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Les droits de la nature: un nouveau paradigme pour la protection de l'environnement


Reconnaître la nature comme étant une partie prenante légale avec des droits inaliénables dans les procédures de droit de l’environnement est un puissant contrepoids à la dictature corporative, écrit Mumta Ito. Cela permet aux gens et aux gouvernements de défendre la nature – le fondement de notre économie et de nos vies. Et cela contraste avec les approches faibles basées sur la financiarisation et la marchandisation de la nature, qui peuvent être tordues pour justifier plus de destruction.

Les droits de la nature et la philosophie sous-jacente de la Jurisprudence de la Terre deviennent un fait à mesure que de plus en plus de pays adoptent ces droits aux niveaux national et local ainsi que dans des décisions de justice.

Au cours du dernier mois, les fleuves Whanganui et Gange et la rivière Yamuna ont fait les manchettes en tant que premiers cours d'eau au monde à être reconnus comme ayant une personnalité et des droits légaux.

En Europe cependant, les droits de la nature sont encore à venir. Mais avec une conférence récente au Parlement européen, l’Union Européenne (UE) rattrape la tendance internationale et commence à se pencher sur les possibilités d’adoption de ces droits.

La faille qui nourrit le paradigme économique actuel

Il y a une faille profonde dans notre système juridique qui traite des êtres vivants comme des objets ou propriétés – tout en traitant les sociétés (qui sont une forme de propriété) comme des sujets de droit ayant une personnalité et des droits légaux. Cela alimente un paradigme économique basé sur une croissance illimitée qui s’accompagne de la destruction de la nature – qui ne profite finalement à personne.

Au cœur de tout cela est le fait de valoriser la nature selon son utilité pour les humains - en termes de ressources, biens ou capital naturel - plutôt que de la considérer comme la source de la vie. Le Conseil de l’UE s’est engagé à œuvrer pour un découplage absolu de la croissance et de la destruction de la nature.

Pour que cela se produise réellement – et pas seulement en tant qu’exercice comptable – nous avons besoin de lois qui reconnaissent la valeur intrinsèque de la nature. Le moyen de le faire est via la personnalité juridique, en reconnaissant les droits que la nature a déjà et un cadre juridique aligné avec l’écologie pour soutenir la vie.

Sans nature, pas d’humains ni d’économie

Le diagramme de gauche de la figure ci-dessous représente le modèle habituel de durabilité. Le problème avec ce modèle est qu’il suppose que chaque cercle peut exister indépendamment des autres. En réalité, le seul qui peut exister sans les autres est la nature.

Le diagramme de droite, qui représente une hiérarchie naturelle des systèmes, est donc plus précis car sans nature, il n’y a pas d’humains, et sans humains, il n’y pas d’économie.

  Une hiérarchie naturelle des droits : 1- droits de la nature,  2- droits de l’homme, 3- droits des entreprises

Cela conduit ensuite à une hiérarchie naturelle des droits dans laquelle les droits de la nature sont les droits les plus fondamentaux parce que notre vie en dépend, suivis des droits de l’homme en tant que sous-système des droits de la nature, et ensuite des droits fonciers ou corporatifs en tant que sous-système des droits de l’homme.
Dans le modèle de droite, les droits sont au service les uns des autres plutôt qu’en conflit – travaillant en synergie pour protéger l’intégrité de l’ensemble. Dans ce modèle, les activités humaines doivent être bénéfiques pour les humains ainsi que pour la nature – ou ne sont pas viables à long terme.

Les Droits de la Nature et la philosophie sous-jacente de la Jurisprudence de la Terre forment le cadre juridique fondamental pour que le découplage de la croissance et de la destruction de la nature se produise.

Contrebalancer le pouvoir des entreprises

Cela contraste totalement avec ce que l’on observe actuellement dans le monde où les droits des entreprises et les droits de l’homme sont en conflit, alors que les droits de la nature sont complètement laissés pour compte. Les droits sont un outil pour résoudre les déséquilibres de pouvoir.

