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Tunisie: mettre en place un observatoire du développement économique par les femmes



  • Dans un entretien à bâtons rompus, l’experte-comptable et vainqueur du 1er Prix Aimf de la Femme francophone 2017 présente les atouts de la femme africaine et son rôle crucial dans le processus du développement durable du continent.

    «Nous comptons beaucoup sur l’Aimf (Association internationale des maires francophones ; Ndlr) et les maires attachés aux valeurs que partage ce réseau, pour porter à notre connaissance les meilleures pratiques de chaque pays. Il est aussi important d’établir un diagnostic des blocages à l’autonomisation des femmes, en s’appuyant sur des études régionales. Dans ce cadre, il serait intéressant de mettre en place un observatoire du développement économique par les femmes avec ses critères et ses indicateurs. Je sais qu’une telle initiative est ambitieuse, mais je crois que ce sont de telles démarches dont les indicateurs et les résultats fédèrent.

    Bien sûr, il serait aussi très important que le réseau exprime le caractère concret de son action en engageant des actions de soutien aux initiatives des maires en faveur des femmes.

    Dans une compétition de 45 candidatures provenant de 13 pays membres de l’Aimf, vous êtes vainqueur du 1er Prix de la Femme francophone 2017. Pouvez-vous nous présenter de manière exhaustive cette initiative qui a retenu l’attention des membres du Bureau de l’Aimf, à Brazzaville ?

    L’appel à participation au Prix Aimf de la Femme francophone 2017 a été diffusé par la municipalité de la ville de Tunis auprès de plusieurs associations en Tunisie, parmi lesquelles la Chambre nationale des femmes chefs d’entreprises (Cnfce) dont je suis la trésorière.

    J’ai été particulièrement intéressée par les critères exigés des candidates, et notamment, leur capacité à «mettre en œuvre des projets concrets, dans le domaine de l’économie sociale et solidaire et de l’entrepreneuriat».

    En effet, tant mon activité professionnelle, que mes centres d’intérêts et engagements extra-professionnels, sont orientés vers l’encouragement des initiatives entrepreneuriales et le développement de l’entreprise sociale.

    Je crois que ma candidature a dû refléter mon attente réelle à travers ma participation à ce concours : celle d’avoir l’opportunité de promouvoir la synergie des réseaux d’associations et de réaliser des actions conjointes en matière d’entreprenariat, axées sur le développement de la culture de l’entreprise citoyenne et basée sur la conscientisation des enjeux de l’économie numérique. Dans ce cadre, la collaboration professionnelle inter-pays est également très importante pour un partage d’expériences et des meilleures pratiques.

     

    Qu’est-ce qui motive votre engagement dans le social en Tunisie ?

    Encourager et soutenir les initiatives entrepreneuriales de même que développer le concept d’entreprise citoyenne en Tunisie, sont une priorité nationale, à la charge de la société civile. Je ne pense pas que ce rôle puisse être dévolu uniquement à l’Etat. Il ne peut en être qu’un facilitateur.

    En Tunisie, du primaire au supérieur, les femmes représentent plus de 60% des effectifs et des diplômés alors que leur taux d’activité n’est que de 26%. Elles ne constituent donc qu’un tiers de la population active occupée. Le taux de chômage des femmes est le double de celui des hommes, avec des disparités régionales importantes.

    Cette inégalité des chances est injuste et inadmissible à mon sens. C’est ce qui motive mon engagement social depuis 2012, année de mon adhésion à la Chambre nationale des femmes chefs d’entreprises, qui relève de l’Union tunisienne pour l’industrie, le commerce et l’artisanat (Utica).

    Depuis 2011 (année de la révolution), la Tunisie a été marquée particulièrement par un fort élan de solidarité entre les citoyens tunisiens. Cela m’avait littéralement galvanisée et je voulais activement me mettre au service de ces tranches de la population (Femmes et jeunes) de Tunis, mais surtout des régions, afin d’améliorer leur cadre de vie et de les aider à trouver leur voie professionnelle et assurer leur autonomisation.

     

    Vous êtes à la fois une femme experte-comptable, associée fondatrice et gérante d’une société d’expertise comptable, trésorière de la Chambre nationale des femmes chefs d’entreprises. Comment conciliez-vous ces différentes casquettes entre elles d’une part, et avec foyer d’autre part?

    Effectivement, à l’image de beaucoup de femmes Tunisiennes, j’arrive à concilier ma vie professionnelle et personnelle. Je dois cela à une forte passion pour le travail et le sens de la rigueur, que j’ai hérités de mon père, mais aussi à une capacité d’organisation que j’ai appris à développer pour pouvoir concrétiser ma conception du «bien vivre».

    Je dois surtout cet équilibre, à mon entourage familial qui m’a toujours encouragée et soutenue, mon mari en premier. En Tunisie, le sens du mot «Famille» prend toute sa signification dans notre vie au quotidien. C’est une vraie bénédiction de la vie !

