TRIBUNE

Pour une aide intelligente au développement : soutenir l'agroécologie

Les exploitations familiales sont agroécologiques, elles constituent une des solutions au dérèglement climatique. Elles sont de plus l'assurance d'une sécurité alimentaire et offrent des emplois aux jeunes plutôt qu'une migration périlleuse. C'est la définition d'un développement durable.
par Robert Lion, Président d'Agrisud International, Michel Prost , Président d'AVSF, agronomes et vétérinaires sans frontières, Patrice Burger, Président du Cari, centre d'actions et de réalisations internationales et Pierre Jacquemot, Président du Gret, professionnels du développement solidaire
publié le 23 novembre 2017 à 9h26

L’aide publique au développement affiche un sérieux point faible : elle fait depuis toujours de l’agriculture son parent pauvre. Elle est loin, la brève période où, dirigée par Robert McNamara, la Banque mondiale consacrait le tiers de ses concours au développement agricole. La Banque en est revenue à moins de 10%, niveau où en sont la plupart des pays donateurs.

Une défaveur particulière frappe l’agriculture paysanne, ou familiale. Au moment où la moitié de l’humanité vit encore hors des villes, cette agriculture-là est pourtant la première activité économique mondiale, fournissant plus de 70% de l’alimentation consommée par les hommes. Près de 5 milliards de personnes sur terre dépendent largement, pour leur survie, d’une agriculture, d’une sylviculture, d’un élevage ou d’une pêche de proximité. Or les performances de cette immense production sont souvent très faibles.

Ce paradoxe, auquel nous affirmons ici qu’il n’est pas très difficile de porter remède, va d’abord de pair avec l’insécurité alimentaire et la pauvreté, dominantes encore dans les zones rurales des pays du Sud. La précarité est continuellement aggravée par de violents phénomènes d’exclusion : accaparement des terres et déforestation par une agriculture «industrielle» irrespectueuse des sols, des eaux et de la biodiversité, comme de la santé des hommes ; expansion urbaine ; concurrence d’activités minières. L’agriculture de proximité souffre également d’une organisation inéquitable des filières, des spéculations multiples et de la volatilité des prix. Elle est souvent dévoyée par les intrants chimiques et ruinée par les importations.

Deux grands phénomènes viennent noircir encore le paysage : le dérèglement et le réchauffement du climat, leurs impacts sévères en termes de sécheresse et d’inondations, comme l’imprévisibilité croissante des cycles saisonniers ; l’expansion démographique, particulièrement en Afrique, qui aggrave le sous-emploi dans les campagnes et constitue une cause majeure des migrations.

Mais la petite agriculture familiale peut muter vite vers une activité économique efficace et robuste. Des milliers d’opérations se déroulent en ce sens, à l’initiative d’organisations paysannes et souvent d’ONG, elles-mêmes financées par une aide intelligente. On voit les paysans sortir de la précarité et atteindre l’autonomie ; ils diversifient les cultures ou les espèces, approvisionnent les marchés locaux, font baisser les importations. L’insécurité alimentaire recule, des emplois sont proposés aux jeunes.

L’agriculture de proximité, comme les autres, tient bien mieux la route et se montre plus résiliente quand elle fait le choix de l’agroécologie, une démarche qui repose tant sur les savoirs paysans que sur la recherche agronomique. Elle assure la fertilité durable des sols comme le respect des écosystèmes. Elle contribue à la séquestration du carbone, là où l’agriculture industrielle et ses composants sont émetteurs lourds de gaz à effet de serre.

Des progrès sont à portée de main, si l’aide est réorientée en ce sens, comme commence à le faire en France notre Agence de développement. C’est un sujet actuel : transition écologique, lutte contre le réchauffement, poursuite des «objectifs du développement durable», efforts pour stabiliser les populations du Sud, particulièrement en Afrique. Surtout, le soutien à une agriculture respectueuse de la nature et des hommes peut être une arme de protection massive dans la lutte mondiale pour le climat.

La Banque mondiale vient d'affirmer qu'un investissement dans l'agriculture est «quatre fois plus efficace que tout autre» pour la lutte contre la pauvreté. Il faut que l'aide au développement, et en particulier celle de la France, s'applique avec vigueur à ces immenses zones rurales où vivent la majorité des femmes et des hommes sur Terre ; qu'elle soutienne un développement rural intégré par territoires, c'est-à-dire une économie locale durable, elle-même créatrice potentielle de dizaines de millions d'emplois; qu'elle privilégie l'exploitation familiale de proximité et qu'elle oriente les pratiques vers l'agroécologie, laquelle lui permet d'être résiliente, productive, porteuse de mieux-être et de stabilité.

«Transformer profondément l'aide internationale» pour prendre en compte la priorité climatique, vient de dire à Bonn le président de la République. Y a-t-il un thème plus juste et plus efficace qu'un soutien puissant à l'agriculture familiale et à l'agroécologie, pour inspirer cette transformation ?

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