Éducation pour tous, des choses à changer
L’éducation est un facteur
clé du développement économique, social, culturel et politique d’un pays. Les
États qui ont connu un
niveau de performance économique élevé au cours des dernières décennies (Singapour, Taiwan, Maurice, Botswana, Rwanda, etc.) sont
ceux qui ont su mettre en place des systèmes éducatifs efficaces adaptés à
leurs contextes et à leurs choix d’orientation économique.
Cependant, de toutes
les régions du monde, c’est l’Afrique subsaharienne (particulièrement l’espace francophone
)
qui a le taux le plus élevé de jeunes exclus de la scolarité. Plus d’un cinquième des enfants âgés de
6 à 11 ans n’est pas scolarisé, suivi par un tiers des jeunes âgés de 12 à 14
ans, selon les données de l’ISU (Institut de statistiques de l’Unesco). La
situation est particulièrement préoccupante pour des pays comme le Mali, le
Burkina Faso, le Niger et le Tchad qui affichent des taux d’alphabétisation
inférieurs à 30 %.
Le taux d’alphabétisation en Afrique subsaharienne est cependant passé de 52 en 2016 à 65% en 2018. Les États africains (surtout francophones) ont beaucoup plus de mal à
offrir à la fois la quantité et la qualité des services éducatifs à leurs populations
extrêmement jeunes et en forte croissance. Ainsi, des insuffisances accumulées
par les élèves au niveau de l’école primaire et secondaire ont des
répercussions importantes lorsqu’ils abordent les études supérieures ou
entament une vie professionnelle. Il existe en fait un déphasage entre les
connaissances acquises à l’école et celles requises par le monde de l’emploi.
Quelles
sont les réformes à initier pour améliorer la qualité de l’enseignement
primaire et de l’enseignement secondaire, pour rendre l’apprentissage plus
performant en Afrique francophone ? Quels sont les rôles, responsabilités
et capacités des acteurs locaux, nationaux et régionaux dans la formulation des
politiques en matière d’enseignement primaire et secondaire ? Quel est le rôle
des parents dans l’atteinte des acquis scolaires de leurs enfants ?
S’impliquent-ils assez dans le processus d’acquisition des compétences ?
Au-delà de la présentation
des freins à un enseignement qualitatif au primaire et secondaire, cet article propose
aussi des idées testées et prouvées qui ont contribué à améliorer la qualité de
l’enseignement primaire et secondaire.
Les défis à la dispensation d’un enseignement primaire et
secondaire de qualité
La qualité de l’enseignement primaire et secondaire
détermine largement la capacité d’un pays à faire face, avec des femmes et des
hommes bien formés, aux défis futurs dans tous les domaines. Mais il est
difficile de dispenser cet enseignement de qualité au regard de certains défis,
notamment l’insuffisance d’équipements et d’infrastructures scolaires, le
nombre pléthorique d’élèves dans les salles de classe, les programmes scolaires
souvent inachevés, les grèves et revendications répétées pour une revalorisation des salaires des enseignants,
pour ne citer que ceux-ci.
C’est sans
oublier, la privatisation spectaculaire dans le secteur de l’éducation, de
l’école maternelle à l’enseignement supérieur, qui a créé au cours des deux
dernières décennies des systèmes éducatifs à plusieurs vitesses, avec des
secteurs publics progressivement abandonnés par les parents d’élèves. Ces
derniers font des efforts financiers énormes pour fournir une meilleure
éducation à leurs enfants en les envoyant dans des écoles privées coûteuses.
De la prise de conscience
à la prise de responsabilités
Ces dysfonctionnements démontrent l’urgence d’une prise de conscience par
tous les acteurs du secteur éducatif car :
« le processus
d’enseignement/apprentissage implique plusieurs acteurs. En cas d’échec, chacun
de ces derniers a sa part de responsabilité, en fonction de son degré
d’implication dans le processus. La responsabilité de l’échec revient bien
entendu à l’élève, mais celui-ci n’est que le dernier maillon d’une longue
chaîne qui commence dans les ministères en charge de l’éducation, continue dans
les établissements scolaires et se termine dans les domiciles. »
nous rappelle le
blogueur camerounais Fotso Fonkam. Il faut donc repenser les systèmes éducatifs dans toutes leurs dimensions pour
les rendre plus adaptés aux réalités économiques, sociales et culturelles des citoyens
et au type de société que l’on souhaite construire.
Voici 4 recommandations
suivi d’actions pouvant contribuer au remodelage du système éducatif primaire
et secondaire en Afrique francophone.
1- Des pays francophones souverains dans la détermination
des politiques éducatives
Les pays d’Afrique
francophone doivent pouvoir déterminer de manière souveraine les orientations
fondamentales dans le domaine de l’éducation et assurer leur mise en œuvre
cohérente sur une durée suffisamment longue pour produire des résultats. Ils
peuvent y parvenir en créant dans chaque pays une Autorité supérieure de
l’éducation, indépendante du pouvoir exécutif, dont le rôle sera de définir les
grandes orientations des systèmes d’éducation et de formation, d’assurer la compatibilité
et la cohérence des choix effectués pour les différents niveaux d’éducation du
pré-primaire au supérieur.
