Développement durable: quels progrès depuis Brundtland?

Gro Brundtland dans une école primaire de Sillery, en 2011

En 1987, la Commission des Nation unies pour l’environnement et le développement publiait «Notre avenir à tous». Rédigé sous la présidence de Gro Harlem Brundtland (alors première ministre de Norvège), ce rapport présente les résultats d’une consultation planétaire visant à proposer un programme global en vue d’un développement durable. Trente ans plus tard, que retient-on du rapport Brundtland et quels progrès observe-ton sur la voie qu’il a tracée?


Un constat et des recommandations lucides 

Le rapport Brundtland propose des solutions aux problèmes environnementaux les plus criants des années 80 ainsi qu’une définition du développement durable qui fera école : « Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. » 

En vue d’un développement durable, Brundtland recommande de modifier la qualité de la croissance économique, maîtriser la démographie, satisfaire les besoins humains essentiels, préserver et mettre en valeur les ressources, prendre en compte l’environnement dans la mise au point de nouvelles techniques et intégrer les préoccupations écologiques et économiques dans la prise de décision. 

Elle propose de diminuer la consommation énergétique et développer les énergies renouvelables, reboiser les régions touchées par la désertification, réformer la fiscalité pour réduire les pressions sur les écosystèmes, adopter des conventions internationales pour protéger la nature. Le rapport Brundtland insiste aussi sur l’importance de combattre la pauvreté et l’injustice, qui sont à la fois causes et effets des problèmes environnementaux.

La Commission Brundtland demande aux institutions internationales de mieux tenir compte des objectifs sociaux et environnementaux et d’alléger la dette des pays démunis. Elle recommande une réduction des dépenses militaires au profit de la lutte contre la pauvreté et les inégalités et interpelle les grandes entreprises en vue d’une production et d’une consommation plus responsables. Elle démontre en fait que l’économie et l’écologie mondiale sont profondément imbriquées. 

Des retombées impressionnantes

Le rapport Brundtland a catalysé la démarche des Nations unies et guidé l’action des gouvernements, de la société civile et des entreprises. Suivant Brundtland, les sommets onusiens ont adopté des conventions internationales, des déclarations, des objectifs et des plans d’action qui en reprennent les constats et les recommandations. De nombreux États dont le Québec ont suivi cette voie. On a vu se développer l’agriculture biologique, la certification environnementale, la responsabilité sociale des entreprises, la production d’énergie renouvelable, l’investissement responsable, l’économie verte, l’analyse de cycle de vie, l’écologisation des processus de production, mais aussi le marketing vert, pour ne pas dire le «green washing», permettant aux entreprises peu scrupuleuses de polir leur image de bon citoyen.

Quels progrès depuis Brundtland?

Des progrès ont certes été réalisés depuis Brundtland. Le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté a diminué, plus de gens ont accès à de l’eau potable, moins d’enfants meurent en bas âge et moins de mères décèdent à l’accouchement. Certains pays connaissent une prospérité sans précédent, bien qu’apparente. Le pillage des ressources naturelles et la dégradation de l’environnement atteignent un rythme effréné, le changement climatique menace les populations et les écosystèmes, et la capacité de support de la planète est sur le point d’être dépassée. L’écart entre riches et pauvres s’élargit constamment, l’insécurité progresse, la démocratie bat de l’aile et la pensée unique envahit les médias. 

La croissance économique s’appuie en fait sur l’appauvrissement des classes moyennes, l’endettement, le contrôle économique des banques, la surconsommation des ressources naturelles et la croissance des inégalités. La corruption continue de progresser tout comme les budgets militaires. Malgré un engagement ferme des gouvernements envers le développement durable, les actions significatives tardent à s’imposer. Les politiciens paraissent plus enclins à répondre aux lobbies qu’aux attentes légitimes de leurs électeurs.

Les défis d’un développement durable

Grâce à Brundtland, nous comprenons mieux les défis qui nous confrontent et le fait que le développement durable offre la meilleure opportunité de choisir notre avenir. Malgré cette prise de conscience et les efforts d’un nombre grandissant d’individus, la situation continue de se dégrader au point d’ébranler notre optimisme. Que peut-on faire pour l’améliorer ?

Les écologistes prônent la sobriété ou la simplicité volontaire. Mais comment convaincre les plus riches d’un tel virage? Le regretté Michel Jurdant suggérait de sensibiliser le citoyen, démystifier le progrès quantitatif, proposer des modes de vie alternatifs, et encourager un débat public démocratique. Il faut aussi éduquer jeunes et moins jeunes aux principes d’un développement durable, régulariser davantage et réduire le pouvoir des milieux financiers, miser sur la subsidiarité, responsabiliser les dirigeants, favoriser l’information indépendante, et surtout reconnaître l’influence des groupes d’intérêt. Un programme qui nous concerne tous sur la voie d’un développement centré sur la collaboration, la durabilité, le bien-être, la prospérité et la paix. 

Jacques Prescott, professeur associé à la Chaire en éco-conseil de l’Université du Québec à Chicoutimi; ex-fonctionnaire au ministère de l’Environnement, il a été au cœur de la démarche de développement durable du Québec