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L'agriculture africaine : à qui appartiendra l'avenir ? par Akinwumi A. Adesina, président de la Banque africaine de développement



  • L’agriculture a un rôle décisif à jouer au regard de la pauvreté en Afrique – au regard de sa richesse également. Ce n’est que par une renaissance de l’agriculture que les économies africaines pourront gagner en croissance, en diversification et en emplois nouveaux, car aucune région au monde ne s’est jamais industrialisée sans avoir au préalable transformé son secteur agricole.

    En bref, l’avenir de l’Afrique dépend de l’agriculture. Or l’Afrique ne saurait se développer rapidement si l’agriculture demeure surtout une activité de subsistance. Si le secteur emploie 60 % de la population active, il représente moins d’un septième du PIB du continent, lequel affiche les plus faibles rendements agricoles au monde.

    L’Afrique se développe donc sur le tard. Mais ce peut être aussi une opportunité fantastique à saisir pour les investisseurs internationaux et les entrepreneurs ambitieux.

    La diversification économique et la création de richesse durable commencent par un secteur agricole dynamique. Mais transformer l’agriculture africaine et y insuffler ce dynamisme va nécessiter 30 à 40 milliards de dollars par an durant les dix ans à venir. C’est beaucoup d’argent, mais cet argent existe, en Afrique-même, pour peu que les projets soient de qualité.

    Et ces projets le sont, car pareils investissements feront émerger de nouveaux marchés qui représenteront 85 milliards de dollars au moins de recettes annuelles supplémentaires d’ici à 2025. C’est un retour sur investissement potentiel d’au moins 100 %. Mais qui détiendra, influera et tirera parti de ces marchés ? Sans doute des Africains pour la plupart ? Nous devons nous approprier notre développement. Les engagements pris l’an passé lors de l’AGRF nous ont offert un démarrage sur les chapeaux de roue, avec 30 milliards de dollars É-U sur dix ans.

    Pareille transformation de l’agriculture entraînerait une réduction du déficit commercial net de l’Afrique dans le domaine alimentaire, voire 100 milliards de dollars d’économies nettes par an. Nous devons mettre fin à l’anomalie aussi coûteuse que dommageable qu’est ce déficit alimentaire. L’Afrique ne doit plus produire ce qu’elle ne peut ou ne veut pas consommer et, à l’inverse, consommer ce qu’elle ne produit pas – mais qu’elle pourrait aisément produire.

    D’autres mesures en ce sens donneraient des résultats financiers tout aussi impressionnants, quoique difficiles à chiffrer : inclusion et réforme fiscales, mobilisation des recettes intérieures, hausse des envois de fonds de l’étranger, moins de corruption et une meilleure gouvernance.

    D’importantes opportunités de croissance inexploitées existent encore en Afrique. Le continent possède 65 % des terres arables non cultivées dans le monde et d’importantes réserves en eau. L’Afrique subsaharienne recèle également 10 % des réserves mondiales de pétrole, 40 % des réserves d’or et jusqu’à 90 % des réserves de chrome et de platine – et il ne s’agit là que des réserves connues : le continent est l’un des plus grands bassins inexplorés de ressources naturelles au monde. L’Afrique souffre peut-être de pauvreté, mais c’est aussi un continent incroyablement riche, même après plus de cinquante ans d’exploitation de ses ressources.

    Mais comment amorcer cette transformation ? Comment parachever ce qui pourrait s’avérer la bonne affaire du siècle ? Les secteurs public et privé doivent travailler de concert. Tous deux sont indispensables pour que de véritables opportunités s’offrent aux pionniers et entrepreneurs qui émergent en Afrique, sans parler des bailleurs, gestionnaires de fonds et conseillers financiers.

    Ces dernières années, la Banque a réussi à procéder à une réévaluation totale du rôle a priori fondamental de l’agriculture dans la transformation de l’Afrique, et l’AGRF a été crucial dans cette ambition partagée d’enclencher la révolution verte en Afrique.

