Navigation – Plan du site

AccueilNumérosVolume 19 Numéro 1Section couranteÉcologie et régulation des relati...

Section courante

Écologie et régulation des relations homme-faune : repenser la conservation de la biodiversité par les Communs

Nicolas Gaidet et Sigrid Aubert

Résumés

La manière dont l’Homme pense et représente ses relations avec l’animal sauvage a été profondément marquée d’une part par la manière dont les écologues ont décrit, organisé et expliqué le monde vivant, et d’autre part, par la manière dont les juristes ont élaboré et interprété les règles de droit. Les modes de classification, de quantification et de fonctionnalisation du vivant établi par la science écologique ont contribué à la formulation du droit autour de catégories assorties d’une finalité anthropocentrée de la régulation des relations entre humains et non-humains. Cette régulation a principalement consisté à atténuer les impacts du développement économique et à conserver une biodiversité minimum. Dans cette histoire, la place et le rôle des animaux sauvages comme acteurs des systèmes naturels ont été oubliés. Nous proposons ici de questionner la structure du droit en la confrontant aux pistes ouvertes par le renouveau des sciences écologiques, des débats et des dispositifs de politiques publiques pour dépasser la vision réductrice et anthropocentrée de l’enjeu de l’érosion de la biodiversité. L’approche par les Communs contribue aujourd’hui à remettre en question les modèles dominants de régulation des sociétés humaines en privilégiant le « faire commun ». Nous analysons les perspectives qu’offre cette approche pour restituer les notions d’interdépendance, de responsabilité, et de solidarité entre humains et non-humains dans l’usage des ressources.

Haut de page

Plan

Haut de page

Texte intégral

Introduction

1Les scientifiques écologues et juristes jouent un rôle clé pour représenter et définir la place des organismes non humains dans nos sociétés. Les écologues exercent cette représentation au travers de la production de connaissances sur l’organisation, les interactions et le devenir de ces êtres vivants ; pour les juristes, c’est au travers de l’élaboration, l’interprétation ou l’application de règles de droit organisant les interactions entre humains au sujet des non-humains.

2La manière dont l’Homme pense et représente ses relations avec l’animal sauvage a été profondément marquée, au cours de l’histoire contemporaine, par la conjugaison entre la manière dont les écologues décrivent, organisent et expliquent le monde vivant et la manière dont les juristes leur confèrent des statuts juridiques. En proposant un mode de classification, de quantification et de fonctionnalisation du vivant, la science écologique a contribué à la formulation du droit autour de catégories assorties d’une finalité anthropocentrée de la régulation de relations Homme-nature.

3D’une part, les modes d’exploitation de la nature régulés par l’échange capitaliste marchand, selon des principes de concurrence, d’appropriation, et d’accumulation des richesses, et d’autre part l’augmentation démographique (et l’urbanisation et la consommation croissantes d’espace et de ressources) ont abouti à la destruction des relations de réciprocité entre l’homme et la « nature » (le non-humain) sur lesquelles les sociétés se sont pourtant historiquement construites (Sabourin, 2013). Les solutions prônées et mises en œuvre pour remédier à la surexploitation des ressources et à la dégradation de l’environnement ignorent généralement les pratiques fondées sur l’entraide et la coopération (Servigne et Chapelle, 2017). La place et le rôle des non humains comme acteurs des systèmes naturels ont été oubliés.

4Pourtant, la science écologique a pour objet l’étude des relations entre tous les êtres vivants (humains compris) entre eux et avec leur environnement (Deléage 1992). La prise de conscience de l’érosion rapide et globale de la biodiversité, et l’évolution dans la manière dont l’écologie appréhende le vivant, nous invite à réinterroger les rapports de réciprocité qui existent entre les sociétés humaines et leur milieu. Dans cette entreprise, l’approche par les Communs (CTFD, 2017) offre une alternative : historiquement fondée sur les controverses relatives à la place et au rôle des « biens communs » (Hardin, 1968 ; Ostrom, 1990), elle contribue aujourd’hui à remettre en question les modèles dominants de régulation des sociétés humaines en valorisant les organisations sociales qui, entre puissance publique et économie marchande, revendiquent la primauté du « faire commun » dans l’usage des ressources.

5La présente étude restitue l’élaboration simultanée de la règle de droit et des connaissances sur le vivant dans une perspective historique afin d’en faire une analyse critique et de proposer des pistes permettant de reconsidérer les enjeux des relations entre humains et non-humains dans les processus de décision liés à l’usage des milieux. La trajectoire historique des modes de régulation des relations homme-animal sauvage sera analysée d’abord sous le prisme des modes d’appropriation (partie 1) puis de l’action publique (partie 2). La mise en exergue de la vision réductrice des relations entre humains et non-humain portée par la structure du droit positif est ensuite confrontée aux pistes ouvertes par le renouveau des sciences écologiques pour repenser les modes de régulation des activités humaines (partie 3). Les notions d’interdépendance et de solidarité qu’elles introduisent sont ensuite mobilisées par l’approche par les Communs pour révéler les dynamiques qui, aujourd’hui, participent d’une prise en charge citoyenne et écocentrée de la biodiversité (partie 4).

Les enjeux des relations homme-animal sauvage révélés par les modes d’appropriation du vivant non domestiqué

6La France a hérité d’un système de droit romano-germanique où la loi constitue un modèle de normes générales et abstraites qui s’impose aux relations sociales. Cette forme de droit postulée a rayonné en Europe depuis la France (XVIIe-XVIIIe siècle), avant de s’exporter dans les Colonies (XIXe-XXe siècle) et de se soumettre aux forces de la mondialisation (depuis la seconde moitié du XXe siècle). Dans ce contexte, la place de la faune sauvage dans l’énoncé de la règle de droit a largement été inspirée de l’ordonnancement du vivant proposé par les sciences de la vie.

De la chasse à la gestion cynégétique comme mode d’appropriation de l’animal sauvage

7Les individus qui composent les populations animales sauvages sont des objets de droit, qui, avant leur capture, ne s’inscrivent pas dans le patrimoine d’une personne juridique. Le Code civil de 1804 leur attribue un statut de res nullius (chose sans maître) qui découle initialement d’une présomption d’abondance. Les animaux sauvages sont appropriés au travers de l’exercice du droit de chasse dont les deux fondements traditionnels sont la protection de la propriété et le maintien de l’ordre public (Malafosse, 1979).

8Anciennement détenu par le seigneur sur son fief, le droit de chasser est en effet devenu un attribut de la propriété foncière avec la Révolution française. Cette prérogative des propriétaires fonciers leur permet de concéder un bail de chasse à des tiers. Elle est également associée à un droit de destruction des animaux sauvages qui, au cours du temps, ont été associés de manière plus ou moins explicite à un risque de dommages corporels ou matériels (dégâts aux productions agricoles et forestières, collisions routières, transmission de maladies).

9Afin de préserver l’ordre public, l’État assure le contrôle des animaux sauvages sur son territoire. Depuis la seconde moitié du 19e siècle, des listes d’espèces qualifiées de « gibier » ou de « nuisible » sont dressées par le ministère en charge de l’agriculture, et les Préfets sont explicitement chargés de délivrer des permis et de préciser les périodes et les techniques de chasse et piégeage autorisées sur leur territoire. Jusqu’au 20e siècle, les sciences naturalistes (botanique, zoologie, systématique) contribuent à construire cette vision de la nature comme une collection d’entités utiles, inutiles ou nocives. À une époque où la notion d’ordre divin et d’harmonie naturelle dans l’organisation du vivant domine, les biologistes naturalistes sont cantonnés dans un rôle d’inventaire et de classification du vivant. Si leurs travaux traduisent un émerveillement face à la diversité du vivant, en particulier lors des grands voyages d'exploration et de conquête (Matagne, 2003), ils s’inscrivent dans une vision de domination de l’homme sur la nature où l’optimisation maximale de l’usage des ressources naturelles est systématiquement envisagée (Deléage, 1992).

  • 1

10La réparation des dommages causés par les animaux sauvages est dans un premier temps envisagée dans le cadre de régimes de solidarités garantis par l’État ou le secteur privé (assurances), mais à partir de l’année 2000, elle est confiée aux fédérations de chasse1. Les chasseurs s’investissent alors en effet tant dans l’exploitation du gibier que dans la lutte contre les nuisibles.

  • 1
  • 1
  • 1
  • 1

11La gestion cynégétique promue par les chasseurs leur a permis de justifier la prise en charge des populations d’animaux sauvages : l’objectif est de gérer l’effectif de ces populations afin d’en optimiser l’exploitation ou d’en réduire les dommages2. Pour ce faire, ils s’appuient sur les travaux des biologistes spécialistes de la dynamique des populations. Leurs modèles mathématiques établissent à partir des années 50 les bases scientifiques de l’exploitation maximale et durable des populations animales, fondées sur l’existence théorique d’un « surplus » de population à exploiter3. Ce modèle d’optimisation de l’exploitation des populations, bien que depuis longtemps sujet à de vives critiques (Larkin, 1977 ; Ludwig et al., 1993), est au cœur de l’approche d’utilisation « raisonnée » des ressources fauniques promue par les biologistes du gibier à laquelle les chasseurs contribuent activement4, à travers un soutien financer et opérationnel à la mise en œuvre des suivis de populations sur le terrain5.

  • 1
  • 1

12En France, les fédérations de chasse, qui contractualisent avec les propriétaires fonciers pour disposer de leur droit de chasser, se sont ainsi progressivement vues investies d’une mission de service public liée « à la mise en valeur du patrimoine cynégétique départemental, à la protection et à la gestion de la faune sauvage ainsi que de ses habitats » (art. L. 421-5 du Code de l’environnement). Il en résulte cependant que les populations de gibier sont usuellement associées à des biens de club détenus par les associations de chasseurs qui limitent le droit d’accès à la ressource et à l’espace. Cette domination des animaux sauvages, à travers l’exploitation et le contrôle de leurs populations, est comprise comme le résultat d’une conquête, acquise de longue lutte, afin d’optimiser voir de supplémenter6 ce que la nature peut offrir et d’en contrôler les nuisances. L’utilité (pour le chasseur) ou la nocivité (pour l’agriculteur, le chasseur, le riverain) des animaux sauvages fonde le droit. Dans ces conditions, les chasseurs constituent un lobby puissant (Goreau-Ponceaud et Lemoigne, 2017), partie prenante légitime aux discussions sur le devenir des animaux sauvages, et ce faisant, de la biodiversité. Malgré les discours, la gestion cynégétique reste l’apanage d’un nombre restreint de spécialistes qui se trouvent souvent confrontés aux porteurs d’une vision « préservationniste » de la place et du rôle des animaux sauvages7.

De la protection des espèces à la gestion des écosystèmes comme enjeu patrimonial

13La vision préservationniste de la valeur et du rôle des animaux sauvages, forgée au niveau international depuis la fin du 19e siècle, a quant à elle été progressivement réinterprétée par la puissance publique afin d’assurer, au nom de l’intérêt général, la protection des animaux sauvages face aux dommages que les populations humaines leur font subir (notamment ceux qui ont été directement ou indirectement associés à la notion de « patrimoine commun »).

Les espèces protégées

14Les grandes expéditions de découverte et de conquête organisées par les puissances européennes à partir du XVIe siècle bouleversent les connaissances sur le monde vivant, mais elles amorcent dans le même temps le pillage systématique des ressources naturelles par les nations colonisatrices (Matagne, 2003). L’attention portée à la protection des espèces sauvages va se développer en réaction au constat du déclin de populations animales ou végétales qui s’accélère au cours du XIXe siècle avec la modernisation des modes d’exploitation et l’internationalisation du commerce. La justification de cette protection, sujette à de nombreux débats en matière d’éthique environnementale autour des différentes valeurs associées au monde vivant (Larrère, 2010), constitue depuis cette époque une question récurrente pour les biologistes et les écologues.

  • 1
  • 1

15Au début du XXe siècle, le mouvement préservationniste, porté à l’échelle internationale par la société civile et les sociétés savantes8, introduit la notion « d’espèce menacée d’extinction »9. À partir de 1948, c’est l’UIPN (ancêtre de l’UICN - Union internationale pour la conservation de la nature) qui structure l’expertise préservationniste naturaliste avec la mise en place de réseaux internationaux d’experts afin d’évaluer et catégoriser le niveau de menace des espèces à l’échelle globale. L’UIPN produit une première liste d’espèces menacées dès les années 50 et, dans la décennie suivante, un premier inventaire mondial des espèces menacées.

  • 1
  • 1
  • 1

16Simultanément la coopération internationale s’impose face au risque de surexploitation des populations animales établies en dehors des territoires nationaux. Pour éviter un accaparement exclusif par certains, les États se répartissent les prélèvements des populations d’animaux chassées via des traités multilatéraux10 et se donnent un cadre de réglementation pour le commerce international des espèces menacées d'extinction (1973). Ce mouvement s’est notamment traduit en France par l’adoption de la loi de 1976 qui envisage pour la première fois la protection des espèces11 qui, inscrites sur une liste, constitue un patrimoine naturel12. Même si cette dernière notion consacre la reconnaissance officielle « d’intérêts qui n’appartiennent à personne puisqu’ils sont ceux de la collectivité toute entière » (Grenier-Sargos, 1977), la reconnaissance de la protection de la nature comme intérêt général constitue « un progrès considérable par rapport au passé où la nature, sans valeur économique ni collective, était toujours soumise aux impératifs d’intérêt général de caractère social ou économique » (Prieur, 2001, p. 281).

Des espaces sanctuarisés aux services écosystémiques

  • 1
  • 1
  • 1

17La prise de conscience des transformations rapides de l’environnement qu’accompagne l’industrialisation au XIXe siècle amène par ailleurs les sociétés industrielles à penser la protection de la nature par une mise à l’abri de certains espaces par rapport au développement économique et industriel (Larrère, 2010). Tout en réaffirmant leur souveraineté sur ces espaces (Compagnon et Rodary, 2017), les États s’investissent dès la fin du XIXe siècle dans leur sanctuarisation via la mise en place d’aires protégées13. L’UICN dresse dès 1961 une première « Liste mondiale des parcs nationaux et réserves équivalentes ». En France, bien que la première loi sur la protection des sites et des monuments naturels date du 21 avril 190614, le premier parc national est créé en 196315.

  • 1
  • 1

18Si dans un premier temps la mise en place d’aires protégées est justifiée par la protection d’espèces emblématiques ou de paysages « monuments nationaux », l’expansion et la diversification progressive des dispositifs de protection de l’espace font dans la seconde moitié du XXe siècle appel à un nouveau registre de justification16 fondé sur la préservation des services écosystémiques, du patrimoine culturel et des intérêts scientifiques (Cosson et Arpin, 2017). En effet, les États ne pouvant assurer seuls la protection d’espaces, l’introduction de nouveaux concepts dans les législations nationales17 permet de rallier d’autres acteurs.

19Cette dynamique implique la mobilisation d’un nombre croissant d’acteurs concernés par la protection de l’environnement. La consécration du principe de participation du public aux décisions environnementales par la Convention d’Aahrus (1998) a contribué à faire évoluer les processus de décision liés à l’établissement d’espaces protégés. Les acteurs privés et les associations de protection de la nature se confrontent autour des questions liées à l’aménagement du territoire et de nouvelles formes d’action publique sont envisagées. En France, cette évolution a permis d’intégrer les enjeux de la préservation du patrimoine commun dans nombre de politiques publiques (la Loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt de 2014, la Loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages de 2016). Cependant, inéluctablement, des blocages et des contraintes apparaissent en termes d’action collective.

20Le droit se complexifie au rythme de la diversification des objets et des sujets de droits appréhendés pour faire face aux pressions anthropiques sur les écosystèmes. Dans ce contexte, avec l’apparition de menaces globales dépassant les préoccupations ressourciste et préservationniste nationales, la portée d’un cadre juridique fondé sur les modes d’appropriation des éléments de la nature est réinterrogée.

La mutation des dispositifs d’action publique associés aux animaux sauvages

21Avec l’émergence de la notion « d’environnement global » depuis les années 50, les relations homme-animal sauvage ont été saisies par la mondialisation. En réponse à la reconnaissance de l’impact direct ou indirect des activités humaines sur les populations d’animaux sauvages et leur milieu, l’action publique internationale s’est dans un premier temps construite sur la volonté de réguler les atteintes au patrimoine commun de l’humanité. Le droit international de l’environnement s’est peu à peu enrichi. Compte de tenu de son caractère souvent non contraignant et intersectoriel, ce droit a identifié pour ce faire plusieurs principes généraux qui guident les juristes dans la production, l’interprétation et l’application des normes de droit. Soumise aux souverainetés nationales, la transposition des principes du droit international de l’environnement dans les législations nationales s’est cependant avérée très sélective. Sans autorités coercitives, ni réels mécanismes de sanction reconnus au niveau international, la régulation des pratiques dommageables pour la biodiversité a progressivement été abandonnée au profit des mécanismes de marché. Au niveau national, les citoyens s’en trouvent déresponsabilisés et leur responsabilité face au droit de la biodiversité est questionnée.

De la biodiversité comme patrimoine commun de l’humanité à sa régulation par le marché

L’expérience déçue d’un patrimoine commun de l’humanité

22Au sortir de la seconde guerre mondiale, la notion « d’environnement global » s’impose face à la prise de conscience du caractère interdépendant des périls qui pèsent sur l’humanité toute entière (Mahrane et Bonneuil, 2014). L’impact de l’homme sur son environnement est alors pensé en termes de menaces mondiales, telles que les menaces de catastrophes environnementales associées au développement industriel (déchets toxiques, pesticides, contaminations radioactives), ou les menaces d’épuisement des ressources globales consécutives à la croissance démographique rapide et l’augmentation de la consommation.

  • 1
  • 1

23Cette construction de l’environnement comme un objet de gouvernance globale vient bousculer le mode de régulation publique des ressources, jusqu’à présent gérées par les Etats comme un patrimoine national (voire un trésor colonial). La conférence de l’UNESCO (1968) consacre le concept de « Biosphère18 » et l’interdépendance des Etats en matière environnementale. L’essor de l’écologie systémique19 dans les années 60 participe à la conceptualisation de la biosphère comme nouvelle catégorie englobante. Cette discipline propose de répondre aux menaces environnementales et démo-ressourcistes grâce à un contrôle technoscientifique et une optimisation de la productivité biologique de la nature (Odum, 1969). Cette vision productiviste rend ainsi acceptable les pollutions ou l’exploitation intensives des ressources naturelles en les définissant, non pas en termes de menaces, mais de seuils de tolérance à ne pas dépasser (Kwa, 1987).

  • 1
  • 1

24Les décolonisations des années 60-70 et l’affirmation de la souveraineté des nouveaux Etats sur leurs ressources naturelles sonnent le glas du préservationnisme colonial européen (Mahrane et Bonneuil, 2014). Les nouveaux Etats indépendants veulent eux aussi accéder au développement fondé sur l’exploitation des ressources naturelles. Face aux menaces de surexploitation de ces ressources dont les pays industrialisés dépendent également, ces derniers vont promouvoir un modèle utilitariste de conservation pour le développement20 (Convention africaine sur la conservation de la nature et des ressources naturelles d’Alger, 1968). La posture d’expertise conciliant protection, conservation et développement économique devient le nouveau langage écologique international21.

  • 1

25C’est ainsi que, face aux menaces pensées en termes mondiaux, le concept d’un tissu vivant global partagé par tous s’impose à l’agenda international. A la suite de la conférence des Nations Unies sur l'environnement de Stockholm (1972), la notion de Patrimoine mondial de l’humanité est adoptée par l’UNESCO dans l’objectif d’asseoir la responsabilité partagée des Etats vis-à-vis des atteintes portées à la Biosphère (Kiss et Sicault, 1972). L’idée de la transmission de ce patrimoine aux générations futures se constitue comme une obligation de solidarité des Etats et se traduit par une liste de sites labellisés au titre du patrimoine naturel et culturel de l’humanité. La notion de Patrimoine commun de l’humanité est ensuite introduite par la Convention sur le droit de la mer (1982), mais ne concerne en droit positif que les « Fonds de mer et des océans ». Dans les deux cas, ces notions renvoient à une obligation de résultats qui se limite en pratique à coopérer et à intégrer les objectifs environnementaux dans les différentes politiques sectorielles nationales. Les secrétariats des conventions internationales qui défendent ces concepts adoptent un rôle de garants de l’intégrité de ce patrimoine commun aux Etats et à l’humanité, mais ne disposent dans les faits d’aucun pouvoir de sanction ni même de ressources financières assurées. La notion de patrimoine commun de l’humanité, associée à celle de bien public mondial, cristallise en effet les tensions autour du rôle et de l’identification d’une autorité internationale omnipotente chargée de la gestion de ces ressources « stratégiques ». La volonté de préserver des biens publics mondiaux se heurte aux souverainetés nationales, à la dissymétrie des pouvoirs des Etats et au lobbying des entreprises privées de plus en plus puissantes. Ces écueils se retrouvent à une autre échelle dans l’application du droit européen et français qui font de la notion de patrimoine naturel une notion centrale du droit de l’environnement22.

Une logique d’optimisation économique pour prendre en charge la crise de la biodiversité 

26A partir des années 80, la prise de conscience de la vitesse et de l’ampleur de la destruction d’habitats naturels à travers le monde, et en particulier la déforestation en zones tropicales, conduit des écologues scientifiques à alerter sur « la crise de la biodiversité » (Wilson, 1985) et sur ses conséquences (Myers, 1979 ; Ehrlich et Mooney, 1983). Fédérés autour d’une nouvelle discipline, la biologie de la conservation, ils inscrivent la menace d’une extinction de masse des espèces dans trois dimensions complémentaires (Soulé et Wilson, 1980) : naturaliste (menace de disparition des espèces), fonctionnelle (menace de dysfonctionnement des écosystèmes), et évolutive (menace de perturbations des processus évolutifs). Cependant, face à la montée du néolibéralisme, au pragmatisme des Etats et au rythme des avancées scientifiques, la Convention sur la diversité biologique (1992) ne consacrera finalement que certains éléments de ces trois registres de menaces.

27Ainsi, face à la menace de la disparition des espèces, l’idée s’impose rapidement que tout ne pourra être sauvé, faute de moyens financiers et d’espaces suffisants, et que des priorités doivent être établies (McNeely, 1990). Les travaux en biologie de la conservation vont se structurer principalement autour de deux approches, l’une par site, l’autre par espèce, profondément ancrées dans une logique d’optimisation (Devictor, 2015). Partant de l’idée que la biodiversité n’est pas répartie de manière homogène, la première cherche à sélectionner les sites à protéger en priorité (systematic conservation planning, gap analysis) ; la seconde cherche à prévenir le déclin des populations et à les maintenir au-dessus d’un effectif minimum viable (population viability analysis). Abandonnant l’ambition d’une protection systématique de la biodiversité, ONG et biologistes de la conservation s’allient et imposent, grâce à leurs indicateurs et outils de priorisation, leur solution énoncée en termes de protection des sites clés et des espèces menacées (Gaidet et Fouilleux, 2018).

28Face à la menace de dysfonctionnement des écosystèmes, l’importance de la biodiversité est promue à travers le concept de « services écosystémiques (SE) » (Ehrlich et Mooney, 1983), ces bénéfices que les écosystèmes fournissent aux sociétés humaines. Cette rhétorique utilitariste s’inscrit dans le sillage du développement durable, conciliant conservation de la biodiversité et développement économique, préalablement instituée par la Stratégie Mondiale de la Conservation (1980), la Charte Mondiale de la Nature (1982) ou le rapport Brundtland (1987). L’écologie fonctionnelle, à travers le courant Biodiversity and Ecosystem Function (BEF), va fournir à partir des années 90 les bases scientifiques de cette approche en tentant de démontrer que la perte de biodiversité a des conséquences prévisibles et mesurables sur le fonctionnement et la durabilité des écosystèmes (Naeem et al., 1994 ; Tilman et al., 1996). En parallèle, les économistes du courant de l’Ecological Economics vont promouvoir l’idée d’intégrer les biens et services fournis par les écosystèmes aux analyses économiques (Costanza R., et al. 1997).

29La reconnaissance internationale et la diffusion du concept de SE grâce au Millenium Ecosystem Assessment va ouvrir la voie à une multitude de « nouveaux » instruments économiques (paiements pour services environnementaux et autres mesures incitatives, fiscalité, certifications, mesures compensatoires, permis ou droits transférables) (Pesche et al. 2013). Dans un climat prônant les vertus du libéralisme économique, ces instruments qui reposent sur l’établissement de valeurs économiques attribués aux différents éléments et processus écologiques en vue de corriger les défaillances du marché, sont présumés plus adaptés que les instruments de régulation coercitifs et prescriptifs (Broughton et Pirard, 2011). Cependant, la mise en œuvre effective du concept des SE (identification, évaluation, rémunération), quels que soient les instruments mobilisés, se heurte aux difficultés liées à l’identification des objets et des sujets de droits concernés. D’une part, les SE apparaissent difficilement caractérisables, individualisables ou évaluables du fait de la complexité du fonctionnement des écosystèmes. D’autre part, les SE reposent chacun sur des processus écologiques qui ont leurs temporalités et leur spatialités propres, souvent bien différentes de celles des échelles de gestion et de décision humaine fondées sur les régimes de propriété foncière, les mandats politiques ou la rentabilité économique.

30Enfin, la menace de perturbations des processus évolutifs, pensée par les écologues comme une évolution des communautés d’espèces sur le temps long (Sarrazin et Lecomte, 2016), se voit réduite aux risques proximaux de la perte de diversité génétique pour la survie des populations (consanguinité, dérive génétique). En effet, la généralisation des outils d’analyses génétiques depuis les années 80 a fourni aux biologistes moléculaires un ascendant méthodologique par rapport aux autres disciplines. La valeur de l’information génétique unique contenue dans chaque espèce, potentiellement menacée de disparation, va aussi constituer un nouvel enjeu à partir des années 90. De grands espoirs sont alors fondés sur le potentiel de valorisation économique (agronomie, industrie cosmétique ou pharmaceutique) de la biodiversité en tant que gisement de ressources génétiques encore largement inexploré. Les avancées de la biotechnologie vont permettre d’atomiser le vivant en micro-entités structurelles et fonctionnelles rapidement assimilées à des nouveaux biens immatériels saisis par la propriété industrielle (Ost, 1995). Avec le brevetage d’espèces génétiquement modifiées, le gène devient une entité appropriable, échangeable et source de profit. En vertu de l’égalité de traitement et de la libre concurrence, les Etats vont majoritairement adopter de telles dispositions, incités notamment par la CDB (Convention sur la Diversité Biologique, 1992) qui reconnaît leur souveraineté sur les ressources génétiques stockées sur leurs territoires. Dans ce contexte, l’information génétique se trouve réduite aux seuls gènes, tandis que la complexité du fonctionnement du génome et le rôle fonctionnel des séquences non codantes sont minimisés.

  • 1

31Avec la CDB, la Communauté internationale réaffirme le droit souverain des Etats sur leurs ressources biologiques. La notion de patrimoine commun de l’humanité est écartée au profit de celle de « une préoccupation commune ». L’idée d’un système de régulation international est progressivement abandonné au profit de l’hégémonie d’une logique économique utilitariste, dans laquelle la question de la croissance démographique humaine23 reste peu considérée (Mora, 2014). Les mesures de protection sont désormais fondées sur des analyses de coûts-bénéfices visant à optimiser les allocations des fonds de la conservation pour protéger (potentiellement) un nombre maximum d’espèces ou de services écosystémiques (Naidoo et Ricketts, 2006 ; Wilson et al., 2006), et de nouvelles valeurs marchandes sont créées pour inciter à la conservation des écosystèmes et des ressources.

De la prise en charge de la conservation de la biodiversité par l’État à la déresponsabilisation des citoyens

  • 1

32L’extension du domaine du risque et de la responsabilité collective par le droit international de l’environnement pose le défi de la mobilisation et de la coordination d’une communauté d’acteurs de plus en plus vaste (du local au global). Or la coordination de cette multiplicité d’acteurs aux intérêts divergents engendre d’importants coûts de transaction et questionne la répartition des coûts et des avantages attendus de la conservation de la biodiversité. Les enjeux et les priorités en la matière vont systématiquement être définis par les États, principaux sujets de droit international, sans nécessairement recevoir l’adhésion de l’ensemble des acteurs directement ou indirectement concernés. Cette situation est due en grande partie aux modalités de l’intégration du droit international de l’environnement dans les législations nationales. Les États prennent en effet en charge, au nom de l’intérêt général, la conservation de la biodiversité à travers une politique de gestion des risques orchestrée par un droit administratif et généralement élaborée de manière sectorielle par un ministère dédié24.

33En France, l’État fait face au risque de surexploitation de la faune sauvage en imposant le respect de normes techniques encadrant l’exercice des activités de prélèvements d’animaux sauvages (liste d’espèces chassables, périodes et méthodes de chasse). Des autorisations administratives sont attribuées ou non en fonction de la nature, de la quantité et de la destination de ces prélèvements. Il s’agit pour la puissance publique de déterminer les conditions d’une gestion rationnelle des populations animales sauvages exploitées et de les faire respecter sur le territoire national y compris face aux réseaux de braconnage visant l’exportation de produits à forte valeur ajoutée (Parlement européen, 2016).

34Le risque d’atteinte à la biodiversité due à destruction des milieux est également géré par des normes administratives énoncées par les codes de l’urbanisme, de l’environnement, le code rural ou celui de la pêche maritime. Le non-respect de ces dispositions est sanctionné par des normes de police administrative spéciales (généralement des amendes ou des injonctions de ne pas faire) fondées sur le respect des procédures et des normes établies par les experts. Ceux-ci posent des arbitrages univoques face à la multiplicité des théories scientifiques mobilisables et des incertitudes existant sur la dynamique des écosystèmes. Or ces arbitrages participent de fait à la sauvegarde d’intérêts divers et changeants des acteurs les plus puissants ou les mieux informés. Les atteintes les plus graves à l’environnement sont en effet tant le fait de personnes publiques (via le développement d’infrastructures et la subvention de pratiques liées au développement économique) (Sainteny, 2011), que de personnes privées (via la production d’externalités négatives dans le cadre des activités économiques). L’existence de normes techniques environnementales différentes entre les États peut également conduire au développement de trafics lucratifs (déchets toxiques, produits phytopharmaceutiques).

  • 1

35Cependant, le caractère administratif associé au recours systématique à l’expertise scientifique confère au droit de l’environnement une rigidité, une partialité et une lenteur qui limitent son adaptabilité aux spécificités socio-écologiques locales, mais surtout qui nuit à la mobilisation effective des acteurs les plus directement concernés. La technicité du droit de l’environnement a en effet conduit à l’émergence d’organisations spécialisées25 pourvues d’une délégation de mission de service public de la part des administrations centrales dédiées. Ces organisations sont systématiquement sollicitées par les administrations et par les autres membres non spécialistes de la société civile. Les relations homme-animal sauvage sont ainsi encadrées par un droit administratif sectoriel et technique qui ne peut réellement être investi que par une fraction très réduite de la société civile. La connaissance et le respect des normes environnementales impliquent le recours à des savoirs experts créant un éloignement croissant entre les lieux de décision et les espaces de pratiques. Cette situation entraine une déresponsabilisation de la plus grande partie des citoyens qui rend difficile la fédération d’acteurs multiples autour d’objectifs communs.

  • 1
  • 1

36Par ailleurs, cette politique de gestion des risques environnementaux est fondée sur l’établissement de liens directs de cause à effet ce qui impose une vision réduite des causalités et des conséquences des enjeux de la conservation de la biodiversité. Dans ces conditions, les menaces de dysfonctionnement des écosystèmes et de perturbation des processus évolutifs ne sont, dans la pratique, que partiellement prises en charge tant en matière de prévention26 que de réparation (évaluation des dommages et restauration27). Si les principes généraux du droit de l’environnement confèrent théoriquement un grand nombre de droits fondamentaux aux générations présentes et futures en matière d’accès à un environnement « sain », les contreparties liées à la matérialisation des obligations et à l’établissement des responsabilités sont rarement explicites, ce qui en réduit considérablement l’impact, ceci malgré les possibilités croissantes d’implication des associations de protection de l’environnement dans les processus de décision publique.

  • 1

37Dans ces conditions, les dispositifs d’action publique associés aux animaux sauvages ne permettent pas une prise en charge réelle des menaces consécutives à la perte de biodiversité. Les relations homme-animal sauvage semblent prisonnières de dispositifs publics fondés sur la gestion de certains risques sectoriels sans que ne soient re-questionnés notamment la place et le rôle de l’animal sauvage dans l’ensemble des secteurs d’activités des sociétés humaines, notamment dans le cas de concurrence avec les ressources et l’espace dont ont besoin les animaux sauvages. Au niveau territorial, les responsabilités collectives vis-à-vis de ces menaces émergent difficilement et sont même souvent inhibées par les contestations des populations locales déresponsabilisées. En France, certaines normes techniques sont ainsi considérées comme injustes ou élitistes28, alors qu’au Sud, les mesures de protection de l’environnement sont davantage perçues comme des outils de domination postcoloniale que comme des outils de conservation ou de préservation de la nature (Amelot et al., 2011).

La nécessité d’une reconfiguration des modes de prise en charge des relations homme-animal sauvage par le droit

38Les modes d’appropriation du vivant et de rationalisation des risques ou des menaces qui lui sont associés ont, comme nous l’avons vu précédemment, largement évolué depuis un siècle. Pourtant, les concepts dominants les débats et les dispositifs de politiques publiques, que ce soit celui de population-ressource, d’espèce-patrimoine ou d’écosystème-fonction, continuent de véhiculer une vision réductrice des relations homme-nature. D’autres visions de ce que représente le vivant ont été proposées, à la fois autour des questions d’éthiques environnementales et de compréhension de l’organisation, du fonctionnement et de l’évolution du vivant. Ne serait-il alors pertinent de les prendre en compte dans l’élaboration du droit pour faire face aux crises écologiques ?

Une vision réductrice des relations homme-animal sauvage 

39La structuration actuelle du droit autour de certains modes d’appropriation des éléments de la biodiversité et de certains modes d’appréhension des risques ou des menaces qui lui sont associés, limitent la capacité du droit à accompagner l’évolution des connaissances, des modes de représentations et des recommandations des sciences écologiques. Ainsi, la mise en œuvre d’une approche écologique de la conservation de la biodiversité qui prendrait en compte l’ensemble des communautés biotiques, la nature ouverte et dynamique des écosystèmes, l’importance des interactions structurant les systèmes écologiques et de leurs dynamiques spatiales et évolutives, implique une refonte profonde des catégories juridiques et du système de gouvernance de la biodiversité.

Les limites d’une gestion cynégétique fondée sur le contrôle des populations

  • 1

40Le droit a jusqu’à présent accompagné la gestion cynégétique en reconnaissant les catégories d’espèces gibier, nuisible et protégée. Or ces notions d’espèces « utiles » ou « nuisibles29 » et le « contrôle » de leurs populations selon leur utilité n’ont pas de sens sur un plan écologique. La présence et le niveau d’abondance d’une espèce dans un écosystème sont le résultat d’un long processus de coévolution entre les espèces et avec leur milieu. L’écologie amène à penser la place et le rôle de chaque espèce en termes d’interactions écologiques. Si certaines de ces interactions (telles que la compétition, la prédation, ou le parasitisme) sont perçues par l’homme comme des contraintes, elles structurent de fait la coexistence des espèces (sauvages et domestiques) au sein des écosystèmes.

41La gestion cynégétique repose par ailleurs sur les concepts d’exploitation durable des populations qui cible chaque population comme une entité isolée et autorégulée. Or l’exploitation d’une population pour le seul bénéfice de l’homme a des conséquences pour l’ensemble de la communauté biotique via la modification des interactions écologiques entre populations et des cascades trophiques qui sont largement illustrées (Pace et al., 1999). L’homme en subit lui-même indirectement des préjudices, notamment économiques (Roux et al., 2013) et sanitaires (Levi et al., 2012). Changeant de paradigme (Pickett et al., 1992), la science écologique a progressivement remis en question les notions de population close, d’effectif stable et de rendement maximal d'exploitation (Larkin, 1977 ; Ludwig et al., 1993). Dans ces conditions, l’idée d’une gestion prédictive et optimale des populations est devenue illusoire de par la complexité des systèmes d’interactions entre espèces, le rôle de la dynamique spatiale et le caractère non-linéaire de la réponse démographique des populations. Pour conserver la biodiversité, il apparait donc nécessaire d’envisager les prélèvements d’animaux sauvages par l’homme comme l’une des interactions du réseau écologique dans son ensemble.

Les limites de la protection des espèces sur des espaces dédiés

  • 1

42La logique classificatoire des biologistes conservationnistes pour décrire le vivant et celle des juristes pour en organiser les modes d’appropriation ont convergé pour imposer l’entité « espèce » comme l’unité fondamentale du vivant. La richesse en nombre d’espèces, leur rareté ou leur vulnérabilité sont devenues les proxys emblématiques des stratégies de priorisation globale et d’attribution des financements internationaux pour la conservation (Gaidet et Fouilleux, 2018). Or, la notion d’espèce, largement débattue en écologie, est un construit scientifique en perpétuelle évolution (Casetta, 2014). La tendance actuelle à une véritable « inflation taxonomique »30, suite à la reclassification de « nouvelles » espèces, grâce en partie à la généralisation des analyses moléculaires et l’identification de profils génétiques spécifiques, se heurte à la désignation stricte et statique des espèces selon les catégories juridiques qui organisent leur gestion (Cahill et al., 2016).

  • 1

43Jusqu’à présent, la protection de la biodiversité en tant que patrimoine commun de la nation ou de l’humanité repose principalement sur la constitution d’un catalogue d’espèces et de sites à protéger. En acceptant le principe que toutes les espèces ne peuvent être sauvées faute de moyens, cette approche suppose qu’une part représentative de la biodiversité puisse être identifiée et sauvée. Le processus de division d’une espèce en plusieurs « nouvelles » espèces vient bousculer l’évaluation du niveau de menace et les stratégies de « tri » des espèces à protéger en priorité (Garnett et Christidis, 2017). À l’inverse, tant qu’une espèce n’est pas décrite et inscrite sur une liste officielle, ce qui est la norme plutôt que l’exception31, sa protection n’est pas prise en charge par le droit. Or la technisation des méthodes d’identification des espèces induit une dépendance croissante de la société civile et des pays du Sud aux acteurs qui ont accès aux biotechnologies. Définir les priorités de conservation des espèces à l’échelle globale ne permet pas d’appréhender les enjeux de la biodiversité aux différents niveaux d’organisation et d’échelles de gestion auxquels les relations hommes-animaux sauvages se jouent. Les enjeux définis à l’échelle globale s’imposent aux échelles locales sans que les options de gestion les mieux adaptées aux situations rencontrées ne puissent être librement envisagées.

Les limites de l’approche fonctionnelle et utilitariste de la biodiversité pour la préservation des socio-écosystèmes

44Pendant de nombreuses décennies, l’écologie scientifique a pensé les systèmes naturels comme des entités structurelles et fonctionnelles closes, autorégulées par des mécanismes internes les conduisant ou les maintenant dans un état d’équilibre stable unique, dont l’homme et ses activités sources de perturbations ne font pas partie. Cette idée a profondément contribué à penser la gestion des écosystèmes comme des espaces individualisés et situés auxquels des fonctions fixes peuvent être attribuées (telles que la protection d’espèces ou la production de services écosystémiques). En reconnaissant la propriété foncière comme le mode hégémonique d’appropriation de l’espace, le droit a renforcé cette vision fixiste, parcellaire et cadastré des écosystèmes.

45La vision contemporaine de l’écologie scientifique reconnait le rôle clé des perturbations naturelles qui amènent les systèmes naturels à évoluer selon des trajectoires diverses vers différents points d’équilibre ponctuels. Elle reconnait aussi le caractère ouvert et continu des écosystèmes dont la régulation dépend de leurs échanges avec l’extérieur. La conception fixiste d’autorégulation et d’équilibre des écosystèmes a ainsi cédé le pas à une conception dynamique, imbriquée et interdépendante des écosystèmes d’un territoire (notion d’écocomplexe : Blandin et Lamotte, 1988 ; ou de métaécosytèmes : Loreau et al., 2003), qui intègre les activités humaines comme un agent d’interactions et de perturbations des systèmes écologiques (Pickett, Parker et Fiedler, 1997). Ces nouvelles conceptions, alimentées par l’écologie des perturbations et l’écologie du paysage, amènent à penser la gestion des écosystèmes de manière large et dynamique, en considérant l’équilibre compositionnel à l’échelle de mosaïques paysagères imbriquées (Wu et Loucks, 1995), dans lequel les écosystèmes peuvent changer d’état et de fonction au gré des perturbations et des évolutions. La prise en compte de la nature ouverte et évolutive des écosystèmes amène à dépasser l’idée que la préservation d’espèces ou de processus est attachée à des espaces dédiés, et à penser l’enjeu de la conservation en termes d’interactions écologiques à l’échelle des territoires.

46Par ailleurs, la promotion de l’utilité fonctionnelle de la biodiversité par l’écologie BEF a conduit à réduire l’enjeu de conservation à la part de biodiversité essentielle au fonctionnement des écosystèmes. Les processus écologiques ont été réduits à des fonctions ou des services, que l’on a, dans une perspective managériale, cherché à identifier, évaluer et hiérarchiser au regard de leur utilité pour l’homme. En établissant le principe de redondance fonctionnelle, cette approche véhicule aussi l’idée que les espèces sont substituables pour une fonction donnée (Walker, 1992), ce qui la rend plus adaptable au modèle de développement économique que l’approche naturaliste attachée au caractère unique de chaque espèce. Cependant, les écosystèmes ne produisent pas que des « fonctions » ou des « services » pour l’homme. Ils « existent », tout simplement, à travers un réseau de relations complexes entre entités vivantes, et évoluent à travers des processus coévolutifs que l’écologie nous invite à appréhender au-delà du seul prisme de « finalité » et « d’utilité ». Conserver la biodiversité signifie donc aussi préserver ce réseau de relations et son potentiel adaptatif (Sarrazin et Lecomte, 2016).

47Ainsi les logiques gestionnaires d’optimisation de la conservation, qu’elles visent la protection d’un effectif suffisant pour la survie d’une population (population viability analysis), d’un nombre de sites pour protéger une part représentative des espèces (systematic conservation planning) ou des fonctions essentielles des écosystèmes (ecosystems services), portent toutes en elles l’idéologie d’une conservation du minimum dans laquelle la survie remplace l’abondance (Mathews, 2016). Elles fournissent ainsi une solution conciliante pour gérer l’impact des activités humaines en établissant quelle part de biodiversité il est nécessaire de sauvegarder, selon des critères d’utilité ou de représentativité. Cette vision minimaliste conduit ainsi à adapter les objectifs de conservation aux besoins du développement sans remettre en cause le modèle dominant d’exploitation des ressources naturelles. Pourtant, face à la croissance démographique et à l’augmentation galopante de la consommation humaine, une telle trajectoire n’est plus soutenable. La traduction de cette vision minimaliste en droit positif fournit au « business as usual » sa légitimité et entrave la possibilité de l’adoption d’une vision écocentrée susceptible de faire face aux crises écologiques.

Vers une vision « écocentrée » pour penser les transitions écologiques

48L’atténuation des impacts du développement économique et la conservation d’une biodiversité minimum constituent le paradigme qui a accompagné la trajectoire des sociétés industrialisées. Ces objectifs gagneraient cependant à être reconsidérés pour engager les transitions écologiques face à l’intensité des changements environnementaux rapides et non voulus auxquels sont soumises ces sociétés (Bourg et al., 2016). La science écologique ouvre des pistes pour repenser les modes de régulation des activités humaines et replacer les interactions entre humains et non-humains au-delà de la dualité homme/nature (Devictor, 2012).

Le principe d’interdépendance et de communauté de destin

49La science écologique reconnait depuis ses origines que les activités humaines constituent un facteur biotique extrêmement puissant (Deléage, 1992). L’avènement du concept d’Anthropocène (Crutzen, 2002), qui associe la modernité industrielle à une révolution géologique planétaire, a conduit à faire reconnaitre l’impact des activités humaines sur l’environnement comme un facteur biotique prépondérant de l'évolution des écosystèmes. L’homme est ainsi replacé dans son milieu, comme acteur du réseau d’interactions. La régulation des activités humaines peut dans ce contexte être envisagée de deux manières différentes.

50Selon la vision anthropocentrée, l’homme omnipotent et omniscient gère les ressources de la biosphère pour limiter l’impact négatif de ses activités tout en assurant son développement. Les conséquences négatives des activités humaines vont pouvoir être encadrées par un régime de contrôle qui trouve son ancrage dans la déclaration de Rio (1992). Le paiement sur résultat se profile peu à peu comme le fondement d’une responsabilité « commune mais différenciée » entre les acteurs du Nord et du Sud. La question du point de référence historique à utiliser pour mesurer les impacts humains devient alors centrale, notamment dans le cadre de la lutte contre le changement climatique. Des fonds considérables sont ainsi affectés au niveau international à l’expertise et aux modalités de vérification des impacts évités au détriment de l’action solidaire. 

  • 1
  • 1

51L’approche écocentrée considère en revanche l’Homme comme un membre de la « communauté biotique », dont l’interdépendance sur le temps long avec les autres éléments du milieu forge une destinée écologique commune32 (Leopold, 1949). Cette éthique environnementale, profondément investie d’une vision écologique et évolutive des relations homme-nature, insiste sur l’importance des interactions entre éléments naturels et sur l’intégrité de l’ensemble de la communauté (Callicott, 1990). Dans cette vision « holiste », les devoirs ou les obligations des humains vis-à-vis des autres éléments naturels sont contingents à l’appartenance à une totalité englobante des membres de la communauté biotique (Larrère, 2010). Cette conception inscrit la responsabilité écologique dans une logique de transmission historique (vis à vis des générations futures) et de solidarité écologique liant humains et non humains. L’action solidaire est promue dans la perspective d’une « responsabilité agissante »33.

Le principe d’une responsabilité agissante

52Les politiques de conservation ont, jusqu’à présent, été construites sur la formulation de normes universelles, principalement sous forme d’interdits préconisant la non-intervention. La perspective écologique propose en revanche non pas d’exclure l’homme, mais d’adopter un interventionnisme assumé. Ainsi Leopold définit l’écologiste, ou le protecteur de la nature, comme celui qui intervient à bon escient, en conscience de ce qui est « juste » pour « la stabilité, l’intégrité, et la beauté de la communauté biotique » (Larrère, 2010).

  • 1

53La prise en compte de cette conscience écologique implique pour les individus et les collectifs une responsabilité de leurs actes vis-à-vis des conséquences envisageables sur le milieu (Principe de prévention), bien qu’incertaines (Principe de précaution). Selon une préoccupation de justice sociale (et environnementale), cette responsabilité devrait pouvoir être légalement reconnue vis-à-vis des tiers. Cette conscience écologique peut être mobilisée par des collectifs d’humains et de non humains institués, ou en devenir, susceptibles de promouvoir certains usages du milieu ou de subir un préjudice environnemental. Organisés autour des usages de la terre et des ressources qu’elle porte, ces collectifs ont comme principal intérêt d’associer des sujets de droit (personnes morales et physiques) à des populations animales ou végétales pour défendre les usages de ressources situées dans l’espace et dans le temps. Il ne s’agit ici ni d’une responsabilité projet (mobilisée pour les défis de l’avenir ou les générations futures), ni d’une responsabilité-imputation (retenue pour les fautes du passé), mais d’une « responsabilité agissante » (fondée sur une justification au présent de l’action en fonction de ses conséquences écologiques et sociales) (Ost, 1995). Cette perspective invite à échapper à des justifications eschatologiques ou expertes de la responsabilité pour l’instituer en obligation morale (et on peut l’espérer juridique) au travers de la mise en œuvre systématique et explicite des principes généraux du droit de l’environnement34.

54Cette voie renoue avec le concept d’écodéveloppement (Sachs, 1980) prônant l’action de tous les acteurs sociaux (Principe de participation) pour un rééquilibrage des pouvoirs au sein d’une économie pilotée jusque-là par l’État et le marché. La responsabilité agissante va ainsi permettre aux citoyens de s’opposer aux vues sectorielles et verticales des politiques publiques (Principe d’intégration de l’environnement dans les politiques publiques). Ils pourront dans ce contexte bénéficier des principes généraux de l’environnement afin de s’enrichir des avancées conceptuelles et des expériences passées pour réinterroger les choix de sociétés que les politiques publiques entendent défendre.

Le principe de solidarité écologique

  • 1

55L’écologie scientifique invite à penser la diversité du vivant, non pas seulement en terme de diversité de formes de vie (qu’elles soient appréhendées de manière taxonomique, fonctionnelle ou évolutive), mais également en termes de diversité des interactions qui lient les entités vivantes entre elles à différents niveaux d’organisations, et à penser le devenir de ces interactions. C’est le sens du principe de solidarité écologique35 introduit dans l’art. 110-1 du code de l’environnement français par la loi sur la biodiversité (2016). Ce principe, testé en France dans le contexte de la mise en place des parcs nationaux de nouvelle génération au début des années 2000, propose un cadre conceptuel fondé simultanément sur le concept écologique d’interaction et sur la notion de solidarité (conscience de l’intérêt et de la responsabilité entre individus autour d’un objectif commun). Il permet d’envisager la territorialisation de la conservation de la biodiversité et de l’ancrer sur la reconnaissance de l’interdépendance des êtres vivants entre eux et avec le milieu (Thompson et al., 2014).

  • 1
  • 1

56Le principe de solidarité écologique permet de se saisir du holisme de l’éthique écocentrée au travers de l’intégration d’une pluralité de points de vue au sein d’un projet territorial co-construit avec une diversité de parties prenantes36. Les revendications des peuples autochtones dans l’élaboration du droit international ont contribué à faire accepter l’idée que les populations humaines, chacune porteuse de leur diversité culturelle, étaient une composante intégrante de nombreux écosystèmes. Cette reconnaissance simultanée des connaissances scientifiques et des savoirs vernaculaires conduit à reconsidérer les modes de gouvernance et de régulation des interactions entre l’homme et son milieu. L’approche multipoints de vue permet d’appréhender les relations homme-animal sauvage en les restituant dans leur milieu de vie partagé. Cette démarche implique l’abandon du suma divisio homme/nature pour laisser la place à un dialogue entre les différents sujets agissants, par l’usage qu’ils font de la terre et des ressources qu’elle porte. Une lecture constructiviste de la production de la règle de droit permet alors de recenser une multiplicité de droits subjectifs37 (d’utilités distribuées du « milieu », selon Vanuxem, 2010) formulés par divers collectifs d’humains et de non humains (Latour, 2004). Dans ces conditions, les modes d’appropriation des ressources apparaissent moins déterminants que les solidarités qui se nouent pour identifier les menaces qu’elles subissent et y faire face en connaissance de cause. « Le nouvel enjeu de société serait moins la répartition des ressources que la répartition des risques issus de la modernisation industrielle et de notre rapport au monde » (Mathevet, 2012, p. 43).

57Une fois le principe de solidarité écologique adopté et le préjudice environnemental reconnu, alors les différents régimes de responsabilité existants (civile, contractuelle, délictuelle, administrative, pénale) pourraient être mobilisés non seulement pour défendre les intérêts de collectifs institués d’humains et de non humains, mais également pour promouvoir des usages partagés de ressources situées (dans le temps et dans l’espace).

Les perspectives ouvertes par les Communs pour la construction des dispositifs de conservation de la biodiversité

58Le concept de Communs a été au cœur de nombreuses réflexions ces derniers temps, tant dans une perspective critique dénonçant les affres de la propriété (Dardot et al., 2014) que pour investir des voies alternatives fondées sur la solidarité et la capacité adaptative de collectifs amenés à définir et à adopter des règles propres d’accès à des ressources partagées (Bollier et al., 2015). L’approche par les Communs vise ainsi à identifier et à renforcer les solidarités qui permettent la prise en charge commune de problèmes auxquels la puissance publique ou les intérêts privés ne donnent pas de réponses satisfaisantes. Elle peut contribuer à faire émerger de nouvelles règles au sein de communautés de vie regroupant des humains et des non-humains dans un milieu donné. La dynamique inclusive des Communs permet en effet de considérer une multitude de points de vue portés par des collectifs très divers (peuples premiers, mouvements scientifiques, politiques ou territoriaux) (4.1). Enchâssés avec les autres institutions, les Communs peuvent se poser comme vecteurs d’une gouvernance adaptative des milieux adoptant une vision écologique de la conservation (4.2).

Une remise en cause de la dichotomie objet-sujet de droit

59Si la biodiversité ne peut être réduite à un ensemble de ressources ou de services pour l’homme, alors la régulation par le droit des interactions de l’homme avec son milieu ne peut être fondée uniquement sur l’appropriation des éléments de ce milieu. La relation juridique entre « objet » (passif) et « sujet » (actif) s’en retrouve profondément ébranlée.

Des sujets de droit plus nombreux pour réconcilier justice sociale et justice environnementale

60Le droit positif, produit de l’histoire des sociétés occidentales, semble prisonnier de son objectif premier : réguler les relations que les hommes entretiennent entre eux à propos de la nature. Pourtant, l’homme fait partie de l’écosystème au sein duquel il interagit avec différentes autres composantes, participant à sa structure, son fonctionnement et son évolution. Les anthropologues ont pu mettre en relation les pratiques des populations autochtones avec des ontologies originales organisant les rapports entre l’homme et la nature (totémisme, naturalisme, animisme et analogisme selon P. Descola, 2005), et où l’appropriation n’est pas systématiquement considérée comme le mode dominant (Descola, s.d.). Cependant, dans de nombreux cas, la mondialisation a modifié les traditions et les coutumes locales. La modernité et les (r)évolutions culturelles et sociales associées (migration, métissage, acculturation) peuvent par ailleurs également questionner la notion de « peuple autochtone ».

  • 1
  • 1

61Dans le registre d’une revendication citoyenne élargie, certains juristes, inspirés par « la conception holistique d’une interdépendance profonde qui relie chaque être à la “terre-mère” et nourricière », avancent l’intérêt de la reconnaissance du « droit de la nature »38. Cette approche qui remet en question la dichotomie objet/sujet de droit gagne du terrain et différents systèmes juridiques, en Équateur, en Bolivie, dans certains États des USA ou plus récemment en Inde ou en Nouvelle-Zélande, en viennent à inscrire les Droits de la Nature dans leur législation39.

  • 1

62L’approche par les Communs enrichit ces propositions dans une perspective multipoint de vue fondée sur la reconnaissance de la valeur intrinsèque de la diversité des relations que les hommes entretiennent entre eux et avec leur milieu. Elle pose l’importance du dépassement des perceptions, des attitudes ou des comportements fondés sur la soumission de la nature à l'homme (Deléage, 1992). L’approche par les Communs, parce qu’elle révèle l’existence de collectifs revendiquant à la fois des droits et des obligations, revalorise les droits subjectifs et ce faisant, promeut la justice sociale et le respect des milieux comme une forme plus aboutie de justice environnementale40. Elle part en effet du constat que la domination de l’homme sur la nature s’est accompagnée d’une domination de l’homme sur l’homme en contribuant à l’accumulation des richesses par quelques-uns et en entravant leur circulation (Weber, 2002). La science écologique en établissant les notions d’interdépendance et de communauté de destin légitime la construction de ces collectifs d’humains et de non humains en tant que sujets de droit. Cette association (approche par les Communs et science écologique), en élargissant la reconnaissance de « l’intérêt à agir » de collectifs d’humains et de non humains, facilite leur intervention à différents niveaux d’organisation, tant auprès des instances judiciaires que dans les processus de décision liés à l’accès aux ressources naturelles qui conditionnent leur existence. En ce sens, elle contribue à renforcer la légitimité de nouveaux sujets de droit amenés à faire valoir, au travers du principe de responsabilité agissante, leurs prérogatives d’acteurs « responsables », et par ce biais, à faire évoluer les règles de droit.

Des droits subjectifs pour dépasser les modes de domination institués par les droits réels41

  • 1

63La remise en cause de la dichotomie objet-sujet de droit s’illustre aussi par de récentes évolutions en droit français notamment relatives aux animaux domestiques (2015) et à l’introduction de l’obligation réelle environnementale (2016). Ces deux exemples traduisent l’enjeu d’une régulation des relations homme-milieu fondée non plus sur des droits réels, mais sur une multiplicité de droits subjectifs.

  • 1

64Sous la pression du courant animaliste, l’animal domestique ou tenu en captivité pourvu du statut de res proprietas, s’est vu peu à peu reconnaître le droit de ne pas souffrir inutilement et de ne pas être mis à mort sans nécessité. Il s’est progressivement distingué des autres objets « passif » de droit par son caractère vivant et sensible, et des règles spécifiques le concernant ont été produites42. Les animaux sauvages, pourvus du statut de res nullius, n’ont pas bénéficié de ces avancées.

65Parallèlement, le fonds de terre s’est vu reconnaître en France une fonction écologique avec l’obligation réelle environnementale. Ce dispositif offre aux propriétaires fonciers et aux personnes morales impliquées dans la protection de la biodiversité la possibilité d’inscrire sur un immeuble une charge environnementale transmissible aux tiers détenteurs du fonds (Reboul-Maupin et Grimonprez, 2016). Cette obligation trouve cependant son origine dans un accord contractuel fondé sur le consentement mutuel des parties. Si elle consacre le principe de « responsabilité agissante », elle ne peut à ce jour être imposée par le juge.

66Si cela était le cas, si le respect des milieux et des différentes relations qui s’y établissent devenait une obligation fondamentale de l’espèce humaine, alors des collectifs d’humains et de non humains pourraient être reconnus légitimes pour revendiquer l’établissement de règles permettant, au cas par cas, de réguler les activités anthropiques susceptibles de porter préjudice aux processus écologiques. De nombreuses formes de vie animales sauvages participent au travers de leurs interactions (entre elles et avec leur milieu) à la production de processus écologiques (fertilisation des sols, pollinisation, régulation trophique) sur lesquels reposent nombre d’activités économiques basées sur l’exploitation de fonds de terre appropriés (l’agriculture, la sylviculture, l’élevage, la chasse ou l’écotourisme). Or, dans le droit actuel, le principe associant la propriété foncière à celle des ressources du dessus et du dessous s’accompagne d’une appropriation sans partage de la valeur ajoutée de ces différents processus écologiques, généralement, sans obligation de les préserver. Pourtant ces processus dépendent de flux d’énergie, de nutriments et d’organismes qui s’étendent généralement bien au-delà des parcelles considérées. Dans ces conditions, la terre, pas plus que les animaux, ne pourrait être réduite à un simple objet de droit (CTFD, 2017). La reconnaissance juridique des fonctions « sociales » et « écologiques » de la terre et des ressources qu’elle porte, revendiquées par des collectifs d’humains et de non humains mobilisés dans la promotion des processus écologiques ou leur défense contre les préjudices susceptibles de leur être causés, constituent ainsi un moyen de diversification et de (re)valorisation des relations homme-milieu.

  • 1

67Le concept de biocénose (du grec bios : vie et koinos : commun), conçu à l'origine comme une « communauté de vie » (Matagne, 2003), constitue ainsi une opportunité pour la constitution de collectifs composés d’humains et de non humains, qui, selon les situations, pourraient être considérées comme des associations de fait et prendre la forme de personnes morales43.

Les Communs pour dynamiser et enrichir une gouvernance adaptative de la biodiversité

68L’approche par les Communs, au travers d’une dynamique inclusive associée au « faire commun », met aussi en exergue les possibilités d’une mobilisation citoyenne susceptible de faire évoluer les ordres juridiques régissant les relations homme-milieu. Face la diversité des ressources et des modes d’usage considérés, le nombre et la diversité des Communs permettent de repenser l’articulation entre les collectifs institués à différentes échelles d’organisation du local au global. On va alors considérer d’une part des Communs « emboîtés », et d’autre part, des Communs « enchâssés » avec d’autres institutions.

Enrichir la jurisprudence de la terre44

  • 1

69La préservation des processus écologiques par la reconnaissance et la défense des pratiques instituées au sein de collectifs d’humains et de non humains ne reposent pas uniquement sur l’attribution de droits. Leur respect repose sur la possibilité de pouvoir les associer à des obligations effectives. Ces obligations devraient pouvoir être simultanément sanctionnées par le droit civil (qui sanctionne les rapports entre personnes physiques ou morales), le droit administratif (les droits et obligations des administrations) et le droit pénal (contraventions, délits et crimes effectivement constatés).

  • 1
  • 1
  • 1

70À l’initiative de plusieurs ONG45, des « tribunaux internationaux des droits de la nature » ont rassemblé à quatre occasions46 depuis 2014 des citoyens théoriciens et praticiens afin de reconnaître aux écosystèmes des droits à l’existence qui puissent être revendiqués en justice (Acosta et al., 2016). L’objectif prioritaire est d’une part de faciliter la reconnaissance des droits de la Nature dans le droit public à l’échelle internationale, nationale et locale, et d’autre part de pouvoir renforcer la justice environnementale grâce à la reconnaissance du crime d’écocide47 par le droit pénal international. La reconnaissance des droits de la Nature dans le droit public international viserait en fait à donner aux législateurs nationaux et aux citoyens la possibilité de se saisir de références explicites visant le respect de l’intégrité des processus écologiques. Si l’on considère que les atteintes à la biodiversité constituent des fautes morales, encore faut-il que le Droit, au travers de la jurisprudence, la doctrine ou les pratiques endogènes, puisse évoluer pour pouvoir effectivement les sanctionner.

  • 1

71Le droit à un environnement sain constitue une voie permettant de faire évoluer le droit de la biodiversité vers une meilleure régulation des rapports entre les individus d’une part, et entre les individus et l’administration d’autre part. Ce droit humain activement défendu par la France48 s’inscrit dans la tradition des droits de l’homme. Ceux-ci font depuis 1948 l’objet d’une importante jurisprudence internationale qui cherche à en assurer la garantie. Si l’on considère que la dégradation de l’environnement peut affecter la capacité des humains à exercer leurs droits fondamentaux, et si l’on met en exergue les impacts que les atteintes à la biodiversité entraînent vis-à-vis du respect des droits de l’homme, alors les droits environnementaux s’imposent comme la suite logique des droits civiques et économiques. Le « document de politique générale relatif à la sélection et à la hiérarchisation des affaires » publié par la cour pénale internationale le 15 septembre 2016 va en ce sens. Il justifie et amplifie ainsi les principes généraux du droit de l’environnement (droit à l’information, à la participation du public, à l’intégration de l’environnement dans les politiques publiques)

  • 1

72La reconnaissance et l’opposabilité systématiques de tels droits aux niveaux local, national et international permettraient d'exiger d’une tierce personne (y compris des sociétés commerciales ou industrielles)49 qu’elle endosse l’obligation de préserver un environnement sain. Elles constitueraient de ce fait une justification élargie de l’intérêt à agir des citoyens. La protection de la biodiversité pourrait, dans ce contexte, et au-delà du seul droit administratif dépendant de la volonté de l’État et de l’expertise scientifique, constituer une dimension du droit civil susceptible d’être investie par les citoyens à différents niveaux d’organisation. L’ampleur du dommage causé (ou susceptible d’être causé), évaluée du point de vue subjectif des collectifs d’humains et de non humains constitués pour défendre leurs droits, justifierait de telles actions en justice au-delà de la recherche de l’intentionnalité (ou de la causalité), souvent difficile à préciser. L’approche par les Communs peut faciliter l’émergence et la reconnaissance de collectifs constitués en vue de faire valoir de telles obligations. Elle légitime la mobilisation et l’autogestion citoyenne en vue de la protection d’intérêts communs et sa prise en compte au-delà de la confrontation réductrice des intérêts privés face à l’intérêt général. Reste à apprécier la capacité des normes générales et abstraites à accompagner ce processus.

  • 1
  • 1

73Par ailleurs, le droit pénal de l’environnement est également amené à se développer si la conservation de la biodiversité est finalement considérée comme un objectif « non négociable ». Les tribunaux et des cours environnementales spécifiques se développent dans de nombreux pays50. Si ces juridictions spécialisées semblent plus efficaces, elles ont cependant le désavantage de destituer les juges de droit commun. L’issue des procès relevant du droit pénal est en outre généralement plus longue et plus incertaine que celle relevant du droit administratif (13 ans de procédure pour Erika : 1989-2012). Cependant, la menace qu’elle constitue, accrue par la possibilité pour une pluralité croissante de collectifs d’ester en justice, semble incontournable pour envisager les changements de comportements indispensables aux transitions écologiques. Ces processus peuvent être opérationnalisés par des « jugements déclaratoires et conservatoires (mettant) en œuvre une justice préventive. Lors de désastres environnementaux, ils permettent (aussi) de reconnaitre la responsabilité objective des responsables hiérarchiques en s’appuyant sur une justice répressive, mais aussi restauratrice et compensatoire »51.

Construire le droit, chemin faisant, au travers des principes de participation/subsidiarité

74La biodiversité tout comme les Communs sont avant tout des concepts pour appréhender une réalité écologique et sociale complexe. Pensée en termes écologiques, la « biodiversité » n’est pas une entité en soi, mais une « propriété ». Toutes les formes de catégorisation et de mesures scientifiques visant à caractériser la biodiversité sont réductrices, ne reflétant qu’une part de ce qui constitue la structure, le fonctionnement et l’évolution du vivant à différents niveaux d’organisation (Devictor, 2015). La biodiversité n’est pas un objet (saisissable par le droit) ou une entité biologique (mesurable par la science), mais un concept écologique de l’organisation, du fonctionnement et de l’évolution du vivant.

75Parallèlement, il est possible d’avancer que les Communs ne sont pas seulement un triptyque ressource/règles/communauté, mais un concept social de l’organisation, du fonctionnement et de l’évolution des solidarités qui s’établissent entre des humains et des non humains partageant un milieu de vie et une communauté de destin. Ils sont emboîtés les uns dans les autres et enchâssés avec les autres institutions (publiques et privées). À ce titre, ils mobilisent des échelles de responsabilités et d’action partagées. L’approche par les Communs, considérant la valeur intrinsèque des composantes et de l’ensemble des relations entre éléments biotiques et abiotiques des écosystèmes, permet de promouvoir, au travers d’un processus d’intermédiation culturelle, une approche écocentrée et pluraliste de la régulation des activités anthropiques. Cette dynamique constitue une opportunité majeure pour faire évoluer le droit de la biodiversité et en faire effectivement une préoccupation citoyenne en faisant converger le droit public, le droit privé et la juridicité (Le Roy, 2017).

76Pour faire du droit de la biodiversité un instrument d’adaptation des socio-écosystèmes face aux crises écologiques, la possibilité doit lui être donnée de saisir simultanément la biodiversité et les Communs au travers des « concepts flous » susceptibles d’être précisés au cas par cas selon les contextes socio-écologiques considérés par les parties prenantes. Pour se faire, il apparait nécessaire d’établir des pactes sociaux, des modes de gouvernance et des cadres juridiques qui puissent, à l’échelle des collectifs considérés, tenir compte de leurs variabilités culturelles et environnementales. L’élaboration d’un tel droit constitue un défi majeur : il requiert la conceptualisation d’un droit processuel, empreint de juridicité, et fondé sur une réactualisation permanente des paradigmes qui organisent les solidarités entre humains et non humains pour initier des transitions écologiques (Aubert et Karpe, 2019). De même, « nombre de propositions théoriques de l’écologie ne sont pas réfutables au sens que donne Popper », mais sont « adoptées provisoirement comme idées directrices dans la recherche de faits » (Deléage, 1992). Ainsi la construction des modes de gouvernance et des cadres juridiques, en lien avec l’évolution des connaissances et des modes de représentation du vivant, doit se faire « chemin faisant » par l’itération et la réflexivité autorisées par l’application du principe de participation, voire du principe de subsidiarité. Ces marges de manœuvre constituent, au travers d’exemples croissants d’application dans les législations nationales, des possibilités d’action sans cesse renouvelées pour les citoyens soucieux de s’investir dans la régulation des relations entre les collectifs composés d’humains et de non humains.

Conclusion

77Les dispositifs de conservation de la biodiversité appréhendés sous le prisme de la régulation des relations homme-animal sauvage exprimée par la règle de droit, sont aujourd’hui encore généralement investis de manière segmentée, tant vis-à-vis du domaine juridique (droit de l’environnement, droit rural, droit de la propriété intellectuelle) que du niveau d’organisation biologique considéré (gène, population, espèce, écosystème). L’absence de réelle prise en compte des relations écologiques dans leur ensemble conduit à l’adoption d’une vision réductrice des enjeux et des solutions mises en œuvre.

78L’effectivité du droit de la biodiversité est par ailleurs restreinte par sa structure. Dans la mesure où les éléments de la « nature » ne semblent saisis qu’au travers de droits réels ou de contraintes administratives, les énoncés juridiques entravent le développement d’un ensemble de règles de comportements solidaires qui pourraient pourtant s’avérer favorables à la conservation de la biodiversité. L’évolution des institutions politiques, juridiques et sociales, fondées à l’origine sur la garantie du droit de propriété, implique la construction et l’adhésion massive des citoyens à un nouveau projet de société. La reconnaissance des fonctions sociales et écologiques de la terre et des ressources qu’elle porte implique une évolution, si ce n’est une remise en cause du contrat historiquement fondé dans les États occidentaux sur la garantie du droit de propriété privée. Dans l’élaboration de nouveaux modèles de société ou projets de territoire, l’objectif d’un développement fondé sur la croissance est désormais de plus en plus questionné (Barrière et al., 2019).

79L’approche par les Communs permet de restituer les interactions homme-animal dans une relation de réciprocité qui s’exprime en terme i) d’interdépendance entre l’homme et le milieu naturel, ii) de partage de l’espace et des ressources avec les autres êtres vivants et iii) de transmissions d’écosystèmes fonctionnels (sains) aux générations futures. Reste que face aux modèles dominants, aux lobbyings, et à la défense des intérêts privés, la portée de la dynamique des Communs reste limitée : la restitution du droit dans une vision écocentrée relève d’un changement profond des modes de représentations qui fondent l’organisation des sociétés modernes et les rapports de force qui les animent. Ce changement, quelle que soit sa pertinence, risque de prendre du temps, et le droit associé ne pourra vraisemblablement se construire que par la multiplication des pratiques l’instituant… si toutefois les mobilisations citoyennes sont au rendez-vous.

Remerciements

80Ce manuscrit s’inscrit dans une réflexion collective construite au sein du groupe de travail Homme-Animal au Cirad incluant Martine Antona, Céline Dutilly, et Muriel Figuié, dont les travaux ont été présentés dans le cadre d’un séminaire d’animation scientifique interdisciplinaire porté par l’antenne montpelliéraine de NSS-Dialogues en juin 2018. Nous souhaitons également remercier nos collègues Etienne Le Roy, Vincent Devictor et Bernard Hubert pour les commentaires et les critiques qu’ils ont faits sur des versions antérieures de cet article.

Notes biographiques

81Nicolas Gaidet : Écologie, Gestion de la faune et Politiques de conservation de la biodiversité, chercheur HDR au CIRAD, UPR Green, Campus international de Baillarguet, 34398 Montpellier France.

82Sigrid Aubert : Anthropologie du droit, chercheur HDR au CIRAD, UPR Green; et chercheur associée, UMR Dynamiques du Droit, Faculté de Droit et de Science Politique à l’Université de Montpellier, France.

Haut de page

Bibliographie

Acosta, A., C. Bonneuil, V. Cabanes, C. Cullinan, E. Gaillard, N. Greene, S. Gutwirth,
P. Johnson, M. Maloney, V. Maris, G. Menahem, O.O. Lake, F. Ost, E. Retif, M. Simon, P. Solon et M. Toussain, 2016, Des droits pour la nature, Paris, éditions Utopia, 204 p.

Amelot, X., S. Moreau et S. M. Carrière, 2011, Des justiciers de la biodiversité aux injustices spatiales : L'exemple de l'extension du réseau d'aires protégées à Madagascar, Justice et Injustice Spatiales-Spatial Justice, Presse Universitaire de Paris Ouest, pp. 193-216.

Aubert, S. et P. Karpe, 2019, Comment envisager le droit des communs tissés autour de la terre et des ressources qu’elle porte ?, in B. Delmas et E. Le Roy, Les Communs aujourd’hui. Gestion locale et enjeux planétaires des ressources renouvelables, Contribution réunies à l’occasion du colloque du 18 novembre 2016 de l’Académie des Sciences d’outre mer, Karthala, en cours d’édition.

Barrière, O., M. Behnassi, G. David, V. Douzal, M. Fargette, T.Libourel, M. Loireau, L. Pascal, C. Prost, V. Ravena-Canete, F. Seyler et S. Morand, 2019, Coviability of Social and Ecological Systems : Reconnecting Mankind and Biosphere in an Era of Global Change, Springer International Publishing.

Bertrand, A., 2015, Justice écologique, justice sociale. Exemples historiques, analogies contemporaines et théorie politique, Paris, Victoire éditions.

Blandin, P. et M. Lamotte, 1988, Recherche d'une entité écologique correspondant à l'étude des paysages : la notion d'écocomplexe, Bulletin d'écologie, 19, 4, pp. 547-555.

Bollier, D. et S. Helfrich, 2015, Patterns of Commoning, The Commons Strategies Group and Off the Common Press.

Bourg, D., A. Kaufman et D. Meda, 2016, L’âge de la transition. En route pour la reconversion écologique, Institut Verblen pour les réformes économiques, Colloque de Cerisy, Le In Justice et Injustice Spatiales-Spatial Justice (pp. 193-216). Presse Universitaire de Paris Ouest. s Petits matins, Paris.

Cahill, J.A., Z. Fan, I. Gronau, J. Robinson, J.P. Pollinger, B. Shapiro, J. Wall et R.K. Wayne, 2016, Whole-genome sequence analysis shows that two endemic species of North American wolf are admixtures of the coyote and gray wolf, Science Advances, 2, 7, e1501714.

Callicott, J.B., 1990, Whither conservation ethics ? Conservation Biology, 4, 1, pp. 15-20.

Casetta, E., 2014, Évaluer et conserver la biodiversité face au problème des espèces, in E. Casetta et J. Debord, La biodiversité en question : enjeux philosophiques, éthiques et scientifiques, Paris, Éditions Matériologiques, pp. 139-154.

Club des juristes, 2017, Vers un pacte mondial pour l’environnement, [En ligne] URL : http://www.leclubdesjuristes.com/wp-content/uploads/2017/05/CDJ_Pacte-mondial-pour-lenvironnement_Livre-blanc_FR_web.pdf

Compagnon, D. et E. Rodary, 2017, Introduction, in D. Compagnon et E. Rodary, in Les politiques de biodiversité, Paris, Presses de Sciences Po, pp. 17-26.

Cosson, A. et I. Arpin, 2017, Légitimer les politiques de biodiversité, in Les politiques de biodiversité, Paris, Presses de Sciences Po, pp. 183-204

Costanza, R., R. d'Arge, R. De Groot, S. Farber, M. Grasso, B. Hannon, K. Limburg, S. Naeem, R.V. O'Neill, J. Paruelo, R.G. Raskin, P. Sutton et M. van den Belt, 1997, The value of the world's ecosystem services and natural capital, Nature, 387, 6630, p. 253

Comité Technique Foncier et Développement (CTFD), 2017, Opportunités et défis d’une approche par les communs de la terre et des ressources qu’elle porte, Paris, Ministère de l’Europe et des affaires étrangères, Agence Française de développement.

Crutzen, P.J., 2002, Geology of mankind, Nature, 415, 6867, pp. 23-2

Cullinan, C., 2002, Wild Law : A manifersto for Earth Justice, Totnes, Green Books.

Dardot, P. et C. Laval, 2014, Communs, essai sur la révolution du XXIe siècle, Editions La Découverte, Paris.

Descola, P., 2005, Par delà nature et culture, Essais, Folio, Gallimard, Paris.

Descola P., s. d., Les usages de la terre, Cosmopolitiques de la territorialité (2015-2017), [en ligne] URL : https://www.college-de-france.fr/site/philippe-descola/course-2016-2017.htm

Deléage, J.P., 1992, Aux origines de la science écologique : à propos de quelques ouvrages récents, Revue d'histoire des sciences, pp. 477-490

Devictor, V., 2012, Écologie et crise de la biodiversité : la quête d’un nouveau sens, in Les Voies de la résilience, L’Harmattan, pp. 76-139

Devictor, V., 2015, Nature en crise. Penser la biodiversité, Le Seuil.

Dubos, O. et J.P. Marguenaud, 2009, La protection internationale et européenne des animaux, Pouvoirs, 4, pp. 113-126

Ehrlich, P.R. et H.A. Mooney, 1983, Extinction, substitution, and ecosystem services, BioScience, 33, 4, pp. 248-254

Gaidet, N. et E. Fouilleux, 2018, Entre alliances et métriques. Dynamiques de débat sur les politiques globales de protection de la biodiversité, Revue Française de Sciences Politiques, 68, 4, pp. 669-690

Garnett, S.T. et L. Christidis, 2017, Taxonomy anarchy hampers conservation, Nature News, 546, 7656, pp. 25.

Goreau-Ponceaud, A. et N. Lemoigne, 2017, Chasse, chasseurs et normes, Maison des Sciences de l’homme d’Aquitaine, Pessac.

Grenier-Sargos, A., 1977, Une nouvelle étape du droit français : la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, Gazette du Palais, 1, doctrine 12-18

Hardin, G., 1968, The Tragedy of the Common, Science, 162, 3859, pp. 1243-1248

Huxley, J., 1961, The conservation of wild life and natural habitats in Central and East Africa, Paris, Unesco.

Jonas, H., 1979, Le Principe Responsabilité, Les Editions du Cerf, Paris.

Kiss, A.C. et J.D. Sicault, 1972, La Conférence des Nations Unies sur l'environnement Stockholm, 5/16 juin 1972, Annuaire français de droit international, 18, 1, pp. 603-628

Kwa, C., 1987, Representations of nature mediating between ecology and science policy : The case of the International Biological Programme, Social studies of science, 17, 3, pp. 413-442

Langlais, A., 2019, L’agriculture et les paiements pour services environnementaux. Quels questionnements juridiques ?, Presses Universitaires de Rennes, Rennes

Le Page, C. et équipe de rédaction, 2015, Déclaration universelle des droits de l’humanité, Rapport à l’attention de Monsieur le Président de la République, [en ligne] URL : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/154000687.pdf

Le Roy, E., 2017, Une juridicité plurielle pour le XXIeme siècle, Editions universitaires européennes, Sarrebruck.

Larrère, C., 2010, Les éthiques environnementales, Natures Sciences Sociétés, 18, 4, pp. 405-413.

Larkin, P.A., 1977, An epitaph for the concept of maximum sustained yield, Transactions of the American fisheries society, 106, 1, pp. 1-11

Latour, B., 2004, Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en politique, La Découverte, Paris.

Leopold, A., 1949, A Sand County Almanac : and sketches here and there, Oxford University Press, New York.

Levi, T., A.M. Kilpatrick, M. Mangel et C.C. Wilmers, 2012, Deer, predators, and the emergence of Lyme disease, Proceedings of the National Academy of Sciences, 109, 27, pp. 10942-10947

Loreau, M., N. Mouquet et R.D. Holt, 2003, Metaecosystems : a theoretical framework for a spatial ecosystem ecology, Ecology Letters, 6, 8, pp. 673-679

Ludwig, D., Hilborn, R. et C. Walters, 1993, Uncertainty, resource exploitation, and conservation : lessons from history, Ecological Applications, 3, 4, pp. 548-549

Mahrane, Y. et C. Bonneuil, 2014, Gouverner la biosphère. De l'environnement de la guerre froide à l'environnement néolibéral, D. Pestre, Le gouvernement des technosciences, La Découverte, pp. 133-169

Malafosse, J., 1979, Droit de la chasse et protection de la nature, Droit d’aujourd’hui, Presses Universitaires de France, Paris.

Marguenaud, J.P., 1998, La personnalité juridique des animaux, Recueil Dalloz, 20, Chronique, pp. 205-211

Matagne, P., 2003, Aux origines de l'écologie, Innovations, 2, pp. 27-42.

Mathevet, R., 2012, La solidarité écologique, ce lien qui nous oblige, Actes Sud, Paris.

Mathews, F., 2016, From biodiversity-based conservation to an ethic of bio-proportionality, Biological Conservation, 200, pp. 140-148

McNeely, J., 1990, Establishing priorities for conserving biological diversity, in J. McNeely, K.R. Miller, W.V. Reid, R.A. Mittermeier et T.B. Werner, Conserving the World's Biological Diversity, IUCN, Gland, Switzerland ; WRI, CI, WWF-US, and the World Bank, Washington, D.C. pp. 83-108

Mora, C., 2014, Revisiting the environmental and socioeconomic effects of population growth : a fundamental but fading issue in modern scientific, public, and political circles, Ecology and Society, 19, 38.

Myers, N., 1979, The Sinking Ark : A NewLook at the Problem of Disappearing Species, Pergamon Press, Oxford.

Naeem, S., L.J. Thompson, S.P. Lawler, J.H. Lawton et R.M. Woodfin, 1994, Declining biodiversity can alter the performance of ecosystems, Nature, 368, pp. 734–737

Naidoo, R. et T.H. Ricketts, 2006, Mapping the economic costs and benefits of conservation, PLoS biology, 4, 11, e360.

Odum, E.P., 1969, The strategy of ecosystem development, Science, 164, pp. 262–270

Ost, F., 1995, La nature hors la loi, l’écologie à l’épreuve du droit, La Découverte, Série écologie et société, Paris.

Ostrom, E., 1990, Governing the Commons : The Evolution of Institutions for Collective Action, Cambridge University Press, New York.

Pace, M.L., J.J. Cole, S.R. Carpenter et J.F. Kitchell, 1999, Trophic cascades revealed in diverse ecosystems, Trends in Ecology & Evolution, 14, 12, pp. 483-488

Parlement Européen, 2016, Rapport sur le plan d’action de l’Union Européenne contre le trafic d’espèces sauvages, Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire.

Pickett, S. T., V. T. Parker, et P.L. Fiedler, 1992, The new paradigm in ecology : implications for conservation biology above the species level, in P.L. Fiedler et S.K. Jain, Conservation Biology, Springer, Boston, MA, pp. 65-88

Prieur, M., 2001, Droit de l’environnement, Précis dalloz, 4eme édition, Paris.

Reboul-Maupin, N. et B. Grimonprez, 2016, L'obligation réelle environnementale : chronique d'une naissance annoncée, Recueil Dalloz, p. 2074.

Rivaud, J.P., 2017, Réquisitions en faveur d’une justice environnementale, AJ Pénal, 12, Dalloz, p. 520.

Roux, J.P., C.D. van der Lingen, M.J. Gibbons, N.E. Moroff, L.J. Shannon, A.D. Smith et P.M. Cury, 2013, Jellyfication of marine ecosystems as a likely consequence of overfishing small pelagic fishes : lessons from the Benguela, Bulletin of Marine Science, 89, 1, pp. 249-284

Sabourin, É., 2013, La réciprocité homme-nature et les dérives de son abandon, Revue du MAUSS, 2, pp. 247-260

Sachs, I., 1980, Stratégies de l’écodéveloppement, Économie et humanisme et Les Éditions ouvrières, Paris.

Sainteny, G. (dir.), 2011, Les aides publiques dommageables à la biodiversité, Centre d’analyse stratégique, Paris.

Sarrazin, F. et J. Lecomte, 2016, Evolution in the Anthropocene, Science, 351, 6276, pp. 922-923

Servigne, P. et G. Chapelle, 2017, L’entraide, l’autre loi de la jungle, Les liens qui libèrent, Mayenne, France.

Soulé, M.E. et B.A. Wilson, 1980, Conservation Biology : An evolutionary-ecological perspective, Sinauer Associates.

Syndicat national des producteurs de gibiers de chasse (SNPGC), s.d., Message à nos amis chasseurs, Communiqués de presse, [en ligne] URL : http://www.snpgc.fr/communiques_presse.php

Thompson, J.D., R. Mathevet, G. Landrieu et O. Delanoë, 2014, La solidarité écologique : un nouveau concept pour la territorialisation de la conservation de la biodiversité, in M. Gauthier-Clerc, F. Mesleard et J. Blondel, Sciences de la Conservation, De Boeck, pp. 199-221

Tilman, D., D. Wedin et J. Knops, 1996, Productivity and sustainability influenced by biodiversity in grassland ecosystems, Nature, 379, 6567, p. 718.

Turnhout, E., C. Waterton, K. Neves et M. Buizer, 2013, Rethinking biodiversity : from goods and services to “living with”, Conservation Letters, 6, 3, pp. 154-161

Vanuxem, S., 2010, Les choses saisies par la propriété. De la chose-objet aux choses milieux, Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 1, 64, pp. 123-182

Walker, B.H., 1992, Biodiversity and ecological redundancy, Conservation Biology, 6, 1, pp. 18-23

Weber, J., 2002, Enjeux économiques et sociaux du développement durable, in R. Barbault, A. Cornet, J. Jouzel, I. Sachs et J. Weber, Sommet Mondial du développement durable, Johannesburg, 2002. Quels enjeux ?, Quelles contributions des scientifiques ? Ministère des affaires étrangères, Paris, pp. 13-44

Wilson, E.O., 1985, The biological diversity crisis, BioScience, 35, 11, pp. 700-706

Wilson, K.A., M.F. McBride, M. Bode et H.P. Possingham, 2006, Prioritizing global conservation efforts, Nature, 440, 7082, pp. 337-340

Wu, J. et O.L. Loucks, 1995, From balance of nature to hierarchical patch dynamics : a paradigm shift in ecology, The Quarterly Review of Biology, 70, 4, pp. 439-466

Haut de page

Notes

1

Les plans de chasse avaient été introduits par la loi Comte-Offenbach de 1963, mais ne concernaient alors que le grand gibier. La loi du 20 juillet 2000 les généralise et rend les fédérations de chasse responsables de la réparation des dommages causés par le gibier.

2

Cette distinction est parfois ambiguë comme dans le cas de la « gestion » des sangliers en France (espèce classée à la fois gibier et nuisible dans de nombreux départements) dont l’abatage massif chaque année résulte d’une volonté à la fois de disposer d’un gibier abondant (pour partie élevé en enclos, nourri en nature, importé d’Europe Centrale avec des conséquences sanitaires) pour la chasse de loisir et de réguler leurs populations pour en contrôler les dégâts. La même ambiguïté se retrouve pour le lapin de garenne, objet de campagne de repeuplement par lâcher pour la chasse, détruit au titre d’espèce nuisible, tout en étant classé « quasi-menacé » en France par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN).

3

Ces modèles reposent sur le principe que le taux de croissance d’une population est déterminé par son niveau d’effectif, qu’une population avec un effectif en dessous de sa capacité de charge tend à s’accroitre et que l’on peut exploiter ce « surplus » d’accroissement de manière continue sans affecter la survie de cette population. Selon ces mécanismes d’autorégulation déterministes, il existe un niveau d’effectif optimal d'exploitation qui produit un rendement maximal durable.

4

Voir par exemple l’International Union of Game Biologists et l’International Council for Game and Wildlife Conservation (CIC).

5

En France, l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), établissement public national chargé du suivi des espèces animales sauvages, est principalement financé par la redevance cynégétique acquittée par les chasseurs.

6

Plus de 20 millions de gibiers d’élevage sont relâchés chaque année en France (SNPGC, s.d.)

7

Les parties prenantes à la Charte européenne de la chasse et de la biodiversité de 2007 sont identifiées comme « tous ceux qui ont un intérêt dans la conservation et l’utilisation durable du gibier, des habitats et de la diversité biologique. Ce sont par exemple les chasseurs, les propriétaires fonciers, les gestionnaires, les défenseurs de l’environnement, les organes de réglementation, les chercheurs et toutes les autres personnes intéressées par la sauvegarde et l’utilisation des ressources biologiques ».

8

La Conférence internationale pour la protection de la nature se réunit à Berne en 1913. En France, la Société nationale d’acclimatation, crée en 1854, réoriente ses activités vers la protection de la nature à partir du début du 20e siècle; elle organise en 1923 le premier congrès international pour la protection de la nature à Paris.

9

Lors du premier congrès international de protection de la nature (Paris, 1923) puis adoptée par la convention de Londres relative à la conservation de la faune et de la flore à l'état naturel en Afrique (1933).

10

Convention pour la protection des phoques dans les eaux du Pacifique septentrional (1911), Convention baleinière internationale (1946), Convention pour la protection des phoques en Antarctique (1972), Convention de Montego Bay (1982).

11

Il faut en effet attendre la loi du 10 juillet 1976 sur la protection de la nature pour que l’animal sauvage soit pris en considération par le droit français autrement qu’au travers des catégories de « gibier » et de « nuisible ». La faune y est définie comme l’ensemble des espèces animales peuplant une région ou un milieu déterminé, et accorde une attention particulière aux espèces menacées.

12

En France, celui-ci sera associé au « patrimoine commun des êtres humains » avec la Charte de l’environnement de 2004, puis au « patrimoine commun de la nation » avec la Loi pour la reconquête de la biodiversité de 2016.

13

Les 1ers parcs nationaux sont créés aux États-Unis (Yellowstone 1872, Yosemite 1890), en Afrique (Umfolozi Game Reserve, St Lucia Game Reserve, Hluhluwe Game Reserve en Afrique du Sud, 1897) et en Europe (Suède 1909, Suisse 1914).

14

Cette loi sera précisée par la loi du 2 mai 1930 sur les monuments naturels et les sites. Noter cependant l’existence de réserves naturelles intégrales telles la réserve des Sept-Îles créée en 1912 ou la réserve de Camargue, en 1928.

15

En application de la loi du 22 juillet 1960 relative à la création de parcs nationaux seront respectivement crées le parc national de la Vanoise le 6 juillet, et celui de Part Cros, le 14 décembre. Cette loi de 1960 sera abrogée en 2006 par loi du 14 avril 2006 relative aux parcs nationaux, aux parcs naturels marins et aux parcs naturels régionaux.

16

Dans le cadre de la convention de Berne de protection des espèces européennes (1979), les États s’engagent à intégrer l’objectif de l’établissement d’un réseau de zones protégées dans leurs politiques d’aménagement du territoire. En 1992, la Directive Habitat envisage la protection des espaces ordinaires européens soumis à l’impact de l’anthropisation. En 2008, lors du Congrès mondial de la nature une nouvelle définition des aires protégées est posée : « un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associés ».

17

C’est le cas pour les « services écosystèmiques » progressivement introduits dans les textes juridiques sans pour autant recevoir de définition homogène, et pour lesquels les juristes peinent à identifier des objets de droit explicites (Langlais, 2019).

18

La biosphère désigne, au sens strict, la portion du globe terrestre qu’occupent les êtres vivants dans leurs écosystèmes.

19

Cette discipline va devenir le fer de lance du Programme Biologique International (1964-1974) dont l’objectif est d’établir « les bases biologiques de la production et du bien-être humain ».

20

Le changement de nom de l’UIPN en UICN en 1956 symbolise ce passage de la « Protection de la nature » à la « Conservation de la nature et des ressources naturelles ».

21

“Wild life is a resource provided free by nature: it needs only a modicum of care and management to become an important source of profit as well as of national pride.” (Huxley, 1961).

22

« La Cour de justice des communautés européennes, dans le cadre du recours en constatation de manquement, n’hésite pas à condamner les Etats sous astreinte et à leur imposer de lourdes sanctions pécuniaires lorsqu’ils ignorent les règles de protection des animaux sauvages » (Dubos et Marguenaud, 2009, p. 118), Cependant, c’est bien souvent les intérêts commerciaux et la promotion du libre-échange qui s’imposent dans les décisions.

23

Dont l’impact est démultiplié par l’augmentation continue de la consommation per capita en ressources et en espace.

24

Les ministères de l’Environnement sont créés dans la plupart des pays entre 1970 et 1978.

25

En France, les associations doivent être agréées ou avoir une existence de plus de 5 ans pour se voir reconnaître la possibilité d’ester en justice.

26

En France, depuis les années 70, la prévention des risques est orchestrée par les études d’impacts et les consultations publiques. Les débats et enquêtes publiques sont initiés pour différents types de projets d’aménagement ou d’équipement d’intérêt national (installations industrielles, station d’épuration, création d’un parc éolien ou d’autoroutes) soumis à l’évaluation environnementale.

27

La réparation des dommages causés par les activités humaines à la biodiversité repose sur le fait qu’un citoyen se voit reconnaître un intérêt à agir en justice. Cet intérêt, qui résulte de l’établissement explicite ou supposé d’une relation de cause à effet, reste cependant encore très lié à l’établissement d’une faute (pour ce qui concerne les atteintes portées aux habitats naturels protégés), ou à l’établissement d’un dommage effectif aux individus humains pour ce qui concerne les habitats anthropisés. Les notions de dommage (préjudice) écologique et de responsabilité sans faute ont pourtant récemment été introduites pour que le juge puisse envisager des sanctions (réparations, compensations) liées à l’atteinte portée. Cependant le lien entre la personne ayant réalisé une activité nuisible et le dommage reste difficile à mettre en évidence (difficultés liées à l’identification du responsable, voire de l’activité dommageable, à l’établissement du lien de cause à effet).

28

Notamment en matière de justice (Bertrand, 2015) et de fiscalité environnementale (Imposer, S’imposer : impacts environnementaux de la norme en milieu contraint IV, Journées d’étude du 4-5 avril 2019, Faculté de droit et de sciences politiques de Montpellier).

29

Le remplacement du terme « nuisible » par celui « d’espèce susceptible d'occasionner des dégâts » dans la Loi de 2016 pour la reconquête de la biodiversité constitue une avancée sémantique sans remettre toutefois en cause le caractère anthropocentré de la régulation des relations des humains aux non humains.

30

Par exemple, le nombre d’espèces de bovidés (antilopes, bisons, chèvres et moutons sauvages) a été presque doublé (de 143 à 279 espèces décrites) ces dernières années suite à une réévaluation de la taxonomie de ce groupe sur bases en particulier de diagnostics moléculaires.

31

Environ 1,9 million d’espèces animales et végétales sont aujourd’hui décrites scientifiquement alors que l’on estime qu’il en existe entre 5 et 12 millions au total dans le monde. Parmi celles-ci, seules 100.000 espèces sont aujourd’hui évaluées par l’UICN et inscrites dans sa liste rouge sur l'état de conservation global des espèces (IUCN Red List version 2019-1).

32

« L’Homme n’est qu’un compagnon-voyageur des autres espèces dans l’odyssée de l’évolution » (Leopold, 1949).

33

Cette notion renvoie au « Principe responsabilité » (Jonas, 1979) posé comme un « impératif moral inconditionnel » que le droit peine à formaliser en matière environnementale.

34

L’introduction du « préjudice écologique pur » par la Loi pour la reconquête de la biodiversité (articles 1386-19 et suivants du Code civil) constitue une avancée majeure en matière de responsabilité civile délictuelle, mais elle ne remet pas en cause les difficultés liées à l’établissement d’une relation de causalité entre le fait générateur et le préjudice causé par ce dernier.

35

« Le principe de solidarité écologique, qui appelle à prendre en compte, dans toute prise de décision publique ayant une incidence notable sur l'environnement des territoires concernés, les interactions des écosystèmes, des êtres vivants et des milieux naturels ou aménagés » (art. L 110-1 du code de l'environnement).

36

« Conserving a diversity of life requires acknowledging a diversity of values, knowledge and framings of biodiversity, and fostering a diversity of social–natural relations » (Turnhout et al., 2013).

37

Dans les systèmes juridiques civilistes, les droits subjectifs sont des prérogatives juridiques attribuées à une personne par le droit objectif (les normes générales et abstraites) pour organiser ses relations avec les tiers en société.

38

La Global Alliance of the Rights of Nature (GARN) a été créée en 2010 et constitue un réseau international entre les personnes qui portent les droits de la nature comme un fondement de pensée, d’action collective et de gouvernance juridique. http://therightsofnature.org

39

« Bien que ce concept existe dans la sagesse indigène depuis des millénaires, ce n’est qu’en 2006 que les premières actions juridiques à reconnaître les Droits de la Nature voient le jour au niveau régional. Depuis, il a été inscrit dans la législation de deux États (Équateur et Bolivie) et fait l’objet de nombreuses initiatives locales dans plusieurs pays (par exemple, de 180 ordonnances municipales aux États-Unis). » http://therightsofnature.org/ga-ron-video/ 

40

En ce sens, l’approche par les Communs permettrait de dépasser « La faiblesse théorique de la justice environnementale (qui) tient donc à son présupposé implicite : reconduire une identification convenue de l’exigence de justice à un problème de redistribution des bénéfices de la croissance économique ou de répartition équitable de ses externalités négatives, sans déployer de discours critique sur les principes de l’organisation sociale. » (Bertrand, 2015, p. 7).

41

Selon la théorie classique, droit qui porte directement sur une chose, et dont le principal représentant est le droit de propriété.

42

La loi 2015-177 du 16 février 2015 permet d’introduire dans le Code civil l'article 515-14 qui reconnaît que les animaux, tout en restant des biens, sont des êtres vivants doués de sensibilité. Cette disposition en fait des « quasi sujets de droit ».

43

Marguenaud (1998) met en exergue l’intérêt du recours à la personne morale pour défendre les droits des éléments de l’écosystème (a priori les animaux) qui ne disposent pas de la parole. Une personne morale est fondée sur la base de deux critères : la revendication d’un intérêt propre et un organe susceptible de la représenter.

44

Le terme de jurisprudence de la terre (Earth Jurisprudence) a été introduit par Thomas Berry en 2001 avant d’être proposé comme voie alternative à Johannesburg en 2002 (lors de la conférence Rio + 20) avec l’ouvrage de Cormac Cullinan (2002).

45

GARN qui porte la « Déclaration Universelle des Droits de la Terre-mère » (adoptée lors du Sommet des Peuples sur le Changement climatique et les Droits de la Nature, Cochabamba Bolivie, 2010 et reconnue dans la Déclaration du sommet des peuples adoptée lors du sommet de Rio +20 de l’ONU), End Ecocide on Earth (EEE) et NatureRights.

46

Le premier a été tenu en janvier 2014 à Quito (Équateur) pendant le Global Rights of Nature Summit, le second en décembre de la même année à Lima (Pérou) parallèlement à la COP 20, le troisième en décembre 2015 à Paris parallèlement à la COP 21, et le quatrième en novembre 2017 à Bonn en Allemagne.

47

EEE propose que l’écocide soit caractérisé par la destruction partielle ou totale de communs globaux (océans, atmosphère, Arctique, Antarctique, les rivières et les lacs transfrontaliers, les nappes phréatiques, les espèces migratrices, les cycles biogéochimiques, les patrimoines génétiques…) et/ou de services écosystémiques ayant pour résultat de menacer les conditions de vie sur terre pour les générations actuelles et futures. Notons qu’en droit français le droit de l’environnement ne reconnaît à ce jour que des contraventions et des délits.

48

Par le biais de l’article premier de la Charte de l’environnement de 2004 adossée à la Constitution française, puis au travers du portage de la Déclaration des droits de l’humanité (Le Page et al., 2015) et du le Pacte mondial pour l’environnement (Club des juristes, 2017). Mais dans les faits, sur le territoire national, d’importants progrès restent à entreprendre, notamment au niveau procédural (Rivaud, 2017).

49

Notons que si ce droit fondamental ne fait pas encore l’objet d’une reconnaissance systématique par les juges, il fait actuellement l’objet de normes volontaires au travers du développement des standards de responsabilité sociale des entreprises : les industriels sont invités à adopter des normes environnementales plus importantes.

50

Contrairement au choix de la France, pour laquelle la protection de l’environnement ne s’inscrit pas dans le recours à une juridiction spécialisée, on constate, depuis 2000, une croissance rapide du nombre de tribunaux et de coures environnementales dans de nombreux pays. Certaines sont autonomes (Australie, Nouvelle Zélande), d’autres prennent la forme de sections spécialisées dans les institutions judiciaires existantes (Suède, Chine, Kenya) ou sont des juridictions administratives (USA).

51

[En ligne] URL : http://www.recim.org/prov/pr36-DroitsTerre-complet.pdf

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Nicolas Gaidet et Sigrid Aubert, « Écologie et régulation des relations homme-faune : repenser la conservation de la biodiversité par les Communs  »VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Volume 19 Numéro 1 | mars 2019, mis en ligne le 05 mars 2019, consulté le 19 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/24575 ; DOI : https://doi.org/10.4000/vertigo.24575

Haut de page

Auteurs

Nicolas Gaidet

Chercheur HDR en Écologie, UPR GREEN (Gestion des Ressources Renouvelables et Environnement), CIRAD; et chercheur associé, UMR ASTRE (Animal, Santé, Territoires, Risques, Ecosystèmes), Campus international de Baillarguet, TA C - 47 /F 111, 34398 Montpellier France, Téléphone : + 33 (0)4 67 59 48 86, courriel : nicolas.gaidet-drapier@cirad.fr

Sigrid Aubert

Chercheur HDR en Anthropologie du droit, UPR GREEN (Gestion des Ressources Renouvelables et Environnement), CIRAD; et chercheure associée, UMR Dynamiques du Droit, Faculté de Droit et de Science Politique à l’Université de Montpellier, Campus international de Baillarguet, TA C - 47 /F 118, 34398 Montpellier, France, Téléphone : +33 (0)4 67 59 37 79, courriel : sigrid.aubert@cirad.fr

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search