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Quel futur pour l’énergie solaire ?

Quel futur pour l’énergie solaire ?

14.09.2016, par
Energie solaire, photovoltaique
Test de performance et d’efficacité de modules solaires à couches minces dans une usine de fabrication de panneaux photovoltaïques, à Cologne, en Allemagne.
Entre espoirs, déceptions et avancées spectaculaires, la recherche autour de l’énergie solaire photovoltaïque avance à grands pas. Tour d’horizon des tendances les plus prometteuses avec Daniel Lincot et Pere Roca i Cabarrocas, directeurs de recherche au CNRS et spécialistes du photovoltaïque, à relire dans cet entretien qui fait partie de nos dix articles les plus lus de l'année écoulée.

L’effet photovoltaïque, découvert au XIXe siècle, repose en partie sur les propriétés des matériaux semi-conducteurs présents dans les panneaux solaires. Comment travaillez-vous à leur amélioration ?
Daniel Lincot1 :
La recherche sur l’énergie solaire photovoltaïque est un travail d’équipe. L’objectif est de fabriquer des cellules solaires plus efficaces, qui convertissent mieux la lumière du soleil en électricité, et à moindre coût. Pour augmenter le rendement des cellules photovoltaïques, il faut améliorer les propriétés semi-conductrices de chacun des matériaux présents dans la cellule, comme le silicium, mais aussi leurs combinaisons. Une cellule photovoltaïque est un peu comme une équipe de foot ! Elle doit former un tout : il y a l’individuel et le collectif. Les matériaux doivent être meilleurs à titres personnels, mais aussi capables de se faire passer des électrons entre eux.

Pere Roca i Cabarrocas2 : Lorsqu’on cherche à améliorer le rendement ou le coût, le moindre petit détail compte. La recherche sur le solaire photovoltaïque est vraiment une branche ouverte et dynamique, qui intègre la physique, l’électronique, la chimie, la science des matériaux et l’optique. Pour améliorer les cellules solaires, il nous faut cette pluridisciplinarité.
 
D. L. : Et la recherche avance vite. Quand les premières cellules au silicium ont été mises au point dans les années 1950, leur rendement est passé, en quelques années, de presque 0 % à plus de 10 %. Aujourd’hui, théoriquement, on estime qu’il pourrait un jour atteindre les 85 % ! Cela prouve que, en termes de photovoltaïque, on en a encore sous le pied…
 
Chaque jour, le soleil fourni à la Terre 3 kilowattheures par mètre carré en moyenne. Cette énergie semble inépuisable. Alors quels sont les verrous qui limitent encore son développement à large échelle ?
P. R. C. : Contrairement à ce que l’on pense, l’énergie solaire est déjà viable et compétitive. En France, EDF pousse ses consommateurs à devenir eux-mêmes producteurs d’électricité solaire. Et, dans beaucoup d’autres pays, le solaire est compétitif par rapport aux autres énergies.

D. L. : Les verrous sont pratiquement tous levés à l’échelle mondiale. Rien qu’avec Solar Impulse, on a montré que l’on pouvait alterner jour et nuit, et résoudre certains problèmes de stockage d’énergie. Tous ces verrous se lèvent simplement par la démonstration. Le seul obstacle est qu’il faudrait aller encore plus loin… En France, nous sommes encore confrontés à des verrous économiques, politiques et culturels.

Contrairement
à ce que l’on pense,
l’énergie solaire
est déjà viable
et compétitive.

P. R. C. : Solar Impulse a permis d’illustrer le fait qu’il y a des solutions et que, avec une gestion intelligente de l’énergie, on peut y arriver. Il y a des exemples encore plus convaincants, mais moins médiatiques, qui prouvent le potentiel du photovoltaïque. Avec le solaire, on peut imaginer créer de la richesse dans les pays du Sud, qui vendraient leur énergie solaire. C’est une utopie qui devient réalisable.

Le silicium, utilisé dès les années 1960 pour alimenter les satellites spatiaux, est encore aujourd’hui le matériau phare des panneaux solaires. Pourquoi n’est-il toujours pas parfait ?
D. L. : La filière silicium représente 90 % du marché de l’énergie solaire. Son principe est simple. Il consiste à découper des lingots de silicium en plaquettes pour former ensuite des cellules photovoltaïques capables de transformer l’énergie du soleil en électricité. Le problème est que le silicium a besoin de beaucoup d’épaisseur pour absorber totalement la lumière du soleil.
 
P. R. C. : Le rendement record du silicium est de 26,33 % en laboratoire, il faut faire plus ! On sait que l’on peut aller au delà de 60 % de rendement avec des concepts avancés comme les multijonctions FermerEmpilement de plusieurs semiconducteurs.. En tout cas, aucun principe de la physique ne nous l’empêche. Mieux on piège les photons, meilleur le rendement est.

Plaquette de silicium, énergie solaire, photovoltaique
Plaquette de silicium qui, après différentes opérations, sera transformée en cellule photovoltaïque.
Plaquette de silicium, énergie solaire, photovoltaique
Plaquette de silicium qui, après différentes opérations, sera transformée en cellule photovoltaïque.

Pour améliorer le rendement des panneaux solaires, faut-il donc envisager des matériaux plus fins ?
D. L. : Ce n’est pas vraiment une question de rendement mais plutôt de procédés et de coût. C’est tout l’enjeu de la filière dite des couches minces, qui représente environ 10 % de part de marché. Elle est composée de trois types de matériaux semi-conducteurs : le tellurure de cadmium, le Cigs3 et le silicium en couches minces. Cela consiste à recouvrir un support d’une fine couche d’un de ces matériaux. Les cellules photovoltaïques deviennent ainsi 100 fois plus fines, et donc potentiellement moins chères.

P. R. C. : La filière des couches minces silicium est vraiment très encourageante. Les modules, sur les panneaux solaires, atteignent déjà entre 12 et 15 % de rendement.
 
D. L. : D’ailleurs, on trouve des couches minces partout dans la vie de tous les jours. Par exemple, l’intérieur des paquets de chips est recouvert d’une couche mince d’aluminium, qui protège les aliments en empêchant l’oxygène de rentrer.
 
Au-delà de la question du rendement, votre objectif n’est-il pas également de prendre en compte le coût pour rendre l’énergie solaire accessible à tous ?
P. R. C. : L’objectif de la recherche sur le solaire est de faire mieux et moins cher !
 
D. L. : Notre but est de fabriquer de l’électricité renouvelable à bas prix. Tout le monde ne peut pas se permettre la technologie de Solar Impulse ! Mais le prix d’aujourd’hui ne sera pas forcement celui de demain. Les premiers écrans plats aussi coûtaient extrêmement cher au début. Aujourd’hui, tout le monde en a. Il y a quelques années, les modules photovoltaïques étaient de cinq à dix fois plus chers.

En termes de
solaire, on essaie
toujours
de savoir quel
matériau va
gagner la course,
mais cela dépend
beaucoup
des conditions
d’utilisation.

Certaines filières émergentes vous paraissent-elles plus prometteuses que d’autres ?
D. L. : À côté du silicium et des couches minces, il existe d’autres filières, moins développées, plus émergentes, comme le photovoltaïque à concentration. Les cellules à multijonctions utilisées sont couplées à des miroirs ou à des lentilles qui agissent comme des loupes qui peuvent alors concentrer l’énergie sur les cellules, en suivant le soleil. Le rendement record des cellules à concentration atteint 46 %. Mais leur coût de fabrication reste encore très élevé…

P. R. C. : Le photovoltaïque à concentration produit plus de watts, avec beaucoup moins de surface de cellule, mais il ne peut utiliser que le rayonnement solaire « direct », et ne fonctionne donc qu’en l'absence de nuages. En termes de solaire, on essaie toujours de savoir quel matériau va gagner la course, mais cela dépend beaucoup des conditions d’utilisation. Selon qu’il fait froid, chaud ou encore humide, chaque filière aura son efficacité. Finalement, je pense que l’idéal serait de combiner les atouts de chaque matériau.

Actuellement, le monde scientifique s’enthousiasme sur les pérovskites, un matériau utilisé en photovoltaïque depuis 2012 et aux rendements presque incroyables. Est-ce, selon vous, un réel tournant pour l’énergie solaire ?
P. R. C. : En effet, aujourd’hui la mode est aux pérovskites, un type de cellules solaires hybrides constituées d’un mélange de matériaux organiques et inorganiques. Néanmoins, il reste encore de nombreux points à éclaircir sur ce sujet, en particulier en termes de stabilité des cellules, à haute température par exemple. Pour l’instant, les pérovskites n’ont pas encore fait leurs preuves au niveau industriel.
 
D. L. : C’est une révolution dans le domaine. Même si les questions de stabilité et de reproductibilité se posent encore, les pérovskites ouvrent une nouvelle fenêtre pour le photovoltaïque. Actuellement, on imagine coupler ces pérovskites avec des cellules déjà existantes à base de silicium ou de Cigs. Ce sont les tandems (des empilements de deux cellules élémentaires) qui pourraient atteindre théoriquement les 40 % de rendement. C’est la raison pour laquelle l’un des projets phares de l’Institut photovoltaïque d’Île-de-France (IPVF), dans lequel nous sommes tous les deux engagés, impliquerait la réalisation de cellules tandem.

Pérovskite, énergie solaire, photovoltaique
Visualisation de joints de grains au sein d’une pérovskite hybride par microscopie optique polarisée.
Pérovskite, énergie solaire, photovoltaique
Visualisation de joints de grains au sein d’une pérovskite hybride par microscopie optique polarisée.

Certaines pistes de recherche ont-elles été abandonnées au fil du temps ?
D. L. : De fait oui, il y a des filières presque éteintes. Il y a quelques années, on a cru, par exemple, au sulfure de cuivre, car il est abondant dans la nature, non toxique et absorbe la lumière de manière remarquable. Dans les années 1980, c’était le Graal. Sauf que les cellules n’étaient pas assez stables et se dégradaient en quelques jours. 

P. R. C. : D’autres domaines sont un peu en souffrance, comme celui des cellules photovoltaïques organiques. Il y a eu un boom dans les années 2000, qui est rapidement retombé. En réalité, les chercheurs qui travaillaient dans cette branche l’ont abandonnée au profit des pérovskites. C’est vrai que certaines cellules organiques ont encore des problèmes de stabilité, de rendement et de coût. Mais ce n’est pas une filière à écarter, car elle intéresse des marchés bien spécifiques.

Le recyclage et la durée de vie des cellules photovoltaïques font-ils également partie du cahier des charges de la recherche sur le solaire ?
D. L. : C’est très important. Nous analysons le cycle de vie des cellules, de la mine jusqu’au recyclage. On table sur des durées de vie de vingt à trente ans, voire plus. Donc on pourrait même envisager de léguer des panneaux solaires en héritage !
 
P. R. C. : Le marché du recyclage se développe très bien. Le « temps de retour énergétique » d’une cellule est de seulement un ou deux ans. C’est-à-dire que, en ce laps de temps, vous aurez produit la même quantité d’énergie que celle que vous aurez dépensée pour fabriquer la cellule. Vous aurez « remboursé » l’énergie. Les vingt ou trente ans de durée de vie après, c’est du bonus !
 
Vous êtes tous les deux engagés dans l’IPVF, qui regroupera plus de 200 chercheurs autour de l’énergie solaire. Quelles sont ses ambitions pour l’avenir ?
P. R. C. : La recherche sur le solaire photovoltaïque en France est parmi les meilleures du monde, mais nous n’avons que peu de visibilité. L’IPVF nous apporte un coup de projecteur. Et il permet également de rassembler les différentes filières : couches minces, silicium, pérovskites…
 
D. L. : La création de l’IPVF permet de préparer le futur pour notre pays. Nous pensons que la  décennie clé est 2020-2030. Ce seront les années du solaire, le basculement. On estime que, à cette période, la capacité de production d’électricité solaire dépassera le térawatt ! L’objectif phare « 30/30/30 » de l’IPVF serait d’arriver à 30 % de rendement à 30 centimes de dollars le watt en 2030. Pour cela, cette structure offre des possibilités remarquables de synergies public-privé, en associant à la fois des partenaires académiques comme le CNRS ou l’École polytechnique, des grands industriels, comme EDF, Total et Air Liquide, mais aussi des plus petits comme Horiba Jobin Yvon ou Riber. Le CNRS est au cœur de cette construction, c’est une grande fierté pour nous et aussi une grande responsabilité. 

Energie solaire, photovoltaique
Panneaux solaires recouvrant des toits de maisons dans le quartier de Deer Valley, à Phoenix, en Arizona.
Energie solaire, photovoltaique
Panneaux solaires recouvrant des toits de maisons dans le quartier de Deer Valley, à Phoenix, en Arizona.

Aujourd’hui, l’énergie solaire représente seulement 1 % de l’énergie produite dans le monde. À terme, le solaire réussira-t-il à surpasser les énergies fossiles ?
P. R. C. : Bien sûr que oui ! Certes, le charbon paraît moins cher, mais c'est parce qu’on ne prend pas en compte tous les coûts à long terme sur la santé et l’environnement. Le solaire est déjà largement compétitif dans de nombreuses régions du monde, comme l’Arizona. L’avenir n’est pas dans l’énergie fossile, même si la transition ne se fera évidemment pas l’année prochaine. L’énergie solaire permet aussi bien de charger la batterie d'un portable que de fournir l’énergie nécessaire à un village entier, elle est extrêmement modulable. Et le solaire est une ressource illimitée et bon marché.

D. L. : Dans une vingtaine d’années, le solaire supplantera très probablement les filières énergétiques classiques. Aujourd’hui déjà, le photovoltaïque approche dans certains pays les 10 % de fourniture d’électricité. Nous allons apprendre à adapter notre production d’énergie aux saisons, en favorisant par exemple le solaire l’été et l’éolien ou l’hydraulique l’hiver. Le système s’équilibre finalement… Lorsque l’on travaille sur l’énergie solaire, on est forcément guidé par l’idée que c’est un bien pour l’humanité. 

 
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Notes
  • 1. Directeur de l’Institut de recherche et développement sur l’énergie photovoltaïque (CNRS/EDF/Chimie ParisTech) et directeur scientifique de l’Institut photovoltaïque d’Île-de-France.
  • 2. Directeur du Laboratoire de physique des interfaces et des couches minces (CNRS/École polytechnique) et directeur de la Fédération de recherche photovoltaïque.
  • 3. Diséléniure de cuivre, gallium et indium, avec un rendement record en couches minces à 22,6 %.

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