Investissement responsable : du dialogue au désinvestissement    

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Un article de la série : « Tout ce que vous voulez savoir sur l’investissement responsable »

Par Julie Bernard, candidate au doctorat en management à l’Université Laval, pour GaïaPresse

Les différents investisseurs qui s’inscrivent dans le courant de l’investissement responsable ont souvent recours à différentes stratégies. Les stratégies utilisées en investissement responsable sont : 1) les filtres, qui consistent à la sélection des titres inclus ou non dans le portefeuille comme l’exclusion de certains secteurs 2) l’investissement à impact qui consiste en des investissements dans des entreprises ou des gens avec un impact favorable sur la communauté et sur l’environnement ; 3) l’engagement actionnarial, qui sera le sujet de cet article aujourd’hui.  

L’engagement actionnarial, qui est un type de stratégie de l’investissement responsable, s’adresse plus particulièrement aux entreprises cotées en bourse. Les investisseurs institutionnels y jouent un rôle prépondérant de par leur accès aux entreprises via l’importance de leur capital. Les investisseurs institutionnels1 sont, entre autres, les banques et autres institutions de dépôt; les régimes de pension et les caisses de retraite; les compagnies d’assurances ; et les sociétés d’investissement (par exemple, via les fonds mutuels). Les gestionnaires de portefeuilles sont souvent identifiés comme ayant un rôle important à jouer puisque leur spécialité est la gestion de fonds investis par les différents investisseurs institutionnels précités. 

Parmi les stratégies d’engagement actionnarial, on retrouve le dialogue, les propositions d’actionnaires, le vote par procuration et le désinvestissement. Ensemble, ils peuvent représenter, d’une certaine façon, un cycle.   

Elles peuvent cependant être utilisées de manière indépendante. Certaines firmes, par exemple, font uniquement du vote par procuration. Elles peuvent aussi être utilisées de manière concomitante. Il est possible d’être en dialogue sur la divulgation d’enjeux sociaux comme le travail des enfants et déposer une proposition d’actionnaires afin de donner du poids et de démontrer tout le sérieux que l’investisseur porte à l’enjeu. C’est bien possible que le tout soit encore un peu flou, c’est pour cette raison que nous décortiquerons les différentes stratégies une par une. À la fin de l’article, vous y trouverez des liens pour chacune des stratégies si vous désirez explorer un peu plus en profondeur le sujet.  Allons-y!  

Dialogue 

Le dialogue est une stratégie qui se concentre sur des échanges entre des investisseurs responsables et le conseil d’administration, la haute direction ou des gestionnaires d’entreprises. Par le biais de lettres et de rencontres, les investisseurs tentent de discuter, de sensibiliser et d’engager les entreprises vers des changements en lien avec des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Parfois, le dialogue permet des changements de la part de l’entreprise. Lorsqu’il est impossible d’arriver à un consensus ou lorsque le dialogue est dans une impasse, les investisseurs peuvent déposer une proposition d’actionnaires et la soumettre au vote lors de l’assemblée générale annuelle (AGA) des actionnaires.  

 Le dialogue se déroule souvent derrière les rideaux. Il est donc plus difficile de trouver des exemples, sauf si certains divulguent publiquement leurs dialogues en cours. L’Interfaith Centre for Corporate Responsibility (ICCR) est connu pour ses nombreux dialogues avec des entreprises américaines. Dans les années 2000, ce regroupement religieux a eu de nombreuses phases de dialogues avec des producteurs automobiles (par exemple Ford et General Motors) en ce qui concerne des enjeux en lien avec les changements climatiques2. De côté du Québec, le Regroupement pour la Responsabilité Sociale des entreprises (RRSE) a engagé le dialogue avec des compagnies aériens, entre autres Air Transat, afin de mettre en place un système qui sensibilise les passagers aux tourismes sexuels, principalement lors des vols en direct de destinations phares de ce genre de tourisme.  Bien que ces deux exemples aient été des succès, les dialogues ne se terminent pas toujours de cette façon. Que faire lors d’une impasse dans le dialogue? 

Propositions d’actionnaires 

Bien que les propositions d’actionnaires ne soient pas toujours le résultat d’une impasse dans le dialogue, elles représentent un mécanisme important pour faire la promotion d’enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) lors des AGA d’entreprises. Afin de déposer une proposition des actionnaires, les investisseurs institutionnels doivent respecter la date limite de dépôt des propositions. La proposition d’actionnaires se trouve à être proposition formelle qui sera soumis au vote de tous les actionnaires. 

Le Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC), un acteur important dans le paysage de l’investissement responsable au Québec, présente chaque année un rapport dans lequel sont incluses toutes propositions d’actionnaires que le groupe a déposées. En 2019, le groupe a principalement visé les sept grandes banques canadiennes (Banque Nationale du Canada (BNC)Banque Royale du Canada (RBC), Banque canadienne impériale de commerce (CIBC), Banque Toronto-Dominion (TD), Banque de la Nouvelle-Écosse (Scotia), Banque de Montréal (BMO), Banque Laurentienne du Canada). D’autres compagnies présentes sur le territoire canadien ou québécois comme SNC-Lavalin, Metro, Cascades, Power Corporation, etc., sont aussi parfois visées.  

Voici donc un exemple de proposition d’actionnaire. Le MÉDAC a, entre autres, déposé une proposition en lien avec l’intégration de critère ESG dans la rémunération des dirigeants. Le groupe propose que « le comité de rémunération dépose, dans le compte-rendu de ses activités annuelles, un rapport sur l’importance qu’il accorde à l’intégration des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance dans l’évaluation de la performance des hauts dirigeants et dans la fixation de leur rémunération incitative. » Ils ont aussi déposé des propositions en lien les changements climatiques et mesures prises afin d’appuyer la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. 

Plusieurs autres regroupements présentent chaque année des différentes propositions d’actionnaires. Vous pouvez explorer un peu plus le sujet avec les liens fournis en pas de la page si jamais vous voulez en savoir plus.  

Que se passe-t-il à la suite d’un dépôt de proposition d’actionnaires? 

Le vote par procuration 

Déposer une proposition d’actionnaire est un pas dans la promotion de certains enjeux ESG, mais il aussi faut mobiliser les actionnaires à voter en faveur de la proposition à l’assemblée générale annuelle des actionnaires… sauf si les investisseurs et les entreprises ont trouvé consensus et retirent la proposition d’actionnaires. Avant d’aller plus loin dans cette stratégie, il est important de comprendre qui vote.   

Qui vote?  

Alors, est-ce que tous les actionnaires ont un droit de vote? Plusieurs pensent que le droit de vote corporatif est assez similaire au droit de vote lors d’élection de députés. Ce n’est cependant pas aussi simple. La structure du capital-actions et actionnaire détermine qui vote ou non lors des AGA3 Par exemple, Bombardier a deux catégories d’actions. La classe A qui pour chaque action détient 10 votes, nommé action multivotante4. La classe B, une action, un vote. La famille Beaudoin-Bombardier détient donc 53,2% des votes5 grâce à un mélange d’actions de classe A et B. Depuis 2009, Facebook a une structure actionnariale assez similaire avec des actions multivotantes. À la différence de Bombardier, Facebook a aussi une catégorie d’action non votante, c’est-à-dire sans droit de vote.  

Maintenant que l’on comprend un peu mieux que les dirigeants détiennent parfois la balance du pouvoir, on constate qu’il peut être parfois difficile d’obtenir un vote à majorité pour des propositions d’actionnaires. Bien évidemment, cela ne veut pas dire que ce n’est pas possible. Le MÉDAC publie aussi le suivi des votes (ici6). Ainsi le vote par procuration permet de supporter les différentes propositions d’actionnaires, mais il permet aussi aux actionnaires de se prononcer sur la rémunération des dirigeants, les administrateurs, l’auditeur ainsi que sur certaines questions en lien avec le capital. Les actionnaires peuvent de cette façon se prononcer contre certaines rémunérations (nous pourrions prendre Bombardier en exemple) et pousser la candidature de certains candidats au poste d’administrateur avec des compétences liées aux enjeux ESG.   

Le désinvestissement 

Lorsqu’on sent que ni les dialogues ni les propositions d’actionnaires ne peuvent avoir d’influence sur les entreprises, certains songent au désinvestissement, c’est-à-dire retirer tout son capital d’une industrie, d’une région géographique ou de certains secteurs à risque. Pour d’autres, il s’agit aussi d’un moyen d’envoyer un signal fort qu’il est temps que les choses changent. Ce ne sont pas tous les acteurs du milieu de l’investissement responsable qui sont nécessairement en accord avec cette stratégie. Désinvestir tout son capital veut aussi dire, d’une certaine façon, perdre sa voix. En désinvestissant, c’est plus difficile d’entrer en dialogue et surtout, impossible de déposer des propositions d’actionnaires ou de voter en AGA.  

Le désinvestissement a été particulièrement efficace dans le but de protester contre l’apartheid en Afrique du Sud. Cette stratégie a d’ailleurs connu un retour en force depuis les dernières années en ce qui concerne les énergies fossiles en réponse à la lutte aux changements climatiques. Plusieurs grands fonds se sont engagés à désinvestir leurs actifs, mais combien le feront vraiment? À suivre! 

Évidemment, il y a beaucoup à dire sur chacune des stratégies présentées dans cet article. Elle aurait toutes pu avoir leur propre article. Le but était de vous donner quelques exemples et quelques informations utiles afin que vous soyez un peu plus outillé pour savoir ce qui se passe avec votre argent et pouvoir ainsi poser des questions à votre conseiller financier. 

Ne vous inquiétez pas, il reste encore un article à cette série dans lequel nous aborderons l’investissement responsable un peu plus concrètement dans un contexte canadien et québécois.  

À bientôt! 

Pour plus d’information sur les dialogues : 

Régime de retraite des enseignants et des enseignantes de l’Ontario

Rapport des enjeux du GIR, voir Annexe A et B

Le site Éthiquette fournit plusieurs exemples intéressants 

Plus d’information sur les propositions d’actionnaires :  

ICCR

MÉDAC

Pour plus d’information sur le vote par procuration : 

SEDAR  

EDGAR  

MÉDAC 

Exemple de guide de vote par procuration : Desjardins

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Pour en savoir plus sur le désinvestissement : 

350.org 

DivestInvest 

FossilFree

 

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