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Quand les secteurs privé et public mettent leurs compétences au service des jeunes entrepreneurs sénégalais



  • Mame Aby Seye, directrice générale du Fonds de financement de la formation professionnelle et technique (3FPT) et Kader Beye, responsable Études et Développement au sein de l’institution financière Acep Sénégal, ont répondu à nos questions sur l’accompagnement à la création d’entreprise. Leurs institutions sont toutes deux partenaires du Gret sur le projet Ajesud*, qui vise à favoriser l’employabilité des jeunes Sénégalais·e·s en privilégiant le continuum formation-financement-insertion.

     

    Mame Aby Seye, directrice générale du Fonds de financement de la formation professionnelle et technique (3FPT)

      

    Quelles sont pour vous les conditions de réussite d’un accompagnement non financier de qualité ?

    L’expérience du projet Ajesud nous permet de tirer des enseignements sur les facteurs clés de succès. D’une part, il faut instaurer un mécanisme rigoureux de sélection des personnes qui bénéficieront du dispositif. En effet, tout le monde n’est pas un « entrepreneur né », et créer son entreprise nécessite une forte motivation et une volonté sans faille, deux facteurs essentiels à la réussite de l’accompagnement non financier. La définition de critères de sélection pertinents permet très vite d’identifier les bons profils.

    Ensuite, l’accompagnement individualisé doit être performant. Au-delà des formations collectives, un accompagnement individualisé et un suivi régulier tout le long du parcours sont déterminants dans la réussite du projet entrepreneurial. Cela sous-entend de mobiliser des formateurs et des coachs à la fois motivés, expérimentés et compétents, et de structurer cette offre de services autour d’acteurs reconnus au sein de leur secteur.

    Enfin, des ressources financières dédiées. Il faut en effet des ressources financières relativement importantes pour supporter les coûts de mise en œuvre des étapes du parcours d’accompagnement, liés entre autres aux formations, au coaching, à la logistique et aux transports. La pérennisation de ce type d’appui nécessite d’avoir des ressources financières disponibles et spécifiquement dédiées.

     

    En quoi l’accompagnement non financier d’un·e entrepreneur·e constitue-t-il une étape importante de son parcours ?

    L’accompagnement non financier est essentiel dans le processus de création d’entreprise. Les données du Bureau de mise à niveau montrent qu’au Sénégal, près de 60 % des PME-PMI ne survivent pas à leur premier anniversaire. Parmi les principales raisons de ces échecs figurent le manque de maîtrise du projet entrepreneurial, l’ignorance des réalités du marché, l’insuffisance de contacts et l’absence de plans d’affaires réalistes et bien conçus. Les porteurs de projets n’ont d’ailleurs pas souvent connaissance de l’existence de ces services d’accompagnement. Ces insuffisances expliquent les difficultés pour bon nombre de jeunes primo-créateurs d’accéder à un financement.

     

    Quel regard portez-vous sur la collaboration initiée il y a plus de deux ans avec Acep Sénégal dans le cadre du projet AjeSud ?

    Nous expérimentons depuis le début du projet une collaboration avec l’institution financière Acep Sénégal, et c’est une première pour le 3FPT. Le développement de produits financiers exclusivement dédiés aux sortant·e·s des centres de formation – habituellement exclu·e·s de toutes formes de financements – est un réel motif de satisfaction pour le 3FPT, qui tente de faire bouger les lignes depuis plusieurs années.

    Dans le cadre de la pérennisation des activités, nous réfléchissons à un nouveau partenariat avec Acep Sénégal, pour élargir nos cibles et rendre plus accessibles nos services d’accompagnement à l’entrepreneuriat, mais aussi pour améliorer les processus de traitement des dossiers de financement.

     

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    Kader Beye, responsable Études et Développement au sein de l’institution financière Acep Sénégal

     

    Pourquoi les institutions financières sont-elles frileuses à financer de jeunes entrepreneur·e·s ? Dans quelle mesure un accompagnement non financier atténue-t-il les risques ?

    Du point de vue de l’institution, financer les jeunes est complexe et risqué, si bien qu’ils ou elles sont généralement exclu·e·s des politiques de crédit. Ce qui les empêche d’accéder au financement relève aussi bien de l’inadéquation des formations aux besoins du marché – rendant le projet peu enclin à trouver une demande – que du manque de compétences liées à la gestion de l’entreprise ou du défaut de garanties. Autant d’écueils qui n’apportent pas à l’institution les garanties essentielles à la réussite du projet entrepreneurial, notamment en termes de couverture des risques du crédit. C’est là où l’accompagnement non financier – effectué par un·e prestataire d’appui aux entreprises – permet de combler le phénomène d’asymétrie. Cet organisme appuie le ou la jeune dans la rédaction du plan d’affaires, la recherche de financement et la gestion du crédit, afin que le projet d’entreprise soit structuré, à la fois mesuré et viable financièrement, suivant la logique « commencer petit pour finir grand ».

     

    Doit-on attendre les mêmes garanties de la part d’un·e jeune que d’un·e client·e classique ? Comme cela se traduit-il plus particulièrement dans les produits financiers qui leur sont proposés via AjeSud ?

    Un·e client·e classique doit pouvoir démontrer ses aptitudes de gestionnaire et sa capacité à respecter des engagements financiers. Il ou elle a accumulé des revenus réguliers, au cours de plusieurs cycles de crédit, et doit être en mesure de présenter un patrimoine tangible comme garantie. À l’inverse d’un·e client·e classique (où il s’agit d’une réflexion sur le cash-flow), dans le cas d’un crédit primo-créateur, nous analysons les projections financières. Financer ce segment de clientèle implique une approche produit et des prises de garanties adaptées.

    Dans le cadre d’AjeSud, la démarche est contextuelle, alliant cautionnement d’un tuteur (un parent qui constitue le tiers de confiance) et engagement du jeune promoteur. Ce souci d’adéquation et de pérennisation a rythmé le processus de conception des produits financiers, AjeSud recherchant le juste équilibre entre les besoins spécifiques et la réalité du marché financier.

     

    Comment se passe votre collaboration avec le 3FPT, une institution publique aux enjeux a priori différents de ceux d’une institution financière comme la vôtre ?

    L’expérience d’AjeSud montre qu’il est essentiel de développer des synergies entre des institutions financières et des structures d’accompagnement publiques comme le 3FPT. Cela permet de réduire les risques pour toutes les parties et d’être en mesure de pérenniser les services à l’issue du projet. Le schéma mis en place obéit à une logique d’ensemble où est défini un cadre agile de collaboration qui intègre à la fois les enjeux – économiques et financiers – des deux structures et les principes de continuité et d’interdépendance des composantes du plan d’accompagnement.

     

    En savoir plus sur :

    Le projet AjeSud

    3 questions à… Sokhna Ly, présidente de la Mutuelle des associations féminines d’épargne et de crédit en Mauritanie

    Les activités du Gret au Sénégal

    Les activités du Gret en microfinance

     

    * Le projet Ajesud est mis en œuvre grâce au soutien financier de l’Union européenne (UE). Le contenu de cet article relève de la seule responsabilité du Gret et ne reflète pas nécessairement les opinions de l’UE.

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