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Le développement durable à la croisée des valeurs culturelles



  • Préserver l’environnement n’est pas une préoccupation nouvelle pour les peuples africains. Cet article met l’accent sur cet état de fait et encourage une recherche inclusive axée sur la prise en considération des savoirs traditionnels et une réelle collaboration dans le milieu scientifique.

     

    La notion de développement durable n’est pas nouvelle en Afrique comme George Ayittey, économiste Ghanéen, l’a bien montré dans son livre Indigenous African Institutions. En effet, le continent est riche en pratiques traditionnelles précoloniales qui témoignent du souci effectif des anciennes sociétés de préserver leur environnement.

    Dans la plupart des sociétés africaines coexistent deux types d’organisation sociale, l’une « moderne » qui renvoie à l’Etat, aux institutions publiques et l’autre, traditionnelle qui repose sur les droits coutu­miers et axée sur la solidarité, le vivre ensemble et la mise en commun des forces pour la protection des ressources naturelles.

    Les interdits comme système de protection environnementale

    Dans de nombreux villages de la Côte d’Ivoire par exemple, il existe des cours d’eau et des forêts qui sont des espaces physiques protégés par des interdits. Ces derniers sont respectés par toute la communauté : interdiction d’utiliser le bois d’une forêt considérée comme sacrée, interdiction de pêcher dans une eau durant une période donnée de l’année bien précise, par exemple. Certains animaux sont également considérés comme des totems qu’il ne faut ni tuer ni manger.

    Ces interdits, quelle qu’en soit l’origine ou le sens, ont eu pour effet de préserver l’environnement et ainsi d’assurer la subsistance des peuples en favorisant la régénération de la faune et de la flore. Même si ces règles ne sont pas codifiées, elles subsistent encore dans de nombreuses sociétés africaines et sont respectées par la communauté qui les prône.

    Il en est de même en ce qui concerne les modes de règlement des conflits sociaux. En effet, lorsque survient un litige, ou lorsqu’une personne désobéit aux règles établies par la société, le problème est d’abord posé au chef de famille dont relève le ou les protagonistes, puis à l’ensemble de la notabilité lors d’une délibération qui se déroule de manière ouverte sous « l’arbre à palabre ». Pour les villageois, intenter une action en justice est le dernier recours pour régler un problème.

    Bien que l’organisation traditionnelle des sociétés africaines diffère de celles des sociétés occidentales, il est possible d’observer que les deux types d’organisation sociale mobilisent chacune à sa manière les dimensions institutionnelle, politique, économique et juridique essentielles à la régulation de toute vie en société.

    Il est possible alors d’avancer l’idée qu’il existe également en Afrique cette notion de « Biens Communs » dans la mesure ou les ressources matérielles ou immatérielles appartiennent et bénéficient à tous les membres de la communauté, à condition bien sûr d’être gérées par une gouvernance commune au sein de cette communauté.

    Redéfinir le rôle de la science et des experts

    Aujourd’hui, les nombreuses discussions sur le développement durable restent à un niveau (trop) politique. Ce sont des débats d’expert à expert qui s’intéressent au développement durable selon différents angles (économique, politique, social, environnemental), selon les continents (africain, européen, américain) ou selon la finalité (consultant, enseignant, juriste...).

    En effet, au-delà du confinement des discussions à l’échelle internationale, du point de vue des acteurs, le débat semble pratiquement confisqué dans les forums internationaux par l’élite universitaire et technocratique, au détriment des acteurs locaux, des représentations endogènes et des expériences vivantes, alors que les acteurs locaux auraient tant de choses à dire, tellement de choses à montrer quant à la préoccupation du développement durable.

    Même si dans les sociétés rurales africaines beaucoup de paysans ne savent ni lire ni écrire ils ont conscience que se produisent des changements climatiques. La raison en est que les pays africains connaissent deux principales saisons. Une dite de pluie et une dite sèche. Lorsque la périodicité de chaque saison s’allonge les agriculteurs ne peuvent pas planter ou récolter au moment opportun, ce qui a un impact sur leur subsistance, leur économie et se répercute de fil en aiguille sur la stabilité alimentaire et économique du pays.

    Afin de faire valoir ces savoirs dans la recherche en développement durable, il faut envisager un nouveau mode de recherche scientifique axée sur une science participative, plus collaborative, ouverte à la pluralité des savoirs, aux débats citoyens et non exclusivement centrés sur « les laboratoires fermés »; ce que nous offre la Science Ouverte.

    La Science Ouverte vise à concrétiser une « intelligence collective » comme le mentionne Jérôme Laniau. Elle est la capacité pour un groupe de personnes de mettre ensemble leurs connaissances en vue de maximiser leurs expériences et compétences. Cela suppose que le savoir soit parcellaire et que la mise en commun de celui-ci le soit de manière libre et volontaire afin de forger un savoir collectif. Dans le milieu de la recherche cela suppose d’adopter une nouvelle philosophie axée sur la collaboration entre pairs, le partage équitable d’information, la publication de résultats de recherche en libre accès protégés par les normes Créative Commons.

    Les dynamiques nouvelles de recherche sur la préoccupation de développement durable devraient se construire avec les représentations locales, les pratiques endogènes et l’ensemble des acteurs impliqués, dans une approche résolument inclusive et participative de prise en charge des risques environnementaux. Réfléchir à l’apport des savoirs traditionnels dans la préservation de ces ressources n’est pas nouveau. Mais, dans le contexte actuel, cette réflexion nécessite une plus large ouverture de la science. Une science prenant en compte la diversité des acteurs dans l’espace public ainsi que leurs représentations et leurs savoirs.

    On préconise couramment d’apprendre à une personne dans le besoin à pêcher plutôt qu’à recevoir continuellement du poisson. À ce stade des réflexions sur le développement durable il ne s’agit plus de pêche mais de trouver un moyen plus participatif afin de protéger le lac et permettre que la pratique de la pêche perdure.

     

    BIBLIOGRAPHIE :

    AYITTEY George, (2006) Indigenous African Institutions, Ardsley, NY : Transnational

    KI-ZERBO Joseph, (1999) Histoire générale de l’Afrique: méthodologie et préhistoire en Afrique, UNESCO, en ligne : http://unesdoc.unesco.org/ images/0018/001843/184341f.pdf

    LANIAU Jérôme, (2009) « Vers une nouvelle forme d’intelligence collec­tive ? » en ligne : www.cairn.info/revue-empan-2009-4-page-83.htm. DOI : 10.3917/empa.076.0083.

    WEINSTEIN Olivier, (2013) « Comment comprendre les « communs » : Elinor Ostrom, la propriété et la nouvelle économie institutionnelle », Revue de la régulation en ligne, http://regulation.revues.org/10452

    SITES VISITÉS :

    http://afriquepluriel.ruwenzori.net/politique3.htm

    www.Scienceetbiencommun.org

     

    Source: L'Interdisciplinaire, journal étudiant de l'Institut EDS

    [Journallinterdisciplinaire]

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