La pratique de l’évaluation environnementale au Québec : mythes et réalité
Jean Hébert, géographe, spécialiste en évaluation environnementale, vice-président de l’AQÉI (2007 -2013) et président du SIFEE (2015-2017)
Lina Lachapelle, ingénieure, présidente de l’Association québécoise pour l’évaluation d’impacts (AQÉI)
Plus de quarante ans après la mise en place du cadre réglementaire et institutionnel québécois en évaluation environnementale à la fin des années 70 (Loi sur la qualité de l’environnement (LQE), ministère de l’Environnement, Bureau d’audiences publiques sur l’environnement) et autant d’années de pratique par les spécialistes de l’évaluation environnementale, il est toujours surprenant de constater la méconnaissance et la confusion qui demeurent présentes dans les médias et chez de nombreux décideurs et citoyens concernant les rôles des trois principaux acteurs du domaine, à savoir les praticiens de l’évaluation environnementale chez les promoteurs et bureaux d’études, le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) et le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE).
Alors que l’environnement devient une préoccupation de plus en plus importante pour les citoyens et nos gouvernements, la pertinence de l’évaluation environnementale comme outil d’aide à la décision pour concevoir et réaliser des projets de moindre impact, semble occultée par la thématique des changements climatiques qui occupent actuellement une large place. Beaucoup de petits et grands projets de toute nature sont mieux conçus et réalisés et leurs impacts grandement atténués grâce au travail des spécialistes en évaluation environnementale. L’évaluation environnementale est clairement une pratique qui nous permet d’intégrer les considérations environnementales, sociales et économiques de nos politiques et projets pour atteindre un développement durable. Cela demeure malheureusement méconnu.
Par ailleurs, les activités plus médiatisées du BAPE, en raison de sa dimension participative pour des projets souvent controversés, viennent également occulter les activités menées par les praticiens de l’évaluation environnementale en entreprise (bureaux d’études et promoteurs dans certains cas) et au gouvernement. Bien que l’importance du BAPE soit incontestable au processus d’évaluation environnementale, il n’est pas l’unique acteur du domaine.
L’Association québécoise pour l’évaluation d’impacts (AQÉI) regroupe depuis près de 25 ans l’ensemble de ces acteurs ainsi que des chercheurs et étudiants universitaires dans le domaine.
La pratique de plus de 40 ans en évaluation environnementale ont amené les principaux promoteurs de projets au Québec, tels que le ministère des Transports et Hydro-Québec ainsi que les bureaux d’étude qui les assistent, à développer une expertise au sein de leur organisation qui est formée de spécialistes de l’évaluation environnementale issus de multiples disciplines scientifiques comme la biologie, la géographie, la chimie, l’ingénierie, les sciences forestières, la sociologie ou l’anthropologie pour n’en nommer que quelques-unes. Ces équipes multidisciplinaires mènent des études complexes en utilisant des méthodologies et des protocoles de collecte de données et d’analyse des impacts rigoureux pour bien comprendre les interactions entre les sensibilités des milieux naturel et humain et les projets proposés. Plusieurs d’entre eux sont également encadrés par les règles et les bonnes pratiques de leur association ou ordre professionnel. Ces spécialistes sont également présents auprès des populations et parties prenantes des collectivités pendant la réalisation des évaluations environnementales afin d’intégrer leurs préoccupations dans la conception des projets et proposer des mesures d’atténuation plus efficaces. La participation des parties prenantes à un projet ne se résume donc pas qu’aux activités du BAPE.
Le MELCC regroupe également à Québec et dans les régions administratives de nombreux spécialistes issues de diverses disciplines pour s’assurer que les études d’impact des promoteurs de projets répondent aux exigences gouvernementales. Ces spécialistes mènent également pour les projets majeurs des consultations interministérielles avec les autres ministères concernés (Forêt, Faune et Parcs, Culture, Santé et Services sociaux, etc.) afin de recueillir les avis de leurs homologues. Une quarantaine de ministères et organismes gouvernementaux sont susceptibles d’être consultés selon les enjeux du projet. Ils questionnent le promoteur du projet pour obtenir les précisions additionnelles nécessaires afin de déterminer la recevabilité de l’étude d’impact en fonction des critères du ministère. Une fois l’étude d’impact jugée recevable, elle est soumise à la période d’information publique menée par le BAPE et le travail des spécialistes gouvernementaux se poursuit en parallèle. À cette étape, le MELCC rédige un rapport d’analyse rigoureux du projet sur son acceptabilité environnementale dans le but d’éclairer le ministre dans l’élaboration de sa recommandation au Conseil des ministres pour prise de décision.
Les commissaires et analystes du BAPE interviennent uniquement sur les projets majeurs et à la demande du ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques si un citoyen ou une organisation en fait la requête. Cela représente environ 40% des projets soumis à une étude d’impact (réf. Rapport annuel de gestion 2018-2019 – BAPE). Lorsqu’un mandat de consultation ciblée ou d’audience publique est donné, le BAPE réalise ce mandat et fait sa propre analyse en s’appuyant sur la participation citoyenne et les avis des experts demandés lors de l’audience publique. Les commissaires désignés, aidés des analystes du BAPE, eux-aussi dotés d’un profil multidisciplinaire, produisent également un rapport afin d’éclairer le ministre. Le BAPE identifie les enjeux du projet, mène une analyse rigoureuse et documentée qui intègre les principes du développement durable. Il traite de l’ensemble des dimensions du développement et non seulement du volet milieu naturel comme cela est souvent perçu. Le BAPE n’est pas décisionnel. Il fait des recommandations au ministre sur le projet à l’étude qui viendront s’ajouter à celles du MELCC contenues dans le rapport d’analyse environnementale du projet. Ces deux rapports sont complémentaires, le ministère (MELCC) analyse le projet sous des angles plutôt technique, scientifique et juridique alors que le BAPE offre un éclairage basé sur les préoccupations du public. Ces deux rapports viennent donc s’ajouter à l’analyse contenue dans le rapport d’étude d’impact du promoteur du projet.
Par ailleurs, le milieu universitaire québécois n’est pas en reste en ce domaine. Plusieurs professeurs et étudiants chercheurs ont développé une expertise spécifique en évaluation environnementale qui vient nourrir la réflexion, améliorer les pratiques et contribuer même concrètement à l’analyse de certains projets.
L’expertise québécoise en évaluation environnementale développée au cours des 40 dernières années est d’ailleurs reconnue à l’international et notamment en Francophonie. Le Secrétariat international francophone en évaluation environnementale (SIFEE) qui fait la promotion de l’expertise en ce domaine est d’ailleurs basé à Montréal.
Le Québec a récemment modernisé son cadre réglementaire en évaluation environnementale et accorde notamment une meilleure place aux enjeux associés aux préoccupations sociales, aux changements climatiques et aux milieux humides. L’évaluation environnementale est le meilleur outil pour considérer ces enjeux dans la réalisation des projets. Ce nouveau cadre légal prévoit également que les politiques, programmes et plans gouvernementaux doivent faire l’objet d’une évaluation environnementale dite stratégique (EES) afin que les considérations environnementales et sociales soient aussi intégrées en amont des projets dans le processus décisionnel. L’AQÉI appui cette pratique déjà bien implantée dans certains pays et en fait la promotion au Québec depuis longtemps.
L’AQÉI est consciente que le domaine de l’évaluation environnementale est complexe et que des efforts doivent être faits pour en améliorer la communicabilité auprès du public, des décideurs et des médias et ainsi mieux faire connaître les rôles et contributions des différents acteurs du domaine de l’évaluation environnementale. Au Québec, ce sont plus de 600 praticiens qui œuvrent dans le domaine de l’évaluation environnementale. En ce sens, elle lancera prochainement des initiatives afin de proposer de nouvelles pratiques permettant de vulgariser tant sur le fond que sur la forme la somme importante d’informations scientifiques générées par les évaluations environnementales et d’en favoriser une meilleure compréhension et appropriation par les citoyens et décideurs.
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