    Les technologies requises pour nourrir l’Afrique existent déjà. Nous sommes en pleine période de changement climatique. Un maïs à haut rendement et résistant à la sécheresse aiderait les agriculteurs à obtenir de bonnes récoltes même en cas de sécheresse. Certaines variétés de manioc peuvent donner jusqu’à 80 tonnes par hectare. Des variétés de riz à haut rendement qui respectent les normes internationales – voire vont au-delà – pour le riz d’importation existent aujourd’hui. Des patates douces à chair orange permettent de lutter contre le déficit en vitamine A. Des variétés de blé tropicales et résistantes à la sécheresse sont cultivées au Nigeria, au Kenya et au Soudan.

    Ces technologies doivent être développées à grande échelle pour être adoptées en masse. Mais cela ne va pas se faire tout seul, il va falloir prendre des mesures incitatives ciblées. La Banque africaine de développement et la Banque mondiale sont ainsi convenues d’investir 800 millions de dollars à travers le programme « Technologies pour la transformation de l’agriculture en Afrique » (Technologies for African Agricultural Transformation), qui entend déployer à grande échelle, au cours des dix prochaines années, les technologies agricoles auprès de millions d’agriculteurs en Afrique.

    De façon plus globale, la Banque africaine de développement s’est engagée à consacrer 24 milliards de dollars à la transformation agricole durant les dix ans à venir, en mettant l’accent sur l’autosuffisance alimentaire et l’agro-industrie.

    C’est aussi pour cette raison que nous avons lancé le programme de discrimination positive en matière de financement pour les femmes d’Afrique (Affirmative Finance Action for Women in Africa, AFAWA) : partant du principe éprouvé que les femmes sont plus fiables et bancables que les hommes, l’objectif est de dégager 3 milliards de dollars supplémentaires en faveur des femmes entrepreneures, afin d’accroître les niveaux de production alimentaire.

    Il est essentiel que nos jeunes s’investissent dans l’agriculture et y voient une activité lucrative. C’est pour cette raison que la Banque a lancé le programme ENABLE Youth, un programme qui donne accès aux “agripreneurs” aux capitaux et aux compétences nécessaires, avec l’objectif de créer quelque 300 000 entreprises agroalimentaires et 1,5 million d’emplois à travers trente pays africains. On compte y investir 15 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années.

    Maintenant que l’agriculture suscite l’intérêt de nombreux entrepreneurs, il nous faut rapidement résoudre le problème du faible niveau actuel des financements commerciaux alloués au secteur. Finance et agriculture ne font pas forcément bon ménage en Afrique, et le secteur agricole perçoit moins de 3 % du total des financements bancaires.

    La Banque africaine de développement encourage les pays à se doter de mécanismes nationaux de partage des risques pour lever des fonds en faveur de l’agriculture, sur le modèle de ce qu’a fait le Nigeria avec son mécanisme de partage des risques fondé sur des mesures incitatives pour les crédits destinés au secteur agricole (Nigeria Incentive-Based Risk Sharing for Agricultural Lending - NIRSAL). Les résultats de ce programme nigérian conçu pour atténuer les risques associés aux prêts dans les chaines de valeur agricoles ont été impressionnants. En quatre ans, 15 millions d’agriculteurs en ont bénéficié – dont 2,5 millions de femmes – et la production alimentaire s’est accrue de plus de 21 millions de tonnes. Aujourd’hui, plusieurs pays d’Afrique ou d’ailleurs, comme l’Afghanistan, adoptent cette approche.

    J’en suis convaincu : les prochaines années verront l’agriculture s’extraire de son statut de pauvreté et d’activité de subsistance pour devenir le nouveau secteur d’activité en plein essor, avec des entrepreneurs, des financiers, des inventeurs et des innovateurs séduits par un cocktail de projets, programmes et opportunités bancables. Car après tout, qui mange du cuivre ? Qui boit du pétrole ? Dans un secteur agroalimentaire qui évolue vite, les Africains doivent devenir des producteurs et des créateurs, non plus seulement des consommateurs.

    La Banque africaine de développement jouera pleinement son rôle de catalyseur de l’agriculture, et je suis persuadé que nous verrons bientôt la première vague de millionnaires africains qui auront fait fortune dans l’agriculture et l’agro-alimentaire.

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