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Utilisation des Congolaises comme arme de guerre : les ressources minières en question



  • Par Sheila Sanouidi, journaliste, Burkina Faso, à l’occasion de l’édition 2010 de la Marche Mondiale des Femmes, à Bukavu dans le Sud-Kivu (RDC)

     

    Du 13 au 17 octobre 2010, la ville de Bukavu dans la province du Sud-Kivu en République Démocratique du Congo (RDC), a accueilli des milliers de femmes. Venues de partout (Brésil, Burkina Faso, Canada, Colombie, Lesotho, Kenya, Kurdistan, Pakistan et bien d’autres) et majoritairement des autres provinces de la RDC, elles ont dénoncé l’utilisation systématique des femmes comme armes de guerre et plaidé pour une démilitarisation et une exploitation transparente des nombreuses ressources minières du pays. Ressources minières qui sont d’ailleurs la cause principale de cette guerre qui a fait des millions de victimes et a rendu encore plus instable la région des Grands-lacs.

     

    La région des Grands-lacs compte neuf pays que sont : l’Ouganda, le Kenya, la RDC (ex-Zaïre), le Rwanda, le Burundi, la Tanzanie, la Zambie, le Malawi et le Mozambique. C’est une région qui comme son nom l’indique est parsemé de plusieurs lacs. Il y a 8 lacs précisément, dont le lac Victoria, le 3e lac le plus long du monde (32900 km² de superficie / 1433m de profondeur) et le lac Kivu (2700 km² / 485m) traversant de part et d’autre le Rwanda et la RDC. Cette région a connu une longue période d’instabilité, en raison de nombreux conflits depuis les années 90. Ces conflits trouvaient leurs causes soit dans la course aux ressources naturelles, soit à des oppositions ethniques. C’est également un réservoir naturel avec une formidable hydrographie, une grande diversité faunique et de vastes forêts tropicales. En raison de tous ces facteurs, cette zone a toujours été un lieu où se concentrent les intérêts des puissances occidentales, en particulier les Etats-Unis, la France et la Belgique. Il faut signaler aussi la présence de plus en plus remarquée de la Chine dans l’exploitation de ces ressources. En effet, le sous-sol congolais regorge de nombreux minerais. On parle souvent de scandale géologique. L’or, le diamant, le cuivre, le cobalt, l’uranium, l’argent, l’étain, le tungstène, le coltan, le manganèse, le zinc, le plomb sont autant de minerais dont ne profitent pas les enfants de ce pays. Ce vaste pays de 2345409 km2 (5 fois la France) et de 64,2 millions (Banque Mondiale, 2008) possède de grandes réserves mondiales : 25% pour le diamant, 10% pour le cuivre et 50% pour le cobalt. L’essentiel de ces ressources se retrouvent essentiellement dans l’Est du pays et principalement dans la province du Katanga. La capitale de cette province a été lieu de l’exécution d’un grand homme d’Etat de l’Afrique, Patrice Lumumba. La RDC est également un pays producteur de pétrole et de gaz naturel (du méthane extrait du lac Kivu).

     

    L’instabilité dans la région des grands-lacs commence en 1993 avec la guerre civile au Burundi et en 1994 avec le génocide rwandais. Ces guerres ont eu pour effets le déplacement de milliers de civils vers le Zaïre (devenu RDC) voisin et le redéploiement de nombreuses forces armées et milices sur le territoire. D’aucuns parlent de Première guerre du Congo et de Deuxième guerre du Congo. La première qui a eu lieu entre 1996 et 1997, a opposé les  forces armées régulières et fidèles à Mobutu Sese Seko à Laurent Désiré Kabila soutenu par le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi. Bien entendu ces pays avaient des intérêts à soutenir la rébellion  de ce dernier. Intérêts qui se résumaient à la volonté de contrôler les richesses du sous-sol congolais. Cette guerre s’est soldée par la victoire des troupes de Laurent Désiré Kabila en mai 1997 et l’exil de Mobutu au Maroc, ou il rendit l’âme. Il faut dire que si ce dictateur de premier rang a perdu la face dans cette guerre, c’est bien parce que les Etats-Unis l’ont ‘’lâché’’. Il n’est un secret pour personne que c’est ce pays qui l’a soutenu dans la conquête du pouvoir en 1960, pour contrer la montée en puissance de Patrice Lumumba et du communisme. Après s’être installé confortablement au pouvoir en 1997, Laurent Désiré Kabila a commencé à afficher son indépendance face à ses alliés d’autrefois (Rwanda, Ouganda et Burundi), et même à vouloir se débarrasser d’eux en expulsant des militaires rwandais de Kinshasa. Il s’en suivra une longue période de déstabilisation du pays entre 1998 et 2003, avec la fin officielle de ce qui fut appelée la deuxième guerre du Congo. Le Rwanda fut accusé principalement d’être l’instigateur de cette guerre en introduisant des troupes armées en RDC dans le but, dit-on de piller ses ressources minières. Par ailleurs ces mêmes ressources minières ont été une source de financement de la guerre avec une exploitation illégale. D’où, en l’occurrence les diamants de sang. Il faut dire tout de même que cette guerre a impliqué une quantité incroyable de milices armées soutenues par des pays des Grands-lacs. Entre autres forces armées, il y a l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDLC), les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR),   les Banyamulengé, les maï-maï, le Mouvement de Libération du Congo (MLC), le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), etc. Les pays engagés dans cette guerre sont la RDC, le Rwanda, l’Ouganda, le Burundi, le Zimbabwé, la Namibie et l’Angola. Cependant ces pays, n’engageaient pas ouvertement leurs armées nationales dans le conflit, mais agissaient sous-couverts des milices que nous avons évoqué plus haut. Ce qui a donné un caractère très complexe à ce conflit et une indiscipline caractérisée des troupes militaires, dont les populations faisaient les frais. En effet, les populations congolaises ont souffert pendant de nombreuses années des exactions commises contre elles par les militaires de part et d’autre. L’IRC (International Rescue Commitee) a dénombré entre 3, 4 et 4,4 millions de morts et près de 2 millions de personnes déplacées. Le conflit a pris officiellement fin en 2002 avec la signature des accords de paix, sans Laurent Désiré Kabila, qui a été assassiné en Janvier 2001. Son fils Joseph Kabila fut porté immédiatement à la tête du pouvoir. La MONUC (Mission de l’ONU au Congo), fut chargée de veiller sur la sécurité des populations civiles, avec un important déploiement d’hommes.