Il existe présentement un déséquilibre entre les grandes sociétés et tous les autres. La tendance actuelle pour les entreprises est de poursuivre les gouvernements qui protègent leur peuple ou la nature – comme le cas Bayer Syngenta contre l’interdiction par l’Union européenne de trois pesticides néonicotinoïdes liés à la mort de millions d’abeilles.

Et tandis que des grands accords commerciaux multilatéraux tels que le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) et l’Accord de partenariat transpacifique (TPP) sont retardés par l’élection du Président Trump, d’autres, comme l’Accord économique et commercial global (CETA), vont de l’avant et de nouveaux accords commerciaux bilatéraux sont constamment négociés.

Nous assistons également à la financiarisation de la nature – la monétisation d’écosystèmes par la création de titres de propriété basés sur diverses fonctions de la nature pour former une base de flux de trésorerie qui peuvent être échangés sur les marchés boursiers. Ceci est couplé à des méthodologies erronées – telles que la compensation de la biodiversité qui suppose que des écosystèmes vivants interconnectés sont interchangeables comme des billets de banque – qui pourraient mener à un suicide écologique.

Ces tendances ont le potentiel d’accélérer considérablement la destruction. Faire de la nature une partie prenante à part entière constitue un puissant contrepoids à la dictature corporative. Cela permet aux gens et aux gouvernements de défendre la nature - le fondement de notre économie et de nos vies – et de protéger les générations futures par une structure juridique différente.

Le paradigme économique actuel: un paradigme obsolète

Nos lois sont basées sur un paradigme obsolète du 17ième siècle qui est anthropocentrique, mécaniste et antagoniste, et qui sépare les humains de la nature.

Le droit régit les relations, mais seulement entre des sujets de la loi. Parce que la nature est traitée comme un objet, le droit ne reconnaît pas de relation entre nous et le reste de la nature. Cela conduit non seulement à une attitude de séparation et de déconnexion, mais conduit également à plusieurs problèmes pratiques qui rendent presqu’impossible la protection de la nature par le droit.

Le droit de l’environnement est défaillant parce qu’il est issu du paradigme qui a créé le problème. Il est conçu pour gérer les externalités du statut quo sans s’attaquer aux causes profondes telles que l’orientation fondamentale de notre système économique.

Tel quel, le droit ne peut que ralentir le taux de dégradation – il ne peut pas l’arrêter ni l’inverser.

Cependant, la dérèglementation et les solutions commerciales ne sont pas la solution. Nous avons besoin d’une transformation systémique - afin que nos lois encouragent une activité humaine qui améliore la résilience de la Terre. Le droit de l'environnement évolue présentement pour montrer la voie en ce sens.

Un mouvement mondial qui prend de l’ampleur

Le nouveau paradigme représenté par les droits de la nature a été reconnu par la loi aux niveaux national, local et judiciaire en Bolivie, en Équateur, en Nouvelle Zélande, au Mexique, Brésil, en Inde, en Afrique ainsi qu’aux États-Unis.

Cependant, pour que ces lois soient efficaces, elles doivent être intégrées à tous les domaines de la société, ce qui implique une transition de tous nos systèmes afin d’opérer en harmonie avec la nature. Cela occasionnera d’immenses opportunités pour la créativité et l’innovation, l’amélioration de la santé et du bien-être, ainsi qu’en termes d’emplois – tout ceci afin de créer des économies vivantes au service de la vie.

Alors que l’humanité est confrontée à des problèmes environnementaux mondiaux sans précédent, des experts, des organisations non gouvernementales (ONG) et des institutions environnementales travaillent depuis des années pour développer des solutions pour protéger les écosystèmes contre les dommages causés par le développement économique.

