Le développement du numérique portait la promesse de dématérialiser nos activités. Et donc de réduire notre impact sur la planète. Mais c’était sans prendre en compte le bilan carbone du secteur et de l'informatique, loin d’être virtuel. Il représente d’ores et déjà 2% des émissions de gaz à effet de serre. Autant que l’aviation civile ! Et ce taux devrait doubler d’ici 2019, avec la montée en puissance des objets connectés et les internautes toujours plus nombreux. Quelques entreprises commencent à se mobiliser pour réduire leur pollution numérique.

Chaque année, un salarié français émet l’équivalent de 514 kg de gaz à effet de serre, rien que par son activité numérique. C’est l’équivalent d’un Paris-Moscou en voiture… Un chiffre à multiplier par les quelque 27 millions de salariés que compte l’Hexagone. Quant aux besoins énergétiques, cela revient à allumer 50 ampoules basse-consommation pendant 2 000 heures pour chaque salarié. Et côté consommation d’eau, cela représente 23 555 litres, soit l’équivalent de 428 douches, là encore par salarié.
Ces chiffres, publiés par le cabinet d’analyse Green IT le 21 avril dernier, prennent en compte la fabrication et l’utilisation des équipements. Ils sont issus d’un benchmark réalisé auprès de neuf grandes entreprises, privées et publiques, qui comptent 515 000 utilisateurs et disposent de 2,6 millions d’équipements informatiques.

Vers des data centers 100% renouvelables ?



Quelles sont les principales sources de pollution ? De prime abord, on pense aux données et à leur stockage dans les data centers. On estime que le volume de données augmente en moyenne de 20% par an (+69% sur le mobile entre 2013 et 2014), ce qui ne cesse d’accroître les besoins en puissance de calcul et en espace disque, et donc l’énergie consommée par ces centres.
Chaque année, Greenpeace scrute donc leur consommation et leur approvisionnement énergétique dans son baromètre Click Clean. Dans son édition 2015, l’ONG salue la politique environnementale adoptée par Apple, qui alimente son infrastructure à 100% avec des énergies issues de sources renouvelables.
Comme en 2014, le bonnet d’âne revient à Amazon Web Services. Le fournisseur de services cloud atteint péniblement le taux de 23% d’énergies renouvelables et reste très dépendant des énergies fossiles (27% pour le charbon et 21% pour le gaz naturel). Il s’est néanmoins engagé à atteindre les 40% de taux d’énergie renouvelable sur ses data centers en 2016.

Allonger la durée de vie des équipements



Les data centers, cependant, ne seraient pas la principale source de pollution numérique. L’impact principal se situe en fait bien en amont, lors de la fabrication des terminaux. "On nous répète à satiété qu’il faut lutter contre les émissions de CO2 du numérique, notamment celles des centres de données. Mais, toutes les analyses de cycle de vie montrent que c’est surtout la fabrication des équipements qui concentre les impacts environnementaux : épuisement des ressources naturelles non renouvelables, pollution de l’eau, du sol et de l’air", explique Frédéric Bordage, consultant chez Green IT.
Pour fabriquer un ordinateur, il faut l’équivalent de 100 fois son poids en matières premières. Ce ratio passe à 16 000 rien que pour réaliser une puce électronique ! Pour l’expert en numérique et développement durable, lutter contre la pollution numérique passe donc avant tout par l’allongement de la durée de vie des produits. Alors qu’en 1985, la vie d’un ordinateurs était en moyenne de 10,7 ans, elle été divisée par trois en 30 ans.
Pour réduire son impact, le groupe SoLocal, dont PagesJaunes est une filiale, a donc supprimé les dates de "péremption" de ses équipements. "Cela n’avait pas de sens de remplacer un ordinateur toutes les X années parce que cela correspondait à la date indiquée, raconte Carole Vrignon, la directrice RSE. Cela permet de faire vivre les produits plus longtemps et les collaborateurs sont fiers de participer à cette démarche."

Ecoconception des logiciels



Pour allonger la durée de vie des produits, il faut également revