Sauver les milieux humides pour prévenir les inondations

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Par Catherine Paquette, pour GaïaPresse

Photo : Ste-Marthe-sur-le-Lac, Carte de suivi des inondations du ministère de la sécurité publique.

Une fois de plus, les épisodes des crues printanières ont forcé le déplacement de centaines de familles québécoises. Alors que les mêmes événements se répètent année après année et que les changements climatiques risquent de causer encore davantage d’inondations, on questionne non seulement l’aménagement du territoire, mais également la protection des milieux humides. Maintenant que les eaux ont commencé à se retirer, GaïaPresse a interrogé à ce sujet la professeure Stéphanie Pellerin, afin de comprendre les différentes fonctions que remplissent ces milieux.

Plusieurs personnes qui résident aujourd’hui tout près des berges pourraient se rappeler avoir joué dans leur jeunesse avec des grenouilles et des quenouilles dans de petits marais. Aujourd’hui, nombre de ces zones ont été peuplées par des résidences et condos dont la « vue sur l’eau » fait le charme – et le prix, réduisant considérablement la superficie de milieux humides propices à la récréation et au maintien de certaines espèces. Ce qui semblait s’apparenter à du progrès, de la croissance économique, des revenus pour la ville et de l’assainissement est au final dommageable pour la biodiversité, les milieux de vie et la sécurité des citoyens.

La professeure associée au département de sciences biologiques à l’Université de Montréal, Stéphanie Pellerin, déplore en effet que l’on continue de construire dans des zones qui étaient jusqu’à tout récemment des milieux humides. Ces derniers méritent une meilleure protection, étant donné qu’ils constituent une barrière importante pour freiner les aléas naturels tels que les inondations.

En effet, en plus de contribuer à la filtration des sédiments, à supporter des habitats fauniques et à contribuer au stockage du carbone, les milieux humides participent aussi à la régulation des débits de crues.

Les milieux humides et hydriques en bordure de rivière fonctionnent comme une éponge, explique Stéphanie Pellerin. « Ils vont accumuler de l’eau jusqu’à leur capacité maximale, et l’eau qu’on retrouve dans les milieux humides ne se retrouvera pas dans les cours d’eau », résume la professeure.

Elle cite à ce sujet une étude portant sur la rivière Bécancour qui avait permis de constater que les milieux humides pouvaient réduire de 18 % les débits de crue des rivières, grâce à leur période de rétention d’eau.

Qu’entend-t-on par « milieux humides » ? 

« Les milieux humides se caractérisent par la présence, permanente ou temporaire, en surface ou à faible profondeur dans le sol, d’eau stagnante ou courante, douce, saumâtre ou salée. […] Au Québec, les milieux humides incluent notamment les eaux peu profondes (< 2 m), marais, marécages et tourbières. Ils peuvent être en lien direct ou non au réseau hydrographique de surface. » Pour une définition complète cliquez ici.

Au Québec, les milieux humides occupent plus ou moins 17 millions d’hectares ou 170 000 km², soit environ 10 % de l’ensemble du territoire québécois.

La végétation de ces écosystèmes participe aussi à la réduction des dégâts causés par les crues printanières, ajoute la professeure.

« La végétation, ça va réduire la vélocité des crues. En 2011, lors de la grosse inondation le long du Richelieu, c’était problématique parce qu’il y avait beaucoup de vent, et les vagues frappaient les solages des maisons. Mais quand il y a des milieux humides, les vagues sont moins importantes grâce à la végétation donc les dommages causés sont moins grands ».

L’augmentation des mesures de protection de ces zones permettrait donc non seulement de solidifier certains écosystèmes nécessaires à la survie de plusieurs espèces, en plus de réduire l’occurrence des drames humains[1]et pertes financières[2] causés par les inondations. D’autant plus que les changements climatiques auront pour effet d’augmenter l’intensité et la récurrence des inondations, indique Ouranos.

« Si on protège les milieux humides qui sont près des rivières, d’emblée on va se construire plus loin des rivières. Si on regarde les milieux humides, souvent ça correspond à la zone d’inondation. On va construire plus loin, donc les risques seront plus faibles », indique la professeure*.

