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Agribashing : ces controverses qui empoisonnent l'agriculture française


Sapin de Noël, betterave, pomme de terre… Mois après mois, de nouvelles campagnes de dénigrement de l’agriculture empoisonnent l’activité des paysans français. La radicalité des arguments écologistes s’appuie souvent sur des réquisitoires à charge, tordant le cou aux vérités scientifiques et aux réalités économiques. En voici trois exemples.

C’est un fait : l’écologie politique a le vent en poupe. Si certains combats environnementaux partent d’un bon sentiment, les arguments laissent trop souvent place à d’intenses campagnes de désinformation dans les médias. Entre avis scientifiques instrumentalisés et opinion publique sensible aux phrases choc, l’agribashing prend de nombreuses formes. Et les premiers à trinquer sont les 450000 exploitants agricoles français.

Sapin de Noël à Bordeaux : une polémique sans queue ni tête

Les controverses arrivent parfois de là où on ne les attend pas. Le 10 septembre dernier, le nouveau maire écologiste de Bordeaux, Pierre Hurmic, lance une petite bombe : dorénavant, la mairie n’installera plus de sapins de Noël car elle est « opposée à la venue d’arbres morts pour décorer les places bordelaises lors des fêtes de fin d’année » comme le rappelle le Huffington Post. Depuis, une pétition citoyenne a vu le jour pour réclamer des sapins, mais le maire y a opposé une fin de non-recevoir : « L’opinion des fachos, je m’assieds dessus, a-t-il tranché. Les signatures viennent de la France entière. Toute la fachosphère s’est mobilisée pour rentrer dans ce débat puéril. Avec la recrudescence de cas de Covid ou l’insécurité, il y a des sujets plus importants à Bordeaux. » Soit.

Mais l’argument « écolo » de l’arbre mort tient difficilement. En France chaque année, il s’en vend environ six millions, dont 80% sont cultivés en France pendant six ou sept ans avant d’être coupés. Il ne s’agit pas ici de déforestation ou d’atteinte aux écosystèmes, mais de forêts gérées durablement. De plus, « acheter un sapin de Noël naturel est aussi devenu un geste écologique, explique Vincent Houis de l’Association française du sapin de Noël naturel. L’emprunte carbone d’un sapin naturel est moins importante que celle d’un sapin artificiel. Pour que l’impact soit le même, il faudrait que les gens conservent leur sapin artificiel pendant vingt ans ». Mieux encore, les « arbres morts » de Monsieur Hurmic se voient même offrir une seconde vie, au service du développement durable, par un nombre croissant d’actions de recyclage. La cabale contre « l’arbre mort » prend ainsi doublement du plomb dans l’aile.

En France, le marché du sapin de Noël – en constante hausse – représente 156 millions d’euros de revenus. Avec la décision du maire de Bordeaux, les fêtes de fin d’années risquent d’être singulièrement impactées pour les commerçants locaux… et donc pour les producteurs. Un luxe dont pourrait se passer l’économie en berne à cause de la crise sanitaire de la Covid-19. 

Pommes de terre en Bretagne : une enquête à charge

En septembre dernier également, une affaire a fait les choux gras d’une partie de la presse régionale : les Bretons seraient les victimes d’une contamination aux métaux lourds à cause de l’utilisation d’engrais minéraux par les agriculteurs. L’enquête du journaliste Martin Boudot, partant des analyses d’urine de 57 personnes âgées de 47 à 75 ans, montrerait des concentrations de cadmium dangereuses pour la santé. La solution avancée : réduire au strict minimum l’utilisation d’engrais phosphatés et changer les sources d’approvisionnement de ces produits, en privilégiant les importations de Russie…

Mais le dossier est plus complexe que cette présentation simpliste. En France, le taux de cadmium dans les engrais minéraux est plafonné à 90mg/kg. Avec l’adoption en 2019 par l’Union européenne d’une nouvelle réglementation (qui entrera en vigueur en 2022), ce taux sera même ramené à 60mg/kg, alors qu’il dépasse allégrement 100 mg/kg au Canada ou aux États-Unis. Or Martin Boudot, faisant notamment appel à Joël Poupon, biologiste toxicologue de l’Hôpital Lariboisière à Paris, a construit sa démonstration à partir d’un taux de 20mg/kg, qui n’a rien d’une norme officielle, mais est recommandé par l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail).