Il faudra également se refocaliser sur les
véritables besoins en lien avec l’avenir des enfants et de prendre, quand il le
faut, des distances par rapport à des objectifs et des standards internationaux
qui ne tiennent pas compte des parcours historiques spécifiques de chaque pays
et de leurs visions du futur.
2- Prioriser la formation des
enseignants
Pour y arriver, il faut
renforcer les écoles nationales dédiées à la formation des enseignants du
primaire et du secondaire. Cela passera essentiellement par :
- la révision des curriculums
des écoles de formation des enseignants afin d’intégrer une grande diversité
d’approches pédagogiques à adapter aux contextes spécifiques et aux différents
types d’apprentissage ;
- la revalorisation du
statut[5] de
l’enseignant et la lutte contre l’absentéisme et le double (ou triple) emploi
pratiqué par une frange importante des enseignants d’Afrique francophone ;
- un renforcement du
contrôle administratif et l’application effective de sanctions.
3- Planifier en
intégrant les réalités socioéconomiques dans les programmes scolaires.
Il est
important de mettre en place des calendriers scolaires et des programmes
adaptés aux contextes économiques et sociaux locaux, en particulier dans les
zones rurales. On pourrait tenir compte des calendriers
agricoles et de certaines contraintes socioéconomiques pour déterminer le
calendrier scolaire.
Par exemple, l’adaptation de l’offre d’alphabétisation est un facteur
majeur dans le changement de paradigme dans des pays comme le Bénin, le Burkina
Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Tchad et le Togo, qui ont mis en
œuvre le « Programme régional d’éducation des populations pastorales en
zones transfrontalière (PREPP). » L’ambition dudit
programme, piloté par l’Association pour la promotion de l'élevage au Sahel et
en Savane (APESS) depuis 2014, est de soustraire les communautés pastorales de
l’analphabétisme endémique, de contribuer à un meilleur accès à l'emploi pour
les jeunes, à travers le développement de leurs compétences techniques et
professionnelles.
Il est aussi important d’impliquer les
populations locales dans l’élaboration des curriculums scolaires à travers des processus
formels annuels d’information, de consultation et de débats à l’échelle des
régions, départements ou provinces. On pourrait également autoriser des variations du calendrier scolaire en
fonction des régions tout en respectant strictement les standards nationaux
(volumes horaires annuels, dates des examens).
4- Repenser les contenus
et programmes éducatifs.
Il
faut enfin, mettre en œuvre de manière contrôlée et progressive une
révision profonde des curriculums en s’assurant de donner la priorité à :
- L’apprentissage de la
lecture et de l’écriture aussi bien dans les langues locales que dans la langue
officielle. Pour y parvenir, il faudra implémenter des politiques nationales de
promotion de la lecture, de la culture générale et des TIC, dotées d’un budget
autonome, au sein de toutes les classes sociales. Dans ce cadre, l’Association
pour le développement de l’éducation en Afrique (ADEA), à travers son Pôle de
qualité inter-pays sur l’Alphabétisation et les Langues nationales et son
Groupe de travail sur les livres et les matériels éducatifs (GTLME), participe
activement à l’animation du dialogue politique et au renforcement des capacités
techniques des pays africains.
- L’initiation aux
mathématiques et aux sciences de la vie et de la terre par des activités
ludiques adaptées aux enfants et recourant à des matériaux locaux;
- L’introduction ou la
réintroduction de l’éducation civique et morale, la découverte de la diversité
des cultures, croyances et religions et le patrimoine historique et culturel
africain ;
- Le recours à des méthodes
pédagogiques attractives pour les enfants, notamment l’utilisation du théâtre,
des jeux de rôle, l’initiation aux débats ou l’usage des TIC. Par exemple, la Fondation Didier Drogba en collaboration avec l’ADEA et l’UNESCO ont mis en
œuvre un projet d’alphabétisation par le téléphone portable et les tablettes
qui s’est révélée efficace dans plusieurs pays africains pour la prise en
compte des apprenants en situation de mobilité ou peu disponibles pour suivre
les cours en présentielle.
Partager les données et impliquer les citoyens
Un grand moyen de créer
les conditions pour la mise en œuvre de recommandations évoquées ci-dessus est
de partager des informations précises sur les différentes dimensions du défi
éducatif avec les citoyens et de créer des débats publics de qualité permettant
d’agir efficacement et de corriger en permanence les dysfonctionnements
observés.
La création d’une vaste coalition d’organisations et de citoyens
engagés sur les questions d’éducation au niveau de chaque pays ainsi que la
mise en place d’un réseau au
niveau régional (dépassant les barrières linguistiques) favoriserait également les
échanges de leçons et d’expériences des différents pays.
Illustration : https://iwaria.com/photo/NjMwNA==/
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