« Notre système fonctionne parce que nous sommes sur l’action » ; Gilles Marchal E3D environnement.

Share Button

Entretien réalisé à Aix en Provence en 2018.

Depuis le Grenelle de l’environnement en 2008, les politiques publiques orientées vers la transition écologique ont échoué. Les collectivités avaient pour obligation d’ici 2015 de réduire de 15 % la quantité de déchets produits par le habitants. L’objectif n’a pas été atteint. Le plan Ecophyto qui avait pour ambition de réduire de 50% l’usage des pesticides d’ici 2018 a vu leur usage augmenter. En matière de consommation énergétique, même si les EnR progressent, nos villes restent énergivores malgré les progrès techniques pour un habitat sobre, et polluées par le trafic routier. Il y a des avancées, mais les décisions prises « d’en haut » ne produisent pas les effets escomptés.

Alors, que faire ? Une entreprise créée en 2009 par Gilles Marchal, (E3D environnement – Aix en Provence) propose une approche innovante pour inverser cette tendance avec un système – GD6DTM – qui a nécessité des années de recherche et développement.

Gilles Marchal

Gilles Marchal : « Traiter la question d’atteindre les objectif pour préserver la planète ça ne viendra pas des politiques. Ça viendra du bas, des citoyen(ne)s, des habitant(e)s et c’est bien pour cette raison que nous avons créé ce service. Les changements que l’on attends viendront des changements de la demande et non pas de l’offre. Aujourd’hui la majorité des moyens que les états mettent en place c’est pour soutenir l’offre et du coup, ils mettent tout sur la technologie et les industriels alors que pour moi la solution vient de la demande. Le modèle économique de l’offre n’est pas le bon.

J’attends de Nicolas Hulot qu’il soutienne l’innovation dans le domaine de la demande, qu’il fasse plus confiance aux habitants pour être le moteur de la transition écologique plutôt que d’attendre des industriels ou d’en haut que ça change.

L’industriel dira toujours que les gens ne sont pas prêts, donc qu’il ne peut pas faire ça car ce n’est pas possible en terme d’offre. Il dira, si je le fais je ne vends plus.

Nous sur le terrain, on obtient en six mois des réductions de consommation de 6% d’électricité, on améliore la qualité de la poubelle grise de 10 % car les gens jettent mieux, on augmente le tri de plus de 30 %, on arrive à modifier en 12 à 18 mois des habitudes sur la mobilité avec des augmentation du covoiturage de 7% et les taux d’adhésion au dispositif sont à plus de 95% et 75% des 95% restent actifs dans la durée.

Quand c’est le politique qui pousse l’offre, ça ne va pas vite. Exemple avec les emballages. Tant que les habitants achètent des emballages, ils jettent des emballages. L’industriel a tout intérêt à vendre de l’emballage, c’est pratique, c’est sanitaire, ce n’est pas lui qui paie le déchets, c’est parfait. Imaginons qu’autour d’un hypermarché, le dispositif d’E3D environnement soit mis en place sur la zone de chalandise et qu’avec le numérique et notre système, la population fasse pression par le nombre sur l’hypermarché, l’offre de ce commerçant va s’adapter très rapidement à la demande ».

Christian Coste : Pourquoi et comment une start-up réussie à changer les comportements là où les politiques échouent ?

GM : « nous avons développé un système qui permet aux personnes d’agir dans différents domaines de l’écoresponsabilité, d’échanger entre eux, de proposer des projets entre eux quand ils sont prêts, de faire des défis collectifs sur des sujets qu’ils choisissent. Là, un élu peut voir que les gens sont plus préoccupés par la mobilité dans tel quartier, donc il peut proposer quelque chose pour améliorer la mobilité. Ce n’est pas la boîte à idées. Nous faisons agir les gens. On donne le retour à la collectivité qui peut voir comment les gens agissent et mesurer cette action. Notre système n’utilise ni la contrainte, ni la récompense. Il utilise la communication engageante, parce que nous proposons des actions très concrètes aux personnes et on leur donnent du feedback sur l’intérêt de ce qu’elles font ; puis on adapte l’argumentaire et nous mettons les participant(e)s en position d’adhérer à des valeurs et de passer aux actes.

98 % de la population n’est pas prête à faire cette démarche de changements de comportement en adoptant des pratiques écoresponsables. Avec notre système, plus de 90 % des personnes s’engagent sur une, deux, trois ou x actions concrètes, parce que nous allons vers eux, nous les accompagnons, nous les suivons pas à pas en prenant soin de correspondre à leurs valeurs et non pas en leur proposant des actions qui ne les stimulent pas. On commence par un porte à porte pour rencontrer la population par l’intermédiaire de nos ambassadeurs(trices) . Souvent nous commençons par une action qui se voit, par exemple le StopPuB. Après notre passage on obtient plus de 50% des boites au lettres qui ont l’autocollant. Du coup les autres habitants voient le changement. Et l’effet multiplicateur s’engage par l’effet de la norme sociale. Ensuite, nous mesurons l’efficacité de l’action avec un retour qui permet aux habitants de constater les effets de leurs actions. Exemple : dans votre résidence, votre lotissement, vous êtes plus de 1 sur 2, ou 3 sur 4 à avoir adoptés cette pratique. Ainsi, un sentiment d’appartenance à un collectif se fait jour sans que les personnes aient à se connaître. Les erreurs qui sont faites en matière de modification des comportements, c’est de dire que l’on va tout de suite faire agir les gens ensemble, ils vont aller ramasser les papiers, etc. Mais en leur montrant qu’individuellement ils sont un collectif sans avoir eu besoin de connaître leur voisin, on peut ensuite leurs proposer des actions qui vont leur permettre d’agir collectivement et prendre du goût à être ensemble. Aller chercher par exemple sa poubelle pour les bio-déchets à un endroit plutôt que de les distribuer en porte à porte, cela produit de la rencontre et un sentiment d’émulation et de partage d’expériences ».

