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Quels seront nos moyens de subsistance en 2030?



  • Quels seront nos moyens de subsistance en 2030?

    Un texte de Martha Baxter et Bathylle Missika du Centre de développement de l'OCDE[1], traduit et adapté par Jacques Prescott

    L'humanité a connu plus de deux siècles de progrès presque continu depuis la révolution industrielle, mais cette tendance va-t-elle se poursuivre? Comment pouvons-nous mieux capitaliser sur les progrès accomplis tout en anticipant les défis à venir tels que l'explosion démographique de la jeunesse ou des sécheresses massives? Un rapport publié par le Centre de Développement de l'OCDE soutenu par la Fondation Rockefeller avertit qu'un certain nombre de tendances mondiales pourrait ralentir ou même inverser les progrès accomplis. «Securing Livelihoods for All: Foresight for Action»[2] (Fournir des moyens de subsistance à tous: la prospective d'action) se penche sur la façon dont nos moyens de subsistance pourraient changer entre maintenant et 2030. Il constate que les menaces peuvent provenir de nombreux fronts: des tendances économiques mondiales et  transitions démographiques aux changements environnementaux et nouvelles technologies, entre autres.

    Le rapport ne cherche pas à prévoir ce qui va arriver. Il utilise des techniques de prospective pour poser des questions et développer cinq scénarios d'avenir, en examinant l'interconnexion de plusieurs tendances qui nous préoccupent, et se basant sur certains signaux plus faibles venant de tendances nouvelles et émergentes.

    Parmi les cinq avenirs possibles développés dans le rapport de l'OCDE, trois sont tragiques, impliquant des mouvements de population massifs, des inégalités, la pauvreté et des troubles sociaux, tandis que deux impliquent des sociétés dynamiques qui possèdent les compétences, la créativité et la flexibilité pour prospérer et conjurer les crises mondiales.

    En vertu du premier scénario appelé "l'Automatisation du Nord", l'automatisation procède plus rapidement que prévu et affecte les sociétés vieillissantes en particulier. L'automatisation rapide dans les économies avancées et émergentes signifie que certains emplois dans la plupart des secteurs sont de plus en plus pris en charge par des robots et des systèmes d'intelligence artificielle. Le processus est si rapide que la plupart des gens dont les emplois sont remplacés par la technologie ne peuvent pas s'adapter et trouvent difficile de sécuriser leurs moyens de subsistance. L'inégalité augmente plus vite que prévu. Avec moins d'emplois disponibles pour les ressortissants, une pression de plus en plus grande s'exerce pour augmenter les barrières à l'immigration dans les pays développés. En raison d'une réduction des recettes fiscales et de la croissance du nombre de personnes ayant besoin du soutien de la sécurité sociale, la dette publique devient ingérable. Les tensions sociales et les perturbations augmentent. Dans de nombreux pays en développement, le processus d'automatisation est beaucoup plus lent, ce qui signifie que ces pays ne sont plus compétitifs, même dans les secteurs à faibles coûts, et à faible valeur ajoutée.

    Dans le second scénario, "Sécheresses et chômage dans le Sud", les sécheresses deviennent généralisées dans de grandes parties du monde en développement, mettant en péril les moyens de subsistance dans les régions où la jeunesse est florissante (Afrique subsaharienne, Afrique du Nord, Moyen-Orient et Asie du Sud). L'agriculture de subsistance devient presque impossible et l'agriculture à grande échelle est sérieusement compromise. Les famines deviennent la norme, non seulement pour les petits agriculteurs, mais aussi pour les populations pauvres dans les zones urbaines alors que le prix des denrées alimentaires explosent. Les migrations intérieures s'accentuent alors que les populations rurales affluent dans les villes. Les migrations internationales augmentent également alors que les villes atteignent leurs pleines capacités d'accueil. Le rythme du changement est très rapide. Les pays, les communautés et les individus ne peuvent adapter assez vite leurs moyens de subsistance ou leurs mécanismes de soutien. Le résultat est la faim, l'inégalité croissante et la désorganisation sociale.

    Dans le troisième scénario "Krach financier mondial", une crise financière majeure déclenche un effondrement du système commercial mondial et un virage vers le protectionnisme. Une bulle immobilière éclate en Chine et dans certains autres pays émergents. Les niveaux élevés de la dette des entreprises dans le monde en développement deviennent insoutenables, et conduisent à des sorties de capitaux. L'Union européenne se défait, ce qui entraîne une autre crise financière. Les prix des matières premières continuent de chuter rapidement, créant des défis importants pour la stabilité de la monnaie dans les pays qui dépendent des exportations de produits. Ces perturbations financières déclenchent une crise économique mondiale majeure, affectant le commerce, l'investissement et la consommation. La pression protectionniste réapparaît, mais ne permet pas d'éviter les perturbations sociales, et les gouvernements ne parviennent pas à résoudre les problèmes d'inégalité croissante. Dans les pays développés et en développement, les moyens de subsistance de nombreuses personnes viennent sous pression. Au moins un milliard de personnes retombent dans la pauvreté extrême.