    Quelle image faites-vous de la femme africaine en matière de leadership entrepreneurial et de la gestion des affaires publiques ?

    Les femmes africaines sont exceptionnelles ! Elles ont d’abord et incontestablement, le leadership dans leur sphère familiale ! Et les procédés de leadership sont variables à l’infini, on en écrirait des encyclopédies !

    Plaisanterie mise de côté, le leadership entrepreneurial des femmes n’est plus à démontrer. Elles sont dans tous les secteurs d’activités, mais avec des taux de représentations parfois disparates, et c’est justement là qu’il faudra agir.

    En revanche, elles sont beaucoup moins présentes dans la gestion des affaires publiques, sans doute par manque de mécanismes susceptibles de les aider davantage à concilier entre responsabilités personnelles et professionnelles, mais également par manque d’équité.

    Un travail continu de sensibilisation à l’importance de l’égalité-genre et de lutte contre les stéréotypes sociaux et culturels est nécessaire. C’est précisément le rôle de la société civile conjugué avec l’appui du gouvernement, à travers l’institution de règles de parité genre ou de quotas genre dans les mandats de représentation publics.

    Le souci de l’amélioration des acquis des femmes doit également s’inscrire dans le cadre d’une action régionale basée sur la comparaison des meilleures pratiques par pays. Ainsi, en Tunisie, notre nouvelle Constitution prévoit explicitement le principe de l'égalité des chances et d'équité, ce qui permettra de renforcer les droits acquis de la femme.

    La création, en 2016, du Conseil des pairs pour l’égalité et l’équivalence des chances entre la femme et l’homme, présidé par le chef du gouvernement, en est une concrétisation. De même que la nouvelle loi électorale des municipales, qui prévoit la parité verticale et horizontale dans les listes électorales, sous peine de leur nullité.

    Nourrissez-vous quelques ambitions politiques ?

    Je suis très attentive à la vie politique et particulièrement son évolution depuis 2011 parce qu’elle conditionne notre quotidien, notre avenir et celui de nos enfants. Cependant, j’avoue que j’ai une préférence pour l’engagement citoyen dans le cadre de la société civile. Cela correspond mieux à ma personnalité plutôt spontanée et volontaire.

    Le 21 juin 2017, vous allez recevoir solennellement votre Prix au cours de la 37è Assemblée générale de l’Aimf à Montréal. Quel message à l’endroit de l’Aimf, de la femme africaine en générale et celle musulmane en particulier ?

    Je suis très honorée de recevoir ce prix, que je dédie à toutes les femmes, quelles que soient leurs origines ou leurs confessions ! Pour avoir participé à plusieurs manifestations internationales organisées par des réseaux de femmes chefs d’entreprises, je peux vous affirmer que toutes les femmes font face aux mêmes défis : celui d’affirmer leurs potentiels économique, politique et social, d’égal à égal par rapport aux hommes, et de partager des droits et obligations équivalents au sein de la Famille pour en préserver l’équilibre.

    J’invite toutes les femmes à immerger dans l’action sociale ou politique, de manière à influer sur les décisions publiques et sur le développement de leur territoire de vie, tout en gardant le cap sur cet objectif d’équité.

    C’est un long travail sur les mentalités et les cultures, mais somme toute, avec le développement de l’économie numérique, tous les modèles sociétaux vont changer, et il y a donc espoir à pouvoir atteindre à l’avenir, un nouvel équilibre des genres.

    Quelles sont les perspectives du vainqueur du 1er Prix Aimf de la Femme francophone 2017 ?

    En tant que lauréate du 1er prix de l’Aimf, j’aurai la chance de bénéficier d’un parcours international de formations et d’échanges à l’issue duquel je pourrai mettre les compétences que j’aurai acquises, au service du développement de ma région, Le Maghreb, et particulièrement de mon pays.

    La Tunisie semble avoir réussi sa transition démocratique, mais elle a encore plusieurs défis en perspective, portés par sa nouvelle Constitution.

    Il s’agit d’abord de résorber les inégalités régionales à travers la mise en place d’une gouvernance et d’une gestion décentralisée du pays.

    Il faut ensuite réussir la migration de notre économie nationale vers une économie numérique, respectant les piliers du développement durable.

    Enfin, tous ces nouveaux modèles économiques ne sauraient être implantés efficacement, sans la mobilisation sociale des citoyens.

    J’espère pouvoir participer activement à tous ces nouveaux défis. Ma première action sera de constituer un réseau de femmes maghrébines leaders, capables de créer des synergies au sein de leur territoire régional, et de concrétiser des projets visant à améliorer leur vie au quotidien. Le renforcement de la représentativité des femmes dans les sphères de décisions locales est également un axe vers lequel je veillerai à orienter mon action.»

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