Tout est donc relatif. En utilisant ce taux, 21% des échantillons d’urine testés dépassent la concentration de cadmium recommandée par l’ANSES, explique le Professeur Poupon. Étaient-ils fumeurs, sachant que le tabac est le premier facteur d’exposition au cadmium ? Nul ne le sait. Soit. Mais en se référant à la réglementation européenne, pourtant, les résultats sont même bien inférieurs aux limites aujourd’hui établies, et, redisons-le, les plus exigeantes du monde. De plus, des propos mêmes de Joël Poupon, cette baisse du taux de cadmium dans les engrais n’aurait qu’un impact limité : « selon la modélisation de l’ANSES, au bout de 100 ans, on aura baissé de 13% la teneur en cadmium dans le blé ou les pommes de terre ». Car les engrais ne sont pas les seules sources de cadmium dans les sols : il en existe d’abord naturellement dans la terre, sans compter les rejets de fumées industrielles accumulés au cours des décennies passées. Cela explique probablement pourquoi l’étude menée en Bretagne a montré que les métaux lourds étaient également présents… dans les pommes de terre bio.

Mais voilà, même le transfert sol-plantes fait débat dans la communauté scientifique. Selon des chercheurs de l’INRAE (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement), « il a été clairement démontré par de nombreuses études qu’il n’existe aucune relation entre la concentration en contaminant minéral présent dans un sol et la concentration dans les végétaux cultivés sur ce sol ». Les agriculteurs – qui sont une fois de plus pointés du doigt pour leur recours aux fertilisants – apprécieront la nuance. 

Betteraves dans le Nord : faire l’équilibre entre nature et économie

Début octobre, ce sont ensuite les producteurs de betteraves de la filière sucrière française qui sont passés sur le banc des accusés. En cause, la dérogation du ministère de l’Agriculture les autorisant à réutiliser ponctuellement des néonicotinoïdes, interdits en septembre 2018 et surnommés les « tueurs d’abeilles ». Auprès de l’opinion publique, l’image avait été percutante.

Ces insecticides ont initialement pour but d’éradiquer les pucerons vecteurs de deux virus qui ravagent spécifiquement la culture de la betterave. « En 2019, les pucerons sont arrivés tardivement dans les champs, la pression a été modérée, on a pu gérer », explique Vincent Guyot, producteur de betterave dans l’Aisne. Mais ce n’est pas le cas cette année. « On est à quasiment 100% de dégâts par chez nous, les champs sont jaunes », déplore l’un de ses collègues en Seine-et-Marne, Sébastien Rousseau. La catastrophe annoncée touchera durement l’agriculture française : avec ses 21 sucreries, la France est le premier pays producteur en Europe, le 10e dans le monde. Au total, ce sont 46000 emplois dont 25000 agriculteurs qui sont menacés sur le territoire.

Comme tous les pays européens touchés par ce même fléau sanitaire, la France a donc signé une dérogation de 120 jours pour la réutilisation de cet insecticide dans la culture de la betterave. Le ministère de l’Agriculture a eu recours « à l’article 53 du règlement européen n°1107/2009, comme l’ont fait d’autres pays européens confrontés aux mêmes difficultés, dans des conditions strictement encadrées. Le règlement européen l’autorise à la condition qu’une telle mesure s’impose en raison d’un danger qui ne peut être maitrisé par d’autres moyens raisonnables ». Si, entre 2016 et 2018, les campagnes de presse et l’opinion publique avaient eu la peau de ces « tueurs d’abeilles », la réalité de leur impact est pourtant plus nuancée. Et aujourd’hui, le vrai problème est ailleurs, comme le souligne le Washington Post : les produits de substitution sont probablement pires.

L’opinion publique, le scientifique et le politique

Dans l’histoire récente, l’opinion publique et les sondages ont donc joué un rôle non négligeable dans la prise de décision politique, parfois contre l’avis scientifique. Pour le glyphosate notamment, certains professionnels agricoles affirment même que l’ANSES, après avoir donné un avis favorable, serait revenu sur ses dires en raison du mouvement d’opinion autour de ce sujet.

On comprend maintenant pourquoi les 450000 agriculteurs français, souvent accusés d’empoisonner la terre et nos assiettes, pourraient se passer de controverses où il est très facile de jouer sur la corde sensible de l’opinion publique. « L’écologie urbaine pourchasse la culture paysanne au plus profond des campagnes, regrette le viticulteur Jean-Francis Pécresse dans les colonnes des Echos. C'est la France des vérandas contre la France des racines. C’est une agriculture raisonnée que l’on sacrifie à un obscurantisme militant. Jamais nos agriculteurs n’ont si peu pollué l’air et les sols, jamais ils ne nous ont donné une alimentation si saine. Mais nous nous sommes convaincus du contraire. » Il est temps de redonner la parole à cette France-là.

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