    Le scénario «des économies de régénération" propose une vision plus positive de l'avenir. Les innovations technologiques créent suffisamment de nouveaux emplois pour la plupart des gens et l'activité économique devient plus durable. Beaucoup de nouveaux champs fleurissent, y compris la cybersécurité, l'ingénierie résiliente de l'environnement, les emplois de service reliés aux robots, et les emplois exigeant des compétences élevées en matière de nanotechnologie et de biotechnologie. Comme l'économie réelle devient une économie virtuelle, de nombreux secteurs subissent une transformation. Les frontières entre les pays et la distance deviennent moins pertinentes. Les marchés deviennent plus internationaux que jamais. Les pays remodèlent leurs systèmes éducatifs afin que les gens puissent jouer un rôle dans l'économie du savoir. L'innovation technologique en agriculture favorise la migration des zones rurales vers les zones urbaines dans de nombreux pays en développement, mais les villes moyennes bien planifiées, avec des infrastructures économes en énergie contribuent à l'urbanisation durable plutôt qu’à la croissance des bidonvilles. Bien que les impacts sur les moyens de subsistance soient globalement positifs, certaines personnes auront toujours besoin de sécurité sociale, mais ces systèmes seront plus abordables pour les États-nations en vertu de ce scénario. Ce scénario pourrait toucher toutes les régions du monde, mais se concrétiserait plus rapidement dans les pays avancés et émergents.

    Dans le dernier scénario, "les sociétés créatives", diverses expériences au niveau local misent sur la résilience et le bien-être social des individus. Le chômage induit par la technologie augmente dans les pays développés et en développement. Les sociétés évoluent vers de nouveaux modes de vie et de travail, dans lesquels les individus et les communautés sont les acteurs clés du changement. En l'absence d'un emploi à temps plein sécurisé, les individus doivent mettre sur pied un portefeuille de travail - emplois à temps partiel, travail partagé avec des collègues, échanges de compétences commerciales et de services. Ce portefeuille de style de vie est rendu possible par trois facteurs importants: la technologie, qui permet aux gens de travailler partout, à tout moment; l'adoption d'un revenu minimum garanti dans la plupart des pays développés, payé par des taxes plus élevées sur le capital, plutôt que sur la main-d'œuvre; et de nouvelles attitudes sociales dans lesquelles les jeunes gens ne sont pas tellement intéressés par la culture de consommation, mais contribuent à ce qu'on pourrait appeler "l'économie de l'expérience."  Les Villes poursuivent un agenda vert, priorisant la rénovation de bâtiments et la conservation de l'eau. Un mouvement de production alimentaire se développe en ville, impliquant des jardins communautaires urbains. Des incubateurs d'emplois public-privé fleurissent dans la plupart des villes, offrant à tous, jeunes et vieux, des services d'orientation professionnelle, du financement de démarrage, et des programmes d'aide adaptés individuellement, et facilitant l'adéquation des compétences et des opportunités. Les pays développés tirent profit des expériences pionnières d'intégration sociale et d'innovation adaptative et frugale réalisées dans les économies en développement.

    Alors qu'est ce qui nous attend? Le scénario qui prévaudra dépend des blocs de construction mis en place aujourd'hui, par exemple un changement de valeurs accordant la priorité à la durabilité, comme dans le scénario "des économies de régénération", ainsi que de nos choix politiques. Bien d'autres scénarios pourraient être développés au-delà de ceux examinés dans le rapport de l'OCDE. Mais ce qui importe c'est qu'en imaginant différents scénarios de l'avenir on peut créer de l'espace pour des conversations stratégiques, souvent difficiles à intégrer, dans les discussions politiques actuelles. Ces conversations vont nous permettre de discuter des moyens de subsistance que nous avons et ceux que nous voulons en 2030. La mauvaise nouvelle c’est qu’en dépit de nos efforts de prévisions et de prévoyance, nous ne disposons toujours pas de boule de cristal. La bonne nouvelle c'est que nous avons encore un mot à dire dans la façon dont nos futurs moyens de subsistance vont se déployer.

    Jacques Prescott est biologiste et professeur associé à la Chaire en éco-conseil de l’Université du Québec à Chicoutimi.

     

    [1] http://oecdinsights.org/2015/05/04/what-will-our-livelihoods-be-like-in-2030/

    [2] http://www.oecd-ilibrary.org/development/securing-livelihoods-for-all_9789264231894-en

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