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Responsabilité sociétale des entreprises : une première prise de parole dans les médias béninois


Catherine Puiseux-Kakpo est directrice Responsabilité sociétale des entreprises (Rse) du groupe TF1 et présidente de l'Ong Agence africaine de développement durable (Agadd), engagée dans la promotion de la Responsabilité sociétale des entreprises (Rse). Dans cette interview, elle définit ce concept encore méconnu du grand public et revient sur ses implications et le rôle à jouer par l’Etat dans ce sens aux fins d’un développement durable.

La Nation : de quoi retourne le concept de RSE ?

Catherine Puiseux-Kakpo : On entend par Rse: Responsabilité sociétale des entreprises. C'est la contribution des entreprises au développement durable. Les entreprises qui s'engagent dans la Rse prennent en compte l'impact qu'elles ont sur l'environnement, mais aussi sur la société dans laquelle elles opèrent. Elles minimisent les conséquences négatives de leurs activités comme l'utilisation de ressources naturelles, l'émission de déchets et de CO2 ou les nuisances pour les populations riveraines. Elles maximisent les impacts positifs qui peuvent aussi devenir des opportunités d'affaires : production d'énergies renouvelables, contribution à une agriculture régénérative, ville durable, mobilité sans pollution… Le volet environnemental est celui auquel on pense en premier lieu, mais la responsabilité sociétale, c'est aussi les bonnes conditions de travail dans l'entreprise, la gouvernance éclairée, la lutte contre la corruption, la qualité des produits et la relation avec les clients, la participation aux activités communautaires... Bref, tout ce qui fait des entreprises des acteurs du monde. La norme ISO 26 000, née en 2010, est celle qui décrit le mieux le cadre systémique de la Rse, qui ne s'oppose pas au business, au contraire.

Dans le contexte africain et notamment béninois, quelles sont les entreprises concernées par cette exigence ?

La Rse est par essence une action volontaire, menée au-delà du cadre légal qui s'impose aux entreprises. Donc, ce n’est pas une exigence formelle. Mener une politique de Rse est un choix de l'entreprise qui y voit son intérêt : meilleure réputation, économie de ressources, relations harmonieuses avec ses parties prenantes, adhésion des collaborateurs, réponse à de nouvelles exigences de la clientèle sur le plan de la qualité et de la santé, innovation, etc. Cela concerne les grandes entreprises mais aussi les Petites et moyennes entreprises. 
En France, ces Pme se mobilisent bien sur cette question et des obligations de reporting Rse pèsent sur les grandes entreprises. Elles doivent aussi être vigilantes dans toute leur chaîne d'approvisionnement. Ce qui signifie qu'elles vont renforcer leurs exigences Rse lors des passations de marchés, notamment avec les fournisseurs qui opèrent dans un cadre légal moins contraignant, comme en Afrique. Ces exigences sont fortes également de la part des bailleurs de fonds de l’aide au développement et d'autres investisseurs institutionnels. 
Au Bénin, les exigences de reporting ne s'appliquent qu'aux filiales de ces sociétés multinationales présentes sur le territoire. Donc, pas d’exigences à proprement parler pour les entreprises locales sur la Rse, mais il ne faut pas oublier que le cadre légal béninois, sur l'environnement par exemple, est riche, et qu'il n'est pas toujours respecté. C’est un point de départ ! Et je constate qu’au Bénin comme ailleurs, les attentes des citoyens consommateurs commencent à se faire savoir via les réseaux sociaux par exemple. La meilleure exigence pour faire évoluer les entreprises vient de leurs clients !

Quel est l'état des lieux de la mise en œuvre de la Rse au Bénin ?


La Rse est embryonnaire au Bénin, comme dans beaucoup de pays africains. Cela dit, le Sénégal a déjà un réseau d’entreprises engagées : l'Initiative Rse Sénégal. Le Maroc également est engagé depuis plus de 10 ans et a créé un label Rse pour les Pme. Le Cameroun a mené des actions de formation en précurseur. L’Afrique du Sud est très avancée. Ce qui existe déjà au Bénin, c’est le premier stade de la Rse qui se rapporte à l’action caritative : aide aux écoles, aux orphelinats, contributions relatives à l’installation de points d’eau ou d’énergie… Ces initiatives sont souvent portées par des fondations d’entreprises, mais aussi par des patrons engagés et attentifs à leur communauté. Ces actions restent indispensables vu l’ampleur des besoins et la faiblesse des services publics. Mais les stades suivants de maturité des politiques de Rse doivent amener les entreprises à se soucier aussi du cœur de leurs activités économiques. C’est là où résident les vrais risques et les opportunités pour l’entreprise. Une étude, menée par l'institut Respeco concernant l'ouverture des pays à la Rse, place le Bénin à la 97e position, soit en milieu de classement. Ce qui est plutôt encourageant.