    Comme dans tout conflit armé, les populations payent toujours le lourd tribut, et tout cela à cause d’intérêts égoïstes et cupides. Les femmes de par leur vulnérabilité, et des violences basées sur le genre dont elles ont toujours été victimes dans toutes les sociétés, constituent une cible privilégiée des troupes armées dans les conflits. Dans de nombreux conflits, elles sont victimes de violences de tous ordres, sexuelles (le viol) en particulier. Dans un certain nombre de conflits, le viol est utilisé massivement pour prononcer sa domination sur un groupe adverse. Haïti, Yougoslavie, Rwanda, Libéria, sont autant de terrains de conflits dans lesquels les femmes ont perdu leur dignité. La guerre en RDC n’a pas été une exception, en ce sens que dans ce conflit, les femmes ont été utilisées systématiquement comme arme de guerre. Les organismes de défense des droits de l’Homme ont dénombré des milliers de femmes violées massivement et parfois collectivement. « Le Congo est la capitale mondiale du viol », a affirmé en avril 2010 Margot Wallstrom, représentante de l’ONU pour la violence sexuelle dans les conflits. Pour la RDC, la MONUC annonce 200000 cas de viols enregistrés depuis 1996, sans compter les victimes qui ne se déclarent pas. Certaines d’entre elles ont été violées et torturées par les soldats devant leurs époux et leurs enfants, ou même devant le village tout entier. Plus grave encore, des garçons ont été obligés de violer leurs mères et des pères de violer leurs filles. Ce ne sont pas des spéculations, mais des faits réels et des femmes ont eu à en témoigner, en mêlant larmes et colère. Elles l’ont fait à visage découvert et sur une tribune, avec un courage démesuré, parfois en présence d’hommes en treillis.  C’était un des objectifs visés par l’organisation de la Troisième Action Mondiale de la Marche Mondiale des Femmes : offrir l’opportunité aux femmes congolaises de crier à la face du monde toutes leurs souffrances, et celles de leurs familles et aussi de poser leurs revendications au Gouvernement congolais, à la communauté internationale et aux forces étrangères postées dans leur pays. Cette action a eu lieu du 13 au 17 octobre dans le Sud-Kivu, à Bukavu. Cette province a été le point de ralliement de milliers de femmes, pour exprimer leur solidarité et leur soutien au combat des femmes congolaises pour une paix durable et pour une démilitarisation de la RDC, et aussi plaider pour une exploitation transparente et plus juste des richesses de la RDC. La situation des femmes congolaises dans ce contexte de conflit est alarmante. Dans une communication pendant cet événement, Matilde Muhindo, membre du comité d’organisation nous dresse un aperçu : « la présence des groupes armés, des militaires incontrôlés  ou indisciplinés, tous profitant de l’impunité, ont commis des viols massifs et dont les plus récents en février de cette année (2010) à Mulombozi en territoire de Mwenga (où les femmes ont été enterrées vivantes). 12 femmes qui se rendaient au champ  ont été enlevées, torturées et 5 d’entre elles ont été décapitées. En juillet de cette année nous avons enregistré des viols massifs, de Luvungi  à Walikale dans le Nord-Kivu où plus de 180 femmes ont été violées pendant des jours. Cette semaine encore, ce mardi 13 (octobre 2010), le jour de l’ouverture de la Troisième Action Mondiale, il y a eu vols et viols dans cette ville ». En plus de viols donc, les femmes sont objets de nombreux traitements cruels et inhumains et de tueries. Ces violences ont surtout été observées au Nord-Kivu, au Sud-Kivu et en Ituri, où la guerre a beaucoup plus fait rage. Au-delà des conséquences physiques (déchirure des organes génitaux, fistules vaginales), il faut dire qu’elles subissent des conséquences sociales (rejets, humiliations, discriminations), économiques (dépendance), psychiques (certaines deviennent folles), sanitaires (transmission d’infections sexuellement transmissibles et du VIH/SIDA). Au regard de cet état des lieux, il s’est avéré impérieux pour la Marche Mondiale des Femmes, ONG internationale existant formellement depuis 2000, d’organiser une manifestation d’envergure internationale pour un plaidoyer et un lobbying en faveur de la femme congolaise, et du peuple congolais tout entier. Pendant quatre jours, les femmes se sont retrouvées au centre Ibanda de Bukavu pour débattre et proposer des perspectives d’avenir à travers des panels et des témoignages. Les panels portaient sur les thèmes suivants : Paix et démilitarisation, Biens communs et services publics, violences envers les femmes et autonomie économique des femmes. La journée du 16 octobre a été celle du recueillement sur la fosse commune des 15 femmes qui ont été enterrées vivantes à Mwenga. Ces femmes accusées de soutenir des guerriers maï-maï, ont été enlevées, violées, torturées pendant des jours et enfin enterrées vivantes dans une fosse commune en octobre 1999. Cette visite sur ce lieu macabre fut un fort moment d’émotions, dont les mots ne pourraient pas mesurer l’intensité. Toutes les femmes présentes ont réclamé à l’unisson justice pour ces victimes, dont les bourreaux n’ont jamais été inquiétés. En la mémoire des ces femmes, une stèle a été construite sur place. Les femmes de la localité touchées par cette visite sont sorties sur des centaines de kilomètres et ont marché pendant des jours pour accueillir la délégation qui allait à Mwenga. C’est dire que les blessures sont profondes et les espoirs grands. Il est grand temps que le Gouvernement congolais et la communauté internationale prennent à cœur le besoin légitime de justice de toutes les victimes de la guerre, hommes comme femmes. Aussi, ces acteurs clés doivent veiller au démantèlement de toutes les forces armées opérant encore sur le territoire congolais, pour une paix définitive. Une des revendications majeures a été que l’Etat congolais révise les accords d’exploitation des minerais et du bois, en vue d’arriver à une exploitation transparente et juste des ressources naturelles en RDC. Il est temps que les puissances économiques étrangères, et aussi la faible minorité de congolais qui en profitent, se retirent pour que les filles et fils de ce pays puissent jouir de leurs richesses. Il a été évoqué également la création d’un tribunal pénal spécial pour la RDC en vue de punir tous les auteurs de viols et crimes commis. Elles ont appelé au le retrait progressif des troupes/contingents de la MONUSCO du territoire congolais, qui se seraient rendus coupables d’atteintes aux droits humains et dont la forte présence menacerait la souveraineté de l’Etat congolais. Le budget annuel de la MONUC, devenue la MONUSCO (Mission de l’ONU pour la Stabilisation du Congo) serait de 1350 millions de dollars américains.  La MMF est convaincue que l’instauration d’une paix véritable en RDC est la condition sine qua none d’une paix durable dans la région des Grands-lacs, du fait que la majorité de tous ces pays soient impliqués dans ce conflit. Il s’avère important d’impliquer beaucoup plus les femmes dans les processus de négociation de la paix, mais aussi de faciliter leur intégration dans les corps habillés (police, gendarmerie, armée nationale). Cette Troisième action mondiale de la MMF a eu un retentissement international, et un regard attentif de la part des autorités congolaises. La présence des milliers de femmes à Bukavu a redonné de l’espoir à toutes les congolaises, qui depuis une quinzaine subissent des pires formes de violence en silence et sous le regard du monde entier.

     

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