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« L’océan absorbe 30 % des émissions de CO2 dues aux activités humaines »

Françoise Gaill, directrice de recherches au CNRS, revient sur les relations étroites qui unissent milieu marin et climat, à l’approche de la COP21.

Propos recueillis par 

Publié le 07 juin 2015 à 18h48, modifié le 09 juin 2015 à 14h58

Temps de Lecture 6 min.

Habitations des Indiens Kuna, dans les îles Robeson (Panama).

A l’occasion de la journée mondiale de l’océan, le 8 juin, la Commission océanographique intergouvernementale de l’Unesco et la Plateforme océan et climat organisent à Paris des rencontres sur les relations étroites qui unissent milieu marin et climat, à l’approche de la conférence de l’ONU sur les changements climatiques (COP21). Entretien avec Françoise Gaill, directrice de recherches au CNRS et présidente du conseil stratégique de la flotte océanographique de recherche française.

Vous coordonnez le comité scientifique de la Plateforme océan et climat. Pouvez-vous nous présenter cette nouvelle initiative ?

Françoise Gaill : Il s’agit d’une alliance née de la volonté d’instituts de recherche et d’ONG d’œuvrer ensemble pour que la question de l’océan soit intégrée dans les négociations internationales sur le climat. Aujourd’hui nous sommes une soixantaine : des fondations comme Tara, l’Expédition 7e Continent, Pew, Surfrider, des aquariums, la Fondation Albert-Ier-de-Monaco, des regroupements d’entreprises comme Armateurs de France, des élus du littoral… Bref, des acteurs de la société civile étonnés de constater que le milieu marin est à peine mentionné dans les textes sur lesquels les États sont censés s’engager dans le cadre de la Conférence climat de Paris, la COP21. Cela paraît incroyable quand on pense à quel point il est essentiel pour le climat !

Votre plateforme doit lancer, lundi, un solennel « Appel de l’océan pour le climat ». Qu’en attendez-vous ?

A chaque COP, il y a une rencontre consacrée à l’océan, mais ce sont les ONG qui l’organisent. Cette fois, nous voulons obtenir du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qu’il consacre un rapport spécifique sur cette question. C’est l’Institut Prince-Albert-Ier-de-Monaco qui va porter cette demande. Cela va nous permettre d’imaginer des solutions pour l’avenir. Jusqu’à présent, les gouvernements ne s’y sont pas intéressés parce qu’ils ne voient que le court terme. Et pourtant, l’océan est l’élément qui pourrait faire consensus dans la population mondiale ! Pays développés ou pas, il est notre patrimoine commun.

N’est-ce pas trop tard pour trouver place dans la COP21 ?

Non, il est temps d’attirer l’attention : nous prenons date pour l’avenir. Nous voulons expliquer quel est le rôle de l’océan dans la régulation du climat, et inversement, en quoi le réchauffement va avoir un impact déterminant sur l’écosystème marin. Pour faire passer ce message auprès de tous les publics – et fournir en particulier aux négociateurs politiques des éléments techniques –, nous avons produit des fiches scientifiques sur des thèmes comme l’oxygène, le gaz carbonique, l’acidification, le réchauffement, et sur les risques qui se dessinent pour la biodiversité, la montée du niveau de l’eau, l’Arctique…

La chaleur emmagasinée génère une dilatation de l’océan, de façon non-homogène, qui provoque l’élévation du niveau de la mer.

En quoi l’océan régit-il le climat de notre planète ?

L’océan, c’est 90 % de notre eau, il faut déjà qu’on réalise cela. Les fleuves ne représentent guère que 5 % du total. Il est la source principale des précipitations.

C’est lui ensuite qui absorbe la chaleur avec le plus d’efficacité. L’augmentation de la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère génère un excédent d’énergie que le milieu marin stocke à plus de 90 %. Jusqu’à quand pourra-t-il continuer à jouer ce rôle ? Nous l’ignorons, car nous ne savons pas précisément comment fonctionne ce mécanisme d’échange avec l’atmosphère, c’est un phénomène que l’on constate.

La chaleur emmagasinée génère une dilatation de l’océan, de façon non-homogène, qui provoque l’élévation du niveau de la mer. Celle-ci sera d’autant plus importante que le réchauffement va faire fondre les glaces. On attend une montée des eaux de 25 centimètres dans le meilleur des cas, voire 98 cm d’ici la fin du siècle dans le pire des cas. C’est énorme. Les conséquences pour les populations littorales vont être considérables. En outre, sans cet effet de l’océan, il serait impossible de contenir le réchauffement sur terre en deçà des fameux 2 degrés.

Les océans absorbent également le gaz carbonique…

L’océan constitue aussi une formidable pompe qui absorbe près de 30 % des émissions de dioxyde de carbone dues aux activités humaines. Il en contient 50 fois plus que l’atmosphère. Il est de ce point de vue plus performant que les forêts. Pas si on rapporte la comparaison au mètre carré, mais cela s’avère exact si l’on tient compte de l’immensité de l’océan qui couvre 71 % de la planète. Voilà qui peut faire prendre conscience de son rôle fondamental. Or là encore, on ne sait pas jusqu’à quand il va pouvoir stocker toujours plus de CO2, car cela provoque une acidification de l’écosystème, avec des conséquences fortes sur la biodiversité.

Déjà 25 % des coraux sont affectés et un rapport scientifique du WWF estime que 50 % d’entre eux pourraient disparaître d’ici la fin du siècle. Ce point est en débat. Il ne s’agit de toute façon que du sommet de l’iceberg : toute la chaîne trophique – des bactéries aux mammifères marins – va être touchée par le changement climatique, les espèces proches de la surface en premier. Or elles sont un maillon essentiel qui conditionne tout le reste, en particulier la production d’oxygène.

Est-ce qu’on observe déjà des effets sur l’oxygène ?

L’écosystème planctonique nous fournit de l’oxygène en transformant le gaz carbonique selon le principe de la photosynthèse. Cependant, la situation des eaux côtières apparaît préoccupante. Dans les années 1990, on avait repéré des morts massives de poissons, de crabes… On s’est aperçu que ces hécatombes se produisaient après avoir traversé des zones anoxiques – par manque d’oxygène, donc. On a commencé à les cartographier. Il en existe des naturelles, mais de nouvelles zones sans vie apparaissent le long des côtes, dans le Golfe du Mexique par exemple. Et elles semblent bien liées aux rejets émanant des activités humaines, à l’augmentation de la température aussi. Il va falloir étudier ça de plus près : l’acidification est passée dans les mœurs des scientifiques, mais pas encore la désoxygénation.

Quel paramètre pourrait avoir l’effet le plus important ?

Pour moi, c’est la température. Mais il y a aussi la question des courants océaniques. En circulant des tropiques jusqu’aux pôles, en redescendant vers le fond, ils brassent d’énormes masses d’eau et les renouvellent dans toutes leurs composantes. Ce phénomène est lié à la différence de températures entre les stocks d’eau. S’il s’arrêtait pour cause de réchauffement généralisé, on serait vraiment mal. Il n’y aura plus de poissons.

Ourse et oursons polaires.

Est-on capable d’anticiper la façon dont toutes ces tendances vont se manifester ?

Non. On peut imaginer les conséquences de l’augmentation de la température, du CO2, de l’acidification, mais on ne sait pas ce qu’engendreront leurs effets combinés. Vraiment pas. Pour les espèces, c’est pareil, on ne connaît pas leur capacité d’adaptation face aux stress cumulés.

On pourrait ajouter que le bétonnage des côtes rend difficile l’adaptation au changement. Il n’y a plus de mangrove qui filtre l’eau dans les pays tropicaux, même plus de sable sur les plages pour ralentir la houle… Tout cela pourrait modifier soit la condensation sur le fond de certains polluants, soit leur remise en suspension, l’évaporation dans l’atmosphère…

Que pensez-vous de la résolution adoptée par les Nations unies le 3 juin et qui vise, à terme, à donner à la haute mer un statut juridique pour la conservation de sa biodiversité ?

J’en suis ravie, c’est très important. Avec cette avancée à l’ONU, les Etats vont être amenés à travailler et réfléchir sur ces espaces maritimes lointains, qui ne sont pas protégés par une juridiction. Jusqu’à présent, seules les ONG poussaient ce dossier. Comment allons-nous partager les ressources génétiques de la haute mer ? Les scientifiques sont partagés, entre règles contraignantes et liberté de la recherche.

D’ailleurs, faut-il partager l’océan entre nations ? La question est ouverte. On a commencé par étendre les zones économiques exclusives et on continue à réfléchir en termes de territoire. Je pense qu’il faut changer de paradigme.

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