« Les indicateurs actuels, axés sur la croissance économique, ne révèlent pas à quel point notre développement est réellement durable » a déclaré Luc Bas, directeur régional européen de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN),  lors de la conférence de Nature’s Rights. «Intégrer la valeur du capital naturel dans la prise de décision économique est une façon d’améliorer cela, mais  pour éviter une  marchandisation de la nature, des approches telles que les droits de la nature doivent faire partie du débat ».

C’est pourquoi l’UICN, autorité mondiale de premier plan en matière de conservation de la nature, a adopté les droits de la nature dans ses résolutions et son programme de travail 2017-2020. En outre, les Nations Unies ont initié « Harmonie avec la nature » qui regroupe plus de 200 experts consacrés à la promotion de la Jurisprudence de la Terre en tant que solution systémique pour soutenir la transition vers la durabilité.

Nous parlons de durabilité depuis des décennies - mais il n’y a pas de cadre juridique pour atteindre cette durabilité. Les droits de la nature – intégrés à tous les domaines de la société -  créent ce cadre juridique indispensable.

Initiative citoyenne européenne

C’est pourquoi l’organisation Nature’s Rights propose une Initiative citoyenne européenne (ICE) – un mécanisme démocratique ouvert aux citoyens de l’UE – pour proposer les droits de la nature au programme législatif de l’UE.

À cette fin, ils ont préparé un projet de directive européenne qui a été examiné par des experts du monde entier, y compris les experts de « Harmonie avec la nature » des Nations Unies et les experts de l’UICN. L’ICE consiste à recueillir un million de déclarations de soutien dans au moins sept états membres.

Cela exigera une collaboration massive entre les institutions, les experts, les ONG et les gens –  travaillant ensemble de manière pro-active pour soutenir ce changement de paradigme dans le droit – un développement attendu depuis longtemps, comme l’a expliqué Pavel Poc (S&D), co-hôte de la conférence Nature’s Rights, MPE et vice-président du comité environnemental :

« Des décennies de culte de croissance folle nous ont emmenés au bord du ravin. Maintenant il est temps de regarder sous nos pieds et d’arrêter, sinon il ne s’en suivra qu’une chute vertigineuse. Le concept des droits de la nature pourrait être la corde de sécurité avant qu’il ne soit trop tard ».

Une vision pour le futur

Le 7ieme Programme Environnemental définit une vision pour le futur – en 2050 nous vivons bien dans les limites écologiques avec une économie circulaire où rien n’est gaspillé et où la nature est valorisée et restaurée de manière à renforcer notre résilience.

Comme l’a déclaré Hans Bruyninckx, directeur général de l’Agence européenne pour l’environnement, dans son discours d’ouverture devant une salle pleine :

« Les causes du changement climatique sont systémiques : les gains en efficacité énergétique pourraient nous mener jusqu’en 2030 mais pour arriver là où nous devons être d’ici 2050, nous devons envisager des solutions systémiques plus profondes.

Nous croyons que le cadre des droits de la nature sera un puissant allié dans la réalisation de cet  objectif en fournissant un impératif juridique pour la transformation systémique – afin que l’humanité s’épanouisse en harmonie avec la nature pour les générations à venir ».

Traduction libre de l'article de Mumta Ito originalement paru dans The Ecologist en mai 2017.
Publication autorisée par Nature's Rights.

À propos

Mumta Ito est avocate et Fondatrice de l’ONG Nature’s Rights, une jeune organisation internationale à but non lucratif cherchant à établir la personnalité et les droits légaux des écosystèmes et les espèces (lien Facebook).
Madame Ito considère le droit comme un véhicule de transformation sociale dans un paradigme de restauration, de réparation et de guérison.  L’un des principaux défenseurs européens des droits de la nature, elle est également facilitatrice européenne des dialogues d’experts de « Harmonie avec la nature » des Nations Unies et instigatrice de l’Initiative citoyenne européenne pour proposer les droits de la nature au programme législatif européen.
Pour visionner une présentation de Madame Ito sur les droits de la nature dans le cadre d'un TEDx Talk en août 2016, cliquez ici. 

 

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