Y a-t-il possibilité de changer la donne aujourd'hui ?

En tout cas, il faut tout tenter au moment du décollage économique de l’Afrique pour intégrer ces nouvelles pratiques. Le continent est riche de son capital naturel, de sa biodiversité, comme de sa jeunesse. Il faut que l’activité économique s’insère dans cette matière vivante, mais qu’elle ne la consomme pas. Des infrastructures durables, économes en matières premières et en énergie, des produits sains qui contribuent à la santé et au bien-être des populations, des villes propres, un air pur, des activités pourvoyeuses d’emplois dignes… les opérateurs économiques sont des acteurs majeurs du monde auquel nous aspirons. Le Bénin ne fait exception en rien sur les attentes de la population, dont la croissance exponentielle. La forte proportion de jeunes gens doit aussi être prise en compte. La boîte à outils s’est beaucoup développée dans les dernières années pour répondre à ces attentes : économie collaborative, économie circulaire, économie de fonctionnalité, agro-écologie, formidables innovations sociales via le digital… Ces nouveaux modèles économiques sont pensés pour découpler croissance et pression écologique. Les deux jusque-là vont toujours de pair, ce qui nous entraîne vers la catastrophe ! 
Au Bénin, j’ai rencontré des acteurs qui s’engagent déjà pour la promotion de la Rse : le cabinet Mindoh Consulting qui veut aider les entreprises à communiquer sur leurs engagements. Il en réunira certaines le 20 septembre prochain. L’Ong Rse Bénin qui mène de remarquables actions de sensibilisation en direction des entreprises, le réseau des Jardins de l'Espoir, qui regorge de compétences sur l'agro-écologie, des mobilisations citoyennes menées de main de maître comme l’initiative ‘’Sachets Héloué’’, qui lutte contre la prolifération du plastique, etc.

Quelle est l'implication du pouvoir politique dans la Rse ?

Son rôle est important. L’Etat met en place le cadre réglementaire qui s’impose aux entreprises. Il a la capacité de décider d’une fiscalité incitative pour les entreprises qui s’engagent. Il passe des marchés publics qui sont des occasions exceptionnelles de faire évoluer les pratiques des fournisseurs par des exigences dans les cahiers des charges… Concernant le Bénin et les autres pays en développement, le travail d’appropriation des Objectifs de développement durable par le gouvernement a montré que le secteur privé a un rôle crucial à jouer et que la responsabilité sociétale de l’entreprise constitue un élément important de ce rôle. Les Odd et les cibles quantifiées définies et priorisées au Bénin sont des guides qui balisent les actions à mener. L’Etat béninois a d’ailleurs mené une remarquable étude sur l’état des lieux et les conditions d’émergence de la Rse au Bénin qui décrit très bien cette situation. L’implication de toutes les parties de la société, dans une approche plus collaborative, vers ces Odd, est la clé de notre avenir.

Quel appel pourriez-vous lancer aux entreprises d'une part et à l'État d'autre part pour plus d'actions en faveur de l'environnement, souvent exposé aux effets néfastes des entreprises industrielles ?

Les entreprises ont tout à gagner à économiser les ressources naturelles et à préserver l’environnement et la société dans lesquels elles opèrent. D’abord parce que l’impunité en cas de manquement n’a plus droit de cité: l’Agence pour l’Environnement béninoise a interdit d’activité, en juin dernier, l’usine chinoise Yueken Internationale à Logozohè, après une sévère pollution d’un cours d’eau. Mais surtout parce que personne ne sera gagnant à long terme si l’environnement est appauvri, avec une population en mauvaise santé, dans un cadre dégradé… L’activité économique durable est celle dont tout le monde sort gagnant, qu’il soit actionnaire de l’entreprise, salarié, fournisseur, client ou riverain. Je ne minimise pas les difficultés des entreprises dont l’objectif de rentabilité est naturellement premier. Mais je constate partout, et j’en suis heureuse, qu’un mouvement mondial nous montre des entreprises qui s’engagent dans la Rse et qui en tirent profit de différentes façons. 
Les démarches sont progressives, c’est naturel. Avec d’autres acteurs au Bénin, je souhaite encourager et aider les entreprises qui s’engageront : nous réfléchissons à mener des communications et si possible des formations dans les prochains mois. Je pense que les pouvoirs publics seront bienveillants vis-à-vis de cette démarche qui va dans le sens des propositions faites dans l'étude citée plus haut.

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