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Révision de la LOP-DSI : quelles ambitions pour le développement et la solidarité internationale ?



  • La loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale (LOP-DSI), adoptée par le Parlement français en 2014, doit être révisée cette année. Quels sont les enjeux ? Où en sommes-nous dans le processus d’élaboration ? Quelles sont les principales revendications formulées par les ONG ?

    Il aura fallu attendre plus de cinquante ans après la fin des indépendances pour que la coopération française se dote enfin d’un cadre légal. En juillet 2014, la LOP-DSI, plus connue sous le nom de Loi Canfin, était adoptée. Préparée dans de très bonnes conditions, après trois mois d’Assises et un vrai débat contradictoire – au sein duquel le Gret et le Groupe initiatives (Gi) ont été particulièrement impliqués –, cette loi établissait pour la première fois la politique générale de la France en matière de coopération.

    D’ici peu, cette loi deviendra caduque. Il était en effet prévu, dès sa création, qu’elle devrait être révisée dans les cinq ans qui suivraient sa promulgation, autrement dit en 2019. Nous y sommes, et les travaux sont déjà bien engagés. Les associations de solidarité internationale contribuent activement aux échanges, par l’intermédiaire d’un groupe de travail mis en place par Coordination SUD, mais aussi via le Conseil national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI). « La loi de 2014 a eu pour effet de créer une structure de concertation – le CNDSI – composée de différents collèges auprès du ministre des Affaires étrangères et de l’Europe. Celle-ci rassemble une cinquantaine de personnes et ressemble beaucoup à l’ancien Haut Conseil de la coopération internationale », nous explique Pierre Jacquemot, président du Gret et du Gi, et par ailleurs très investi au sein du collège ONG du CNDSI.

    Le processus en cours

    La nouvelle loi sera présentée en avril, pour une adoption devant l’Assemblée nationale en juillet ou au retour des congés estivaux. Mais avant de parvenir jusqu’à l’Hémicycle, le texte doit au préalable être examiné par le CNDSI, par le Conseil économique, social et environnemental (CESE), par le Conseil d’Etat, puis bien sûr par le Conseil des ministres… Un processus piloté par le ministère des Affaires étrangères et de l’Europe, à l’aide de questionnaires et de réunions de concertation avec les acteurs locaux.

    L’élaboration de ce document – composé d’un texte assez court, divisé en six rubriques, et d’une annexe très étoffée – a été accompagnée par plusieurs parlementaires, et notamment les députés Hubert Julien-Laferrière, Rodrigue Kokouendo, Bérengère Poletti ou encore Hervé Berville. Ce dernier est à l’origine d’un rapport commandé par le Président, construit après six mois de concertation et salué par la plupart des organisations de la société civile. Pour Pierre Jacquemot : « Le diagnostic du député Berville sur l’état des lieux est bon, et ses propositions vont dans le bon sens. Néanmoins, il y a encore quelques petites lacunes, dans le domaine de la recherche notamment ».

    Des pistes d’améliorations possibles

    Même si la loi de 2014 a comblé un vide législatif, plusieurs reproches peuvent être formulés à son encontre, et notamment le fait qu’il ne s’agit pas d’une véritable loi de programmation. On a pu déplorer le fait qu’il n’y ait ni trajectoire, ni portage politique (depuis 2017, la France n’a plus de ministre de la Coopération et du Développement).

    La première des préoccupations exprimées à la fois par Coordination SUD et le CNDSI est donc de réaffirmer l’absolue nécessité de faire de cette loi une loi de programmation, et d’inscrire dans la loi l’obligation gouvernementale d’augmenter le montant de l’aide publique au développement (APD) à 0,55 % d’ici 2022, puis à 0,7 % en 2025. Une seconde revendication concerne l’affectation de l’APD : les organisations de la société civile et les collectivités locales devraient pouvoir bénéficier de sommes plus importantes pour remplir leurs mandats et mettre en œuvre des projets à fort impact social, efficients et significatifs. Il faudrait d’une part faire en sorte que l’intégralité de la taxe sur les transactions financières (TTF) soit affectée à l’aide au développement, et d’autre part généraliser les dons plutôt que les prêts. Le pourcentage de l’aide qui transite actuellement par les ONG françaises est très résiduel (de l’ordre de 3 à 4 %), alors qu’il s’élève au moins à 15 % dans la plupart des autres pays européens. En 2016, la part de l’aide qui passait par les ONG était en effet de 200 millions d’euros pour la France, de 2,4 milliards pour la Grande-Bretagne et de 5,2 milliards pour l’Allemagne. « Ce n’est pas uniquement une question de chiffres. Il s’agit aussi d’une question de reconnaissance de notre expertise et de l’efficacité de notre travail avec les partenaires locaux. Il faut traduire concrètement dans la loi le poids que nous représentons, dans la conception comme dans la mise en œuvre », explique Pierre Jacquemot. Philippe Jahshan, président de Coordination SUD, l’a lui aussi rappelé récemment dans un communiqué : « Les ONG françaises seront vigilantes à ce que cet engagement soit inscrit dans la loi et à ce que le caractère extra-budgétaire des financements innovants soit sanctuarisé ».

    Autre cheval de bataille : le vocabulaire. Il est grand temps de revoir certaines appellations. Le mot "aide", dans l’expression "Aide publique au développement" par exemple, ne correspond plus aux dynamiques actuelles. Il est chargé d’une connotation caritative, unilatérale, directive, condescendante entre celui qui donne et celui qui reçoit. Pour Pierre Jacquemot, « il serait préférable d’employer des termes comme "échanges partagés" ou encore "partenariats solidaires", qui traduiraient mieux notre conception de la relation avec les pays du Sud. Je plaide également pour un retour de mots tels que "co-opération" ou « co-développement » et pour la mise en place de modalités de dialogue décentralisées au niveau des ambassades, afin de parvenir à une meilleure connaissance des besoins ».

    Parmi les autres préconisations :

    • raisonner en acteurs, plutôt qu’en secteurs ;
    • ne pas mesurer l’efficacité de l’aide uniquement à partir de critères quantitatifs. C’est d’autant plus délicat lorsque l’on travaille sur des changements de comportements qui sont, par essence, difficiles à dénombrer. Il existe d’autres garanties d’efficacité, comme l’implication en amont des partenaires et des acteurs associés au projet ;
    • ne plus raisonner en opposant les ONG du Nord et celles du Sud. Il n’y a pas de centre, ni de périphérie. Les projets du Gret par exemple intègrent aussi bien des partenaires locaux qu’européens ou internationaux. 80 % des experts du Gret sont des salariés nationaux, qui bénéficient d’une connaissance intime des besoins et incarnent bien les préoccupations du terrain ;
    • et enfin, ne pas négliger la recherche, qui fait actuellement figure de parent pauvre. Une alliance entre la recherche et les actions de terrain est absolument nécessaire, si l’on veut sans cesse pouvoir s’adapter et continuer à innover.

    Lire la contribution du Groupe initiatives à la préparation de la nouvelle loi d’orientation et de programmation pour le développement et la solidarité internationale
    Lire le compte-rendu de la session extraordinaire du CNDSI  dédié au projet de loi
    Lire le dossier-débat « Rapport Berville, une nouvelle approche pour bâtir un vrai partenariat ? » sur le site de Coordination SUD
    Lire le rapport d’Hervé Berville sur la « Modernisation de la politique partenariale de développement »
    Lire « Les ONG, des acteurs reconnus mais mal financés »
    Visionner l’interview d’Henri de Cazotte sur l’aide publique au développement

     

     

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