distribution poubelle biodéchets - Montpellier

distribution poubelle biodéchets – Montpellier

CC : Il y a des résistances aux changements, c’est bien connu, surtout sur les questions d’écologie et des pratiques écoresponsables, vous devez les rencontrer sur le terrain ?

GM : « Je suis conscient, mais je n’agis pas », c’est en substance la situation de la majorité de la population concernant les pratiques écoresponsables. Quand vous discutez avec un habitant, il vous dît Ha oui, oui c’est important de protéger l’environnement, la voiture oui oui, il faut trier oui oui, mais il n’y a pas le passage à l’acte. On est dans la communication persuasive qui laisse l’individu seul face l’action et l’amène à se dire, que le problème est plus important que ses propres actions et il laisse tomber. Il y a celui qui dît je suis trop vieux ça sera pour les autres, celui qui dît je suis trop jeune. Ils n’ont aucune idée de comment ça peut se passer. Il y a une minorité de la population qui est en train de se prendre en main, qui est dans la recherche action, peut-être 1 à 3 % de la population. A propos de l’écologie, ma crainte c’est que les journalistes font très bien leur boulot en montrant des exemples de ce qui est en train de changer et cela produit l’idée que le changement pour la préservation de la planète, de l’environnement, peut passer sans l’action de chacun. Ça ne passe pas par eux. On leur dît voyez, il y a des gens qui font des choses, là ça bouge. Ça part d’une bonne intention mais ce que cela produit, c’est que les gens pensent que tout va relativement bien parce qu’ « on » est en train de s’en occuper, alors qu’en fait « on » ne s’en occupe pas. Les médias gagneraient à démontrer que ce n’est pas suffisant.

« Aujourd’hui, nous sommes une dizaine de permanent(e)s
et nous intervenons en France et en Europe
(Pologne, Espagne, Belgique, Italie).»

Ce que je fais c’est accompagner les changements de comportements. Je suis une personne impliquée dans les modifications comportementales. Il y a quelques années, j’ai rencontré Natacha Romma qui est la première chercheur française à avoir démontré dans sa thèse, que l’on pouvait retranscrire des techniques de communication qui jusque là étaient utilisées par des docteurs avec bac +9 +10, sur un système numérique. Elle a démontré qu’on était capable de changer les comportements sans experts. C’était l’osmose complète avec mon projet. Je l’ai recruté et elle travaille toujours avec moi. J’ai aussi recruté un développeur pour les applications numériques. Lui écoute Natacha et il codifie la méthode. Aujourd’hui, nous sommes une dizaine et nous intervenons en France et en Europe (Pologne, Espagne, Belgique, Italie). 

Qu’est ce qui fait que je change quelque chose dans ma vie ? Est ce que je suis un individualiste ? Un pro environnemental ? Un attentiste qui a besoin de voir d’autre personnes le faire avant d’agir ? Un sceptique qui dît, moi le changement c’est une connerie !…

La population est représentée par ces groupes là. Ce sont des vrais clusters solides. Les argumentaires sont donc construits en fonction des valeurs des personnes rencontrées sur le terrain avec la transmission de témoignages de personnes qui leurs ressemblent et qui expliquent pourquoi elles changent quelque chose dans leur comportement. Les ambassadeurs sont dans une attitude neutre.

CC : Les élu(e)s comprennent votre démarche ?

E3D-XSGM :  « Pour la première opération que nous avons mené à Aix en Provence, les élu(e)s nous disaient : c’est bien votre truc, ça va marcher avec les bobos mais pas dans les quartiers populaires. Avec des experts en sciences comportementales et une méthode, nous avons eu un accueil extraordinaire de la population. Les gens sont prêts et adhèrent à 95 % au dispositif et ils utilisent la plateforme numérique qu’on a mis en place. C’était en 2012, sur nos fonds propres auprès de 300 foyers en partenariat avec la confédération du logement. On a impliqué le gardien qui avait un problème de propreté et d’incivisme. Depuis 2012, avec le recul d’une vingtaine d’opérations sur le terrain, certains politiques ont compris.

