’énergie. L’utilisation de combustibles issus de la biomasse pour remplacer les combustibles fossiles en est une.
    Toutes ces mesures et actions sont celles qui sont préconisés dans la lutte contre la désertification, en plus notamment de la réhabilitation des terres dégradées, la gestion des ressources en eau, etc. Dans ce cadre, les mesures de réduction des émissions et de lutte contre les changements climatiques seront plus faciles à mettre en œuvre si elles prennent en compte la lutte contre les autres facteurs préjudiciables à un développement durable. Il serait donc judicieux et utile pour les pays en développement, d’intégrer dans une certaine mesure la lutte contre les changements climatiques dans les actions de lutte contre la désertification. Plusieurs points d’ancrage existent à cet effet, notamment dans le cadre de la valorisation des bioressources. Il sera nécessaire de définir une approche de gestion des ressources naturelles prenant en compte à la fois la désertification et les changements climatiques, après une analyse en profondeur des facteurs qui exacerberait la désertification en cas de changements climatiques, notamment le surpâturage, l’utilisation des terres, la réduction du couvert végétal, l’agriculture intensive, etc. Et pour être efficace, cette approche devrait être intégrée dans la politique de développement et de coopération des pays. Les mesures envisageables à court terme sont :
    • la mise en place d’un cadre institutionnel et structurel approprié intégrant tous les secteurs concernés ;
    • la promotion de la recherche et des résultats ;
    • la sensibilisation, l’information et la formation.
    En ce qui concerne l’Afrique, malgré sa part encore faible des émissions anthropiques des gaz à effet de serre, le continent peut offrir un potentiel intéressant de réduction ou de stabilisation de ces gaz, voire d’augmentation de puits de séquestration. Le défi majeur consiste à " revisiter " les politiques et les programmes pour qu’ils favorisent la réalisation des priorités actuelles en mati
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