Le gouvernement en marche

Mme Pellerin est la co-autrice, avec la spécialiste Monique Poulin de l’ULaval, du rapport intitulé Situation des milieux humides au Québec (2013), lequel déplorait qu’entre 2006 et 2010, la réglementation gouvernementale permettant d’octroyer des permis à des promoteurs, à condition de restaurer certains milieux, avait mené à la restauration de seulement 15 hectares, portant la perte nette à 99 %.

Le rapport recommandait la mise en place d’une réglementation visant zéro perte nette, ce qui a été fait en 2017 lorsque le gouvernement a adopté la Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques, quelques semaines après de nouveaux épisodes d’inondation.

Cette loi vise qu’il n’y ait « aucune perte nette » de milieux humide : alors qu’auparavant, on demandait aux promoteurs de compenser pour la perturbation de ces milieux, c’est désormais au gouvernement de gérer un programme de conservation en utilisant l’argent versé par les promoteurs. La loi devra toutefois être accompagnée par une réforme de la planification territoriale, afin de réellement atténuer les risques d’inondation et d’assurer que le développement du territoire se fasse dans l’esprit de la loi.

À ce jour, aucune municipalité n’est dotée d’un plan de protection des milieux humides, a fait savoir le Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques à GaïaPresse par courriel. Les municipalités ont jusqu’en 2022 pour mettre sur pied de tels plans.

C’est donc dire qu’en attendant, les administrations locales et régionales fonctionnent au cas par cas, en attribuant ou non des permis aux promoteurs de projets immobiliers selon ce que permettent plusieurs lois portant sur l’aménagement urbain du territoire.

Contourner le problème avec les digues

À l’heure actuelle, afin de bénéficier des revenus des taxes foncières et faire bénéficier les résidents de milieux de vie paisibles au bord de l’eau, de nombreuses municipalités ont recours à la construction de digues. Mais ces dernières ont pour effet de détourner le courant de l’eau, ce qui ne fait que « déplacer le problème », affirme Stéphanie Pellerin. Les écosystèmes qui étaient autrefois résilients aux inondations se transforment en milieux secs, et l’eau qui est détournée cause l’érosion de berges — et l’augmentation des risques — ailleurs.

Par ailleurs, les digues ne sont pas toujours entièrement efficaces pour contrer les aléas du climat. Pensons par exemple aux dégâts dans la municipalité de Sainte-Marthe-sur-le-Lac, sur le bord du Lac des Deux-Montagnes, où 800 résidences ont été inondées lorsque la digue a cédé au mois d’avril dernier.

De nombreux experts et expertes réclament donc la révision des cartes des zones inondables, certain.e.s exigeant que les digues ne soit pas prises en compte dans la désignation des zones, comme c’est le cas en France. La Communauté métropolitaine de Montréal procède actuellement à la révision de ces cartes, qui pourrait causer de nombreux changements à l’aménagement du territoire des municipalités touchées, dont Ste-Marthe-sur-le-Lac.

En plus de la révision des cartes, de nombreuses études portant sur les milieux humides et les inondations sont en cours, notamment au sein du Réseau Inondations intersectoriel du Québec (RIISQ).

*Avec ses collègues Monique Poulin (ULaval) et Alain Rousseau (INRS), Stéphanie Pellerin participe actuellement à un projet en collaboration avec Ouranos, portant sur la capacité des milieux humides à gérer les eaux pluviales dans le contexte des changements climatiques.

[1]Selon Urgence Québec, en date du 22 mai, 4 267 résidences avaient été inondées et 7 097 personnes évacuées à l’échelle de la province. 

 [2] Le gouvernement du Québec évaluait en 2015 le coût annuel moyen des inondations à 70 M$. Par ailleurs, « au terme de la période considérée (2015‐2065), le coût cumulatif actualisé des inondations sans les impacts des changements climatiques atteindra 1 578 M$ », indique un rapport gouvernemental.

 

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