Les fonctionnaires eux ont compris et ce sont eux qui nous achètent le dispositif. Parce que eux ils sont dans une quadrature du cercle, on leur demande des résultats, de réduire leur coûts, tout un tas de choses. Il comprennent l’intérêt de la mise en place d’un service qui fait que les habitants agissent dans la direction qui est favorable aux objectifs, avec un feedback qui permet une meilleure reconnaissance de leur travail au sein de la collectivité locale.

A Montpellier par exemple, nous testons avec la collectivité la collecte des bio-déchets. La métropole a mis en place des tubes (point d’apport volontaire) pour collecter les bio-déchets. Sur la zone, nous suivons 400 foyers et c’est plus de 300 personnes qui sont venues chercher leur bio-seau et en une semaine ils ont remplis le tube. Là, ils vont faire deux collectes par semaine parce que le contenant est plein avant la fin de la semaine. Avec le dispositif d’E3D environnement, ces personnes sont suivies depuis un an, elles ont déjà engagées des actions concrètes de modification des comportements avec une appropriation d’actions écoresponsables.

« Notre système fonctionne parce que nous sommes sur l’action,
ce n’est pas le forum et la boite à idée »

Les arguments que l’on présente aux élu(e)s portent d’autant plus par rapport au séisme que l’on a sur les dernières élections (l’abstention à plus de 50 % NDLR). Nous on explique à l’élu(e) que nous n’amenons pas un service pour réduire les déchets, ou les consommations d’eau ou d’énergie, on invente un système de confiance qui est bidirectionnel et qui permet à la collectivité de dialoguer avec sa population et qui permet à la population de comprendre ce qu’on attend d’elle, ce que le politique et l’administration de la collectivité attendent d’elle. On leur montre que ce qu’on attends des gens ce sont des choses ultra simples, qu’ils sont capables de faire. On installe un média de confiance entre la collectivité et l’habitant(e), un dialogue. Le politique peut voir ce qu’est en train de faire la population, dans quelle direction elle va et comment il peut soutenir son action plutôt que de décider pour elle ».

Gilles Marchal poursuit en expliquant que depuis 30 ans, le politique se maintient en place avec un minimum d’actions et de dialogue avec sa population. Qu’aujourd’hui on est au tout début d’un processus. Qu’il y a avec Emmanuel Macron, un espoir important et qu’une partie de la population s’est dît cette fois-ci, je fais un dernier effort. Que ceux qui ne se sont pas déplacés, ils sont déjà au bord, ils ont déjà mis de côté la gouvernance et ce que c’est qu’une collectivité. Que pour autant l’être humain à besoin d’avoir une hiérarchie et une politique, qu’il ne peut pas fonctionner seul, l’histoire nous le démontre. Que son dispositif GD6D, permet de remettre en place un dialogue positif qui permet aux élu(e)s de faire comprendre leur politique, d’amener la population à agir dans la direction des  politiques liées au développement durable et donc de leur simplifier la réalisation de leurs projets et de réduire leurs coûts.

GM «  Notre système fonctionne parce que nous sommes sur l’action, ce n’est pas le forum et la boite à idée. Il faut désormais faire confiance aux habitant(e)s et leur donner les moyens pour qu’ils fassent pression sur l’offreGrâce au numérique on peut relier les individus entre eux pour leur démontrer que chaque action individuelle a un impact collectif hyper puissant sur l’évolution de l’offre et sur la protection de la planète et de la société en elle même. Si les politiques font confiance à la population, la population fera confiance aux politiques.

Nous avec notre dispositif on est capable d’atteindre les objectifs qui sont fixés pour préserver le climat et rester en dessous des 2 degrés pour quelques milliards d’euros sur toute la planète. Notre système démontre que l’on a pas besoin de faire tous les investissements envisagés par les politiques et les industriels parce que quand les gens changent quelques unes de leurs habitudes de consommation, on bouleverse tout et on va dans la bonne direction. Donc le levier est beaucoup plus fort mais il n’est pas utilisé parce que quand vous discutez avec un politique il ne croît plus en sa population, il vous dît que ça fait 20 ans qu’il essaie d’expliquer mais qu’il ne voit pas de réel changement. Alors, il fait confiance à la technique pour résoudre ses problèmes de propreté urbaine par exemple. Le seul inconvénient c’est que ça coûte cher à la collectivité et qu’il faut toujours réinvestir car le problème prend de l’ampleur avec le temps »  »

Nous on dît à la collectivité, vous voulez réduire la circulation, apprenez à connaître vos populations et proposez leur des actions peu engageantes pour démarrer (exemple, le stop pub), faites leur un feedback et petit à petit, vous pourrez réduire la circulation parce que vous pourrez mobiliser votre population sur des actions plus engageantes par rapport aux modes de vies actuels peu en accord avec les objectif de protection de l’environnement.

gillesmarchalDe formation ingénieur en agro-économie, Gilles Marchal est né à Dakar et a vécu 15 ans en Afrique. Avant de créer E3D environnement, son parcours l’a conduit à travailler à l’Agence Française de Développement, Véolia, le groupe Pizzorno environnement.

 Vers le site web : http://www.e3d-environnement.com/qui-sommes-nous-2/

One Comment

Ajouter un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *