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« Comment garantir un avenir radieux à l’énergie solaire en Afrique »

Deux consultants alertent sur l’intermittence qui caractérise la production d’électricité solaire ou éolienne. Pour éviter que le « miracle » attendu ne vire au fiasco.

Publié le 01 février 2017 à 12h22, modifié le 01 février 2017 à 12h22 Temps de Lecture 4 min.

La centrale solaire Noor 1 près de Ouarzazate, au Maroc, en 2016.

L’Afrique et la France ont un point commun en ce début d’année : leur difficulté à répondre à la forte demande en électricité. Si le froid est à l’origine de cette tension dans l’Hexagone, c’est plutôt le manque de capacité de production qui justifie ce déséquilibre offre-demande en Afrique subsaharienne – sa capacité installée représente un tiers de celle de la France.

Or, comme le dit l’adage, sur le continent « le soleil n’oublie jamais un village, même s’il est petit ». L’ensoleillement exceptionnel dont bénéficie le continent et la présence d’espaces encore vierges font de l’Afrique une terre idéale pour le solaire. Grâce à une technologie désormais bien maîtrisée, des coûts de développement compétitifs (divisés par quatre en moins de cinq ans) et des délais de construction records (douze mois), le solaire se déploie rapidement et permet de produire de l’électricité à des coûts inférieurs de moitié à ceux des vieilles centrales thermiques.

Une énergie renouvelable mais intermittente

La course aux projets est lancée : les Etats accueillent à bras ouverts les producteurs indépendants d’électricité et l’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit que, d’ici à 2030, le solaire pourrait représenter 14 % de la puissance installée en Afrique. Le Sénégal fait figure de précurseur avec l’inauguration de la plus grande ferme solaire d’Afrique de l’Ouest. D’une puissance maximale de 20 MW, Senergy 2 fournit à la Sénélec un kilowattheure à moitié prix par rapport à l’existant.

Il convient pourtant d’être prudent, car il reste un défi majeur : celui d’intégrer une énergie certes renouvelable, mais qui demeure intermittente, au sein d’un réseau électrique tolérant mal l’instabilité. Les pays les plus avancés fixent ainsi un seuil de sûreté qui limite la part d’énergies intermittentes (solaire, éolien) dans leur bouquet énergétique : il est de 30 % à La Réunion, pourtant pionnière en matière d’énergies renouvelables.

Les annonces de mégaprojets solaires on grid (« sur réseau ») sur le continent doivent donc être prises avec précaution. Le Nigeria, qui a signé à l’été 2016 des contrats pour plus de 1,1 GW de projets solaires (25 % de la pointe de consommation), est-il bien préparé à intégrer ces sources intermittentes sur son réseau ? Le black-out complet observé en 2016 dans l’Etat d’Australie méridionale (dont 45 % de l’électricité provient de sources intermittentes) doit faire réfléchir.

Le défi est de taille pour les Etats africains, les enjeux étant techniques mais aussi financiers. Derrière chaque projet solaire privé se trouve un contrat garantissant l’achat par l’Etat de l’électricité produite, à un prix fixé à l’avance, souvent en « take or pay ». Si les réseaux ne sont pas capables d’absorber la production de ces centrales, la soutenabilité de ces contrats pourrait se poser pour les Etats, comme leur viabilité à terme pour les industriels.

Des précautions à prendre

Des leviers existent pour éviter le double écueil de l’instabilité énergétique et financière du solaire en Afrique. Les Etats doivent mettre en place une planification pointue du secteur : faire croître progressivement la part des sources intermittentes dans le bouquet en s’assurant que le réseau puisse absorber leur production, diversifier les sources d’énergie et, en conséquence, organiser des appels d’offres auprès d’industriels avec des cahiers des charges précis. La mise en cohérence des différents segments (production, transport, distribution) est cruciale et ne doit connaître aucune approximation. L’Afrique du Sud (47 centrales solaires et 1 GW, soit l’essentiel de la capacité solaire d’Afrique subsaharienne), parvient à limiter la variabilité induite dans son système électrique grâce à une utilisation de sources intermittentes diversifiées et à une production décentralisée, répartie au sein de zones propices identifiées par l’Etat. Pour les Etats, il s’agit enfin de maîtriser le coût complet des projets solaires, prenant en compte notamment la charge indirecte liée à leur intermittence (déploiement de capacités de stockage ou de production additionnelles non intermittentes).

Par ailleurs, il est de la responsabilité des opérateurs privés de proposer des projets complets aux Etats intégrant des unités solaires de production, mais aussi une réponse à l’intermittence de cette production. Cela peut prendre la forme d’une solution de stockage : centrales thermodynamiques (comme Noor au Maroc) ou batteries pour les systèmes photovoltaïques. A défaut de stockage, les industriels devraient offrir des solutions duales, couplant le solaire et une autre source (hydraulique, éolienne ou énergie non renouvelable). La Société financière internationale (SFI) l’a bien compris qui intègre une composante de stockage dans les appels d’offres de son initiative « Scaling Solar ».

L’Afrique dispose avec le soleil d’une ressource naturelle inestimable. Tant les Etats que les industriels l’ont bien compris et courent après les projets de centrales solaires partout sur le continent. Pour autant, cet appétit ne peut faire oublier que toutes les conditions doivent être réunies pour parvenir à intégrer cette nouvelle source d’énergie dans des réseaux encore fragiles. A défaut, l’énergie solaire pourrait devenir un fardeau, au lieu du miracle attendu pour résoudre le défi énergétique de l’Afrique.

Benjamin Romain est associé et Laetitia Dubois est consultante chez Okan Consulting, cabinet de conseil spécialisé sur l’Afrique.

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