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Libération
Interview

Le plan Hulot, «quatre mesures écologiques et solidaires»

Prime à la casse étendue, chèque énergie, crédit d’impôt transformé en prime et coup de pouce pour changer de chaudière. Le ministre annonce dans «Libération» les premières mesures concrètes du plan climat, pensées pour accompagner les plus modestes.
par Coralie Schaub
publié le 17 septembre 2017 à 20h16
(mis à jour le 17 septembre 2017 à 20h26)

Le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, détaille plusieurs mesures budgétaires destinées à concrétiser le plan climat présenté le 6 juillet et censé «accélérer la mise en œuvre de l'accord de Paris». Elles s'adressent en particulier aux ménages modestes.

Vous nous dévoilez plusieurs mesures d’accompagnement du plan climat. Quelles sont-elles ?

Nous avons fait le choix de transférer une part de la fiscalité portant sur le travail vers la fiscalité sur les énergies fossiles, pour contribuer à réduire leur consommation. Il est essentiel d’accompagner les Français dans cette évolution. Il y a quatre mesures importantes, qui s’inscrivent dans la dimension solidaire de mon ministère et constituent ce que j’appelle le «paquet solidarité climatique». Elles permettront à tous les Français, et en priorité aux plus modestes, de participer à la lutte contre le changement climatique et la pollution de l’air.

La première, c'est la prime à la conversion des véhicules. Pour ceux qui veulent passer d'un vieux véhicule polluant à une voiture thermique à faible émission de CO2, il y a des nouveautés et le dispositif est encore plus ambitieux que ce qu'avait annoncé Emmanuel Macron pendant sa campagne. A partir de 2018, la prime de 500 euros à 1 000 euros qui existait jusqu'ici uniquement pour les ménages à revenus modestes, et qui ne fonctionnait pas bien, sera généralisée à tous les Français propriétaires de véhicules essence d'avant 1997 ou diesel d'avant 2001. Elle s'appliquera à l'achat d'un véhicule neuf mais aussi, et c'est nouveau et très important, à l'achat d'une voiture d'occasion récente dès lors qu'elle porte une vignette Crit'Air 0, 1 ou 2 [un des six autocollants classant les véhicules en fonction de leurs émissions, obligatoires dans certaines zones, comme à Paris, ndlr] et émet donc moins de particules et consomme moins de carburant que le véhicule qui sera mis à la casse. Pour les ménages non imposables, cette prime sera doublée, pour être portée à 2 000 euros, et concernera, dans le cas du diesel, les véhicules antérieurs à 2006. Et pour tous ceux qui souhaitent passer à l'électrique, la prime à la conversion sera de 2 500 euros et s'ajoutera au bonus dont le montant est maintenu à 6 000 euros.

Pouvez-vous citer des exemples ?

Une famille non imposable qui souhaite remplacer une Clio de 1991 par un modèle d'occasion plus récent - une Clio 3 de 2006 qui émet 125 grammes de CO2 par kilomètre parcouru (gCO2/km) et a une valeur moyenne de 3 500 euros - touchera une prime de 2 000 euros, soit plus de 50 % du prix du véhicule. On pourrait dire la même chose pour un ménage qui remplace une Citroën C3 de 2005 par une Peugeot 206 de 2012 de norme Euro 5, qui a une valeur moyenne de 3 500 euros. C'est une mesure qui portera ses fruits, j'en suis certain. La prime à la conversion, à laquelle à peu près 3 millions de voitures anciennes et polluantes seront éligibles, s'adresse donc à tous les Français, mais elle sera modulée en fonction des conditions de ressources. Nous avons fait en sorte qu'elle aide mieux ceux qui se trouvent dans des situations compliquées car ils n'ont souvent plus accès, à cause de leurs véhicules trop polluants, aux centres urbains en cas de pics de pollution.

Que coûtera cette mesure ?

Nous avons fait des simulations, mais comme pour toute nouvelle mesure, les résultats ne sont pas connus à l’avance. Nous visons plus de 100 000 véhicules concernés en 2018. Au-delà du changement climatique, il s’agit aussi de lutter contre les problèmes de santé causés par la pollution de l’air. Intégrée dans un plan global, c’est donc aussi une partie du dispositif pour lutter contre la pollution atmosphérique. Aucune mesure n’est miraculeuse en soi, mais chacune mise bout à bout aura une efficacité certaine. Nous allons aussi mobiliser tous les constructeurs automobiles et les vendeurs de véhicules d’occasion pour qu’ils donnent une visibilité importante à cette prime.

A quoi ressemblera le nouveau malus automobile, cette taxe sur l’achat des véhicules neufs les plus émetteurs de CO2 ?

Cela fait partie du même dispositif et permet de financer les primes à la conversion et les bonus. Les primes ont été revues à la hausse, et nous avons aussi abaissé le seuil de déclenchement du malus. Il s'appliquera désormais aux véhicules émettant plus de 120 gCO2/km, contre 127 gCO2/km aujourd'hui. L'objectif européen est d'atteindre 95 gCO2/km en 2020. Mais contrairement à certaines rumeurs, cela se fera dans le temps, sans brutalité, car il faut une certaine progressivité. Le malus des véhicules les plus polluants, comme les plus gros 4 × 4, sera aussi relevé, à 10 500 euros.

Le malus sera-t-il étendu à l’émission de polluants atmosphériques, comme les particules fines, au-delà du seul CO2 ?

Non. Pour l'instant, et dans la continuité de l'objectif de neutralité carbone fixé à 2050 dans le plan climat, nous ciblons en priorité une baisse des émissions de CO2 avec le malus, l'objectif de réduction des polluants étant concentré dans les normes toujours plus exigeantes. Ce premier paquet de mesures écologiques et solidaires permettra aux Français de faire des économies. En leur facilitant l'achat de véhicules qui consomment moins, ils pourront aussi réduire leur facture de carburant et la pollution de l'air. C'est donc à la fois efficace et juste.

Quelle est la deuxième grande mesure d’accompagnement ?

Nous allons étendre à toute la France le «chèque énergie» qui a été expérimenté dans quatre départements. Il devrait permettre d’aider 4 millions de ménages aux revenus très bas (moins de 7 500 euros de revenus annuels pour une personne seule ou 16 100 euros pour un couple avec deux enfants) à payer leur facture d’énergie (gaz, électricité, fioul, bois…). Autre nouveauté, alors que son accès était jusqu’ici assez complexe et dissuasif, le chèque sera désormais versé automatiquement, selon un barème allant de 48 à 227 euros par an, soit un montant moyen de 150 euros environ. A compter de 2019, il sera revalorisé et passera à 200 euros par an en moyenne. C’est une mesure conséquente, j’y tiens beaucoup.

Quid de la troisième ?

Celle-ci sera pour 2019, mais elle est importante aussi. Aujourd’hui, il existe le crédit d’impôt pour la transition énergétique (Cite), qui permet de financer notamment des travaux d’isolation dans les logements. Et donc de faire des économies d’énergie, de réduire sa facture de chauffage… Mais ce dispositif présentait un inconvénient car le crédit d’impôt n’est versé que plusieurs mois après l’achèvement des travaux, puisque les impôts sont payés l’année suivante. Pour les ménages aux faibles revenus, c’est un vrai frein car ils n’ont souvent pas les moyens d’avancer l’intégralité du financement des travaux, cela fait un trou dans le budget pendant trop longtemps. J’ai donc proposé qu’à partir de 2019, le crédit d’impôt se transforme en prime, versée dès que les travaux seront achevés. Pour les ménages aux moyens limités, c’est une réelle avancée. Car cette mesure, qui profitait surtout aux plus aisés, deviendra accessible à tous. D’ici à la mise en place de cette prime en 2019, le Cite sera reconduit et son périmètre adapté. Nous nous concentrons à cette occasion sur les mesures les plus efficaces pour réaliser des économies d’énergie.

Et le quatrième dispositif ?

C’est ce qu’on appelle les «certificats d’économie d’énergie». Cela a l’air technique et peu glamour, mais mine de rien, c’est un instrument majeur. On a décidé de les utiliser pour donner un coup de pouce au changement de chaudière au fioul. Cela pourra représenter jusqu’à 3 000 euros pour les ménages aux moyens les plus modestes qui veulent changer une chaudière au fioul très polluante, à condition de passer aux énergies renouvelables, comme le bois ou les pompes à chaleur.

Ces quatre mesures phares qui accompagnent le plan climat permettent de bien cibler et aider les ménages aux moyens limités. Comme, par ailleurs, nous avons prévu dans ce plan climat d’augmenter le prix du carbone et de rattraper le prix du diesel pour l’aligner sur celui de l’essence, cela permet de trouver un point d’équilibre et d’avoir ce «paquet de solidarité climatique» pour éviter de pénaliser ceux que le système a mis dans une impasse depuis quelques décennies.

La convergence diesel-essence se fera-t-elle d’un coup ?

Non, elle sera lissée sur quatre ans.

Porterez-vous la taxe carbone au-delà des 100 euros la tonne de CO2 (t/CO2) en 2030 prévus par la loi de transition énergétique ?

Ce sont des horizons lointains. Pour l'instant, nous accélérons l'augmentation du prix du carbone en passant à 44,60 euros/tCO2 en 2018 [au lieu de 30,50 euros] et nous poursuivons l'augmentation en visant un prix de 100 euros en 2030, en euros constants. Cette augmentation du prix du carbone permettra d'accélérer la transition énergétique, en améliorant la rentabilité des travaux d'économie d'énergie ou le passage aux énergies renouvelables.

Quid de l’écotaxe poids lourds ?

L’écotaxe, telle quelle, ne reviendra pas. En revanche, il est normal qu’un jour le transport routier contribue à l’effort. Encore faut-il qu’il y ait une stratégie d’ensemble permettant un report modal vers le fret ferroviaire, sans pour autant mettre le fret routier dans une impasse. Avec mes collègues ministres des Transports, de la Santé et de la Recherche, nous y travaillons dans le cadre des Assises de la mobilité lancées mardi par le Premier Ministre.

Les régions seront-elles autorisées à percevoir cette recette si elles le souhaitent ?

C’est une concertation que nous allons engager avec un certain nombre de territoires et de régions car chacun a sa spécificité.

Pour construire des logements neufs de façon «massive», Emmanuel Macron a dit vouloir «réduire les exigences des normes environnementales et sociales». Reviendra-t-on sur les mesures encourageant l’isolation ou le solaire ?

Je m'en tiens simplement à ce que j'ai entendu du président de la République, à savoir qu'on ne touchera pas aux normes environnementales existantes. Il n'est pas concevable pour moi que les constructions de logements ne soient pas compatibles avec celles-ci. D'autant plus que le meilleur service que l'on puisse fournir sur un plan social, c'est de livrer des logements exemplaires sur un plan énergétique. C'est ce à quoi nous travaillons avec mon collègue [en charge du Logement] Jacques Mézard. Nous voulons réduire la complexité, pas l'ambition.

Une taxation de l’autoconsommation d’électricité solaire est-elle prévue ?

Ce n’est pas prévu.

L’introduction d’une TVA modulée en fonction du caractère écologique ou non des produits est-elle à l’ordre du jour ?

Ce n’est pas dans les tuyaux non plus, mais cela pourrait faire partie d’une réflexion de plus long terme. La fiscalité incitative et dissuasive a pour moi vocation à accompagner une transition, le temps de dissuader certains flux et d’en développer d’autres. Je ne démords pas de la vision que j’ai depuis longtemps. Il faut soulager certains prélèvements obligatoires pour les reporter sur la fiscalité écologique, et réguler là où on a besoin de réguler. Le gouvernement commence à le faire, il le démontrera à travers un transfert de la fiscalité sur le travail vers une fiscalité sur les énergies fossiles polluantes. Ce qui est d’ores et déjà pratiquement acté, c’est une évolution à partir de 2019 de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) sur les déchets, pour dissuader la mise en décharge et inciter à recycler davantage. J’y travaille notamment dans le cadre de la feuille de route sur l’économie circulaire, que nous présenterons en 2018. Nous travaillons aussi à un mécanisme de régulation de l’artificialisation des sols.

Vous avez annoncé fin août que le budget 2018 de votre ministère serait «globalement augmenté de 3 %». Pouvez-vous en dire plus ?

Pas aujourd’hui, les annonces du gouvernement sur le budget sont prévues à la fin du mois.

Il a été dit que le ministère des Transports, qui dépend du vôtre, devra se serrer la ceinture et faire des choix…

Il y a des choix à faire, c’est sûr. Mais chaque ministère devra en faire car tous doivent plus ou moins contribuer à la solidarité gouvernementale en termes d’efforts budgétaires. Le budget du ministère de la Transition écologique et solidaire et celui des Transports sont globalement en hausse d’un peu plus de 3 %. Il faut prendre en considération cette discipline budgétaire, qui devrait nous permettre ensuite de nous donner un peu plus de latitude. Je ne vais donc pas me plaindre.

Certains grands travaux d’infrastructures, comme la liaison ferroviaire Lyon-Turin ou le canal Seine-Nord, seront-ils gelés ?

Ce que je confirme en l’état actuel, c’est qu’il y a une pause, le temps de définir les priorités. Avec la ministre des Transports, Elisabeth Borne, nous en avons deux : améliorer le quotidien des transports des Français, le confort, la ponctualité et la sécurité, et essayer de reporter une partie du transport de marchandises routier sur le rail. En parallèle, nous étudierons précisément les coûts et les financements des projets, sachant que nous allons aussi étudier la possibilité d’autres modes de financements. A partir du moment où les priorités sont définies, une hiérarchisation de mise en œuvre des projets sera établie. Un travail de fond sera mis en œuvre lors des Assises de la mobilité.

L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et l’Agence française pour la biodiversité manquent cruellement de moyens. Leurs budgets seront-ils augmentés ?

Sur nos agences et nos opérateurs, il y a une stabilité des budgets.

In fine, le budget 2018 donnera-t-il à la France les moyens de mener une politique écologique ambitieuse ?

Il faut se projeter sur cinq ans. Un effort a été demandé en 2018, effort auquel nous avons tous contribué d’une manière volontaire, en faisant des choix. Cela permet au ministère de la Transition écologique et solidaire d’avoir des moyens qui augmentent. Et sur le quinquennat, je suis confiant dans le fait que nous engageons une politique ambitieuse. Pour l’instant, je prends les premières dispositions, une par une. Ce n’est pas le tout d’un plan, mais la partie d’un plan. D’ailleurs, pour mener une politique ambitieuse, tout n’est pas seulement financier et économique.

Mais l’argent, c’est le nerf de la guerre…

Je refuse l’idée qu’une bonne politique publique, c’est toujours plus de dépenses publiques. Je prends un exemple simple : on pourrait accélérer le développement des énergies renouvelables, mais il faut que je règle des problèmes de résistances qui sont des verrous largement supérieurs aux verrous économiques et financiers. Ce qui freine et parfois tue les filières et décourage les opérateurs, ce sont, par exemple, les recours qui s’éternisent. J’ai donc aussi un devoir pédagogique. J’y travaille et je suis en train de voir comment définir des dispositifs qui raccourcissent les procédures pour l’éolien et le solaire, sinon on n’y arrivera jamais.

Sur quoi avez-vous dû faire des concessions dans le projet de loi de finances ?

Ce n’est pas un problème de concessions. Dans un premier temps, on accepte l’effort ou on ne l’accepte pas. Forcément, et c’est humain, on ne fait pas autant que ce que l’on désirerait faire. Mais en ce qui me concerne, je veux être dans la vérité et dans la transparence. Parfois, des promesses sont prises sans être budgétées. Moi, j’y vais pas à pas, je regarde ce que je peux faire et je serai dans une forme de sincérité budgétaire. Je pense que c’est l’état d’esprit de ce gouvernement.

Début juillet, le ministre de l’Action et des Comptes publics a annoncé une baisse de l’aide au développement de 141 millions d’euros. Le candidat Macron avait promis de la porter à 0,7 % du revenu national brut (RNB) d’ici à 2030. Ce n’est pas très bon pour l’exemplarité climatique…

J'attends beaucoup du sommet sur le climat du 12 décembre pour travailler là-dessus car l'objet de cette réunion est de regarder si on peut trouver de nouveaux mécanismes de financements climatiques pour les pays les plus démunis. Mais sur l'aide publique au développement, on n'en fait pas assez et on n'en fera jamais assez quoi qu'il en soit. Le Président a dit qu'on sera à 0,55 % d'aide en 2022 [0,38 % du RNB en 2016], et nous tiendrons les engagements pris à la COP 21.

Le gouvernement a confirmé que l’essentiel du Ceta, l’accord commercial UE-Canada, entrerait bien en vigueur jeudi. Vous vous êtes battu contre ce traité qui, avez-vous dit en 2016, «n’est pas climato-compatible». Où est la cohérence ?

Oui, je me suis battu. La commission d'évaluation de l'impact du Ceta, qui a rendu son rapport au gouvernement le 8 septembre, a confirmé les inquiétudes que j'avais et partageais avec d'autres. Nous avons mis en place des mécanismes de suivi pour prendre en compte les recommandations de cette commission. Le traité entrera en vigueur provisoirement, avant que les pays de l'UE ne l'aient ratifié, avec ces garde-fous. Je ne peux pas dire que cela me réjouisse, mais il y a des engagements qui ont été pris vis-à-vis du Canada par le gouvernement précédent. Pour ma part, je ne change pas d'avis et d'opinion, j'avance. Il faut se référer à Nelson Mandela : «Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j'apprends.» La messe n'est pas encore dite. Au dernier Conseil des ministres, le Président et le Premier Ministre se sont engagés à tirer toutes les conclusions du rapport de la commission d'évaluation. Le Ceta est mis sous surveillance. Avec le ministère de l'Agriculture et Matignon, nous allons travailler à des propositions pour essayer de se prémunir autant que possible des risques mis en évidence par le rapport. Et je rappelle qu'il y aura aussi une ratification par le Parlement, qui aura son mot à dire. Le Ceta servira de leçon pour les traités suivants.

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