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Le bâtiment en bois, un potentiel inexploité pour la lutte aux changements climatiques



  • Par Charles Breton

    Nos bâtiments ont une empreinte environnementale énorme, ce qui leur confère un important potentiel d’atténuation des changements climatiques. Le Canada atteindrait plus facilement ses cibles de réduction de GES s’il attribuait une plus grande place au bâtiment durable et à la construction en bois dans ses politiques.

    Nécessité d’une réduction de GES

    Le Canada fait partie des 110 Nations ayant ratifié l’Accord de Paris, qui vise à limiter le réchauffement climatique à 2°C en 2100 par rapport aux niveaux préindustriels. Cet objectif exige une réduction rapide et drastique des émissions de gaz à effet de serre (GES). En effet, des réductions insuffisantes d’ici 2020 augmenteraient de 57 à 83% le risque d’un réchauffement supérieur à 2°C (1). Les Contributions prévues déterminées au niveau national (CPDN)  décrivent les cibles de GES de chaque pays et les moyens mis en place pour y arriver. La CPDN canadienne vise une réduction de 30% en 2030 et de 80% en 2050, par rapport à 2005. Elle mise principalement sur les secteurs du transport et de l’électricité pour atteindre ces objectifs.

    Il est surprenant que le secteur du bâtiment ne soit pas inclus dans la CPDN canadienne car celui-ci génère des impacts environnementaux très importants. En Amérique du Nord, on estime qu’il est responsable de 30% à 40% des émissions de GES et de la consommation énergétique (2). Selon les tendances actuelles, après les énergies fossiles, c’est le secteur dont les émissions augmenteront le plus d’ici 2020 (3) : il deviendra alors le 3e plus grand émetteur de GES au Canada. Il est donc inconséquent de ne pas lui accorder plus de place dans les stratégies nationales comme la CPDN.

    Important potentiel du secteur du bâtiment

    Le secteur du bâtiment comporte un grand potentiel d’atténuation des changements climatiques. Ce potentiel pourrait être exploité rapidement, à coût nul dans 80% des cas (4), notamment en diminuant l’énergie intrinsèque des nouveaux bâtiments. L’énergie intrinsèque est liée à l’extraction, à la fabrication, à l’installation et au traitement de fin de vie des matériaux; elle est presque entièrement émise dès la construction. Elle représente donc une part considérable des impacts environnementaux à court terme des nouvelles constructions. L’utilisation de matériaux à faible énergie intrinsèque permettrait au Canada de diminuer ses émissions de GES pour atteindre son objectif de 2030.

    Le bois est un matériau renouvelable à faible énergie intrinsèque, et les produits du bois présentent le double avantage de stocker temporairement du carbone dans l’anthroposphère et de substituer d’autres matériaux à plus haute empreinte carbone (5). C’est une ressource abondante au Canada, qui possède 10% des forêts mondiales et dont les forêts sont les plus certifiées au monde (6). Or, le potentiel de lutte aux changements climatiques des forêts canadiennes serait maximisé par un aménagement durable fondé sur une utilisation efficace de la ressource favorisant la production de produits du bois à longue durée de vie (7). Le secteur du bâtiment offre une excellente opportunité de tirer profit de ces avantages en augmentant les puits de produits du bois dans l’anthroposphère.

    Favoriser la construction de bâtiments durables en bois

    Favoriser la construction de bâtiments durables en bois serait aussi intéressant sur le plan économique. À l’échelle mondiale, le marché du bâtiment durable est évalué à 550 G$ (USD2010) et il continue de croître (8). Le principal moteur de cette croissance est le bâtiment commercial, un secteur où le bois est actuellement peu utilisé. Au Québec, par exemple, moins de 15% des bâtiments commerciaux sont construits en bois, alors que celui-ci conviendrait dans 60% des cas (9). En s’établissant comme leader dans ce domaine, le Canada contribuerait au développement de l’industrie des produits du bois, qui représente 230 000 emplois et fait vivre plus de 200 communautés (10). Bref, en encourageant les entreprises canadiennes à profiter de cette opportunité d’affaires, l’État contribuerait à la croissance économique tout en réduisant ses émissions de GES.

    En résumé, le secteur du bâtiment a un impact considérable sur les changements climatiques, mais possède un fort potentiel d’atténuation qui pourrait être exploité rapidement et à faible coût. Chaque nouveau bâtiment est une opportunité pour le Canada de réduire ses émissions de GES à court et à long terme. Le Canada devrait tirer profit de ses ressources et de son expertise en foresterie et en transformation du bois pour développer une politique nationale favorisant des bâtiments à faible énergie intrinsèque, durables et efficaces. Il se positionnerait ainsi comme leader à l’échelle internationale, soutiendrait une industrie importante et contribuerait au respect de ses engagements dans le cadre de l’Accord de Paris.

    Références

    [1]      Meinshausen, M., Meinshausen, N., Hare, W., Raper, S. C. B., Frieler, K., Knutti, R., Frame, D.J., et Allen, M.R. 2009. Greenhouse-gas emission targets for limiting global warming to 2 °C, Nature, 458(7242), 1158–1162.

    [2]      US EPA, 2009. Buildings and their Impact on the Environment: A Statistical Summary.

    [3]      Environment Canada, 2014. Canada’s Emissions Trends.

    [4]      Barker, T., Bashmakov, I., Alharthi, A., Amann, M., Cifuentes, L., Drexhage, J., Duan, M., Edenhofer, O., Flannery, B., Grubb, M., Hoogwijk, M., Ibitoye, F. I., Jepma, C. J., Pizer, W. A. et Yamaji, K., 2007. Mitigation from a cross-sectoral perspective. Cambridge, UK and New York, NY, USA: Cambridge University Press, 2007.

    [5]      Jørgensen, S. V., Hauschild, M. Z. et Nielsen, P. H., 2015. The potential contribution to climate change mitigation from temporary carbon storage in biomaterials, Int. J. Life Cycle Assess., 20 (4), 451–462.

    [6]      Ressources naturelles Canada, 2016. Forest certification in Canada [en ligne]. http://www.nrcan.gc.ca/forests/canada/certification/17474 [consulté le 21 novembre 2016].

    [7]      Smyth, C.E., Stinson, G., Neilson, E. T., Lemprière, T. C., Hafer, M., Rampley, G. J. et Kurz, W. A., 2014. Quantifying the biophysical climate change mitigation potential of Canada’s forest sector, Biogeosciences, 11(13), 3515–3529.

    [8]     USGBC, 2016. Benefits of Green Building [en ligne]. http://www.usgbc.org/articles/green-building-facts [consulté le 21 novembre 2016].

    [9]      Boucher, J.-F., 2016. Matériau bois et carboneutralité des bâtiments préfabriqués%u202F: Pourquoi et comment?

    [10]    The Forest Products Association of Canada, 2016. About Us [en ligne]. http://www.fpac.ca/about-forest-products/ [consulté le 21 novembre 2016].

     

    Charles Breton

    Durant son baccalauréat en génie du bois (Université Laval), Charles a développé un intérêt pour la foresterie et les produits du bois, les sciences environnementales et la vulgarisation scientifique. C’est en travaillant sur un calculateur carbone lors d’un stage chez Cécobois qu’il s’est intéressé de plus près aux impacts environnementaux des bâtiments.

    Aujourd’hui, il est candidat à la Maîtrise en sciences du bois au CIRCERB (Université Laval), la Chaire industrielle de recherche sur la construction écoresponsable en bois. Ses recherches portent sur l’analyse de cycle de vie des bâtiments, sur les puits de carbone en forêt et dans les produits du bois, et sur le potentiel d’atténuation des changements climatiques des bâtiments en bois.

     

    Source : L'Interdisciplinaire

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