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«Face au changement climatique, le Bangladesh n’est pas prêt»

A l’heure où la Banque mondiale publie un rapport alarmiste prédisant quelque 140 millions de migrants climatiques dans trois régions du globe, le général Muniruzzaman, ex-conseiller du président du Bangladesh, tire la sonnette d’alarme

None — ©Mark Henley / Panos Pictures.
None — ©Mark Henley / Panos Pictures.

Il est officiellement à la retraite, mais il est loin de s’être retiré du monde. Le général Muniruzzaman, né à Dhaka au Bangladesh il y a soixante-cinq ans, dédie désormais une bonne partie de son temps à combattre une menace qui le ronge: le changement climatique. Il n’est pas le seul. La Banque mondiale a publié, lundi, un rapport alarmiste intitulé Lame de fond: se préparer aux migrations climatiques internes. Elle met en garde contre la migration possible de 140 millions de personnes en Asie du Sud, dans l’Afrique subsaharienne et en Amérique latine si rien n’est entrepris pour contrer et prévenir les effets du changement climatique.

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Echec générationnel

Le rapport de la Banque mondiale ne surprendra pas Munir Muniruzzaman. Bilingue bengali-anglais, il est venu exposer ses inquiétudes la semaine dernière au Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH) à Genève. Mouchoir de poche bleu pétant, veste bleu foncé, écharpe grise, il a l’air plutôt détendu. Il préside le Bangladesh Institute of Peace and Security Studies de Dhaka et le Global Military Advisory Council on Climate Change, un organisme qui réunit une trentaine de généraux et d’amiraux du monde entier afin d’analyser le fort impact du changement climatique sur la planète.

C’est à ce titre qu’il conseillait les délégations nationales à la Conférence de Paris sur le climat en 2015. Il avait déjà prêché pour un réveil de la communauté internationale face à la menace climatique au sommet de Copenhague de 2009. Son engagement découle presque d’un engagement moral. Ses enfants, un fils et une fille qui vivent tous deux en Australie, le lui disent: les générations précédentes n’ont pas été à la hauteur pour anticiper les conséquences découlant des perturbations du climat.

«Le changement climatique est directement lié à la question des ressources. Il peut être la cause de conflits.» Fils d’un militaire qui servit dans l’armée britannique avant la partition de l’Inde et du Pakistan et avant la création du Bangladesh, Munir Muniruzzaman ne se fait pas d’illusion: «Le Bangladesh est le laboratoire global. Tous les effets négatifs du changement climatique y sont visibles.» La salinisation des terres due à l’eau de mer en est un. Elle altère la production agricole. Elle détruit aussi l’écosystème des rivières, dont vit une partie importante de la population à travers les pêcheries du delta du Gange, hypothéquant sérieusement la sécurité alimentaire de ses habitants. La fréquence des catastrophes naturelles s’accroît, causant des dégâts toujours plus importants. La destruction de la forêt mythique des Sundarbans, dans le même delta du Gange, classée au patrimoine mondial de l’Unesco, le mine. La diversité de la faune et de la flore subit de plein fouet la montée des eaux. Des tigres, des variétés d’oiseaux disparaissent.

20% de terres en moins

Le général Muniruzzaman a roulé sa bosse de militaire dans plusieurs pays d’Asie, en Malaisie, au Cambodge et en Thaïlande. Il a aussi conseillé le président du Bangladesh, informé le Conseil de sécurité de l’ONU et le Congrès américain des risques posés par le changement climatique. Dans un anglais châtié, il insiste sur le manque de préparation de son pays: «Selon les prédictions du GIEC [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat], le niveau de la mer devrait augmenter d’un mètre d’ici à 2050. Si tout va bien. Dans un tel cas de figure, le Bangladesh perdra 20% de ses terres et verra 25 à 30 millions de «réfugiés» climatiques se déplacer à l’intérieur du pays. Le Bangladesh est un petit pays qui compte 170 millions d’habitants et dont la densité de population est parmi les plus élevées du monde. Nous n’avons pas l’espace pour accueillir autant de monde. Il y aura donc forcément des mouvements de population vers l’Inde.» Or les Indiens verrouillent la frontière. «Ce sera un facteur majeur de déstabilisation régionale et même internationale. Je prédis, ajoute-t-il, des flux vers l’Asie du Sud-Est, vers le Pakistan et même vers l’Europe.» Face à ces projections, il s’énerve à l’idée que des personnes puissent encore douter de la réalité du changement climatique.

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Munir Muniruzzaman émet des propositions qui recoupent certaines émises par la Banque mondiale: «Nous polluons très peu par rapport à d’autres pays. Les seuls moyens à disposition pour agir, ce sont les mesures d’adaptation, très onéreuses. Nous comptions à ce titre sur le Fonds vert pour le climat, qui peine à être alimenté. Nous sommes en train de perdre un temps crucial.» Parmi les mesures prévues, Dhaka envisage de hausser les maisons dans les régions côtières afin qu’elles ne soient pas systématiquement détruites lors d’inondations. Il entend aussi déployer un plan de cultures résistantes aux inondations et enfin construire un certain nombre d’abris pour recueillir des personnes affectées par des événements climatiques. Le gouvernement bangladais compte aussi former les personnes susceptibles d’être déplacées pour qu’elles puissent trouver de nouveaux emplois.

Source de conflits

Au FIFDH, tout le monde n’a pas apprécié l’approche sécuritaire du climat promue par le général Muniruzzaman. Or ce dernier se réfère aux événements de ces dernières années pour étayer ses craintes: «Prenez la Tunisie et le Printemps arabe. En 2011, la Russie avait imposé un embargo sur le blé en raison de la sécheresse. Le prix de la céréale avait explosé. Le prix des denrées en Tunisie également, un élément qui a joué un rôle dans le déclenchement de la révolte.» Autre exemple: la Syrie, qui a subi quatre ans consécutifs de sécheresse, provoquant le déplacement de près d’un million de «réfugiés» climatiques (avant tout des agriculteurs) du nord-est du pays vers le sud. «Il ne manquait plus qu’une étincelle», estime le militaire à la retraite.

Le général bat enfin en brèche une idée reçue: le changement climatique ne touche pas que les pays en voie de développement. Il en veut pour preuve les ouragans et inondations qui ont secoué les Etats-Unis. «En raison de la hausse du niveau de la mer, plusieurs bases navales le long de la côte de Virginie ont dû être déplacées. Le Pentagone voit clairement le problème sécuritaire que pose le climat.» C’est, à ses yeux, un problème de civilisation. Sa crainte: que des pays entiers, notamment des îles du Pacifique, disparaissent. «Qu’adviendra-t-il de l’héritage, de la langue, de la culture et bien sûr des frontières [maritimes] de ces Etats? Est-ce que tout sera perdu à jamais?» se demande-t-il, inquiet. Son espoir: que l’Accord de Paris, avec ou sans les Etats-Unis, soit suivi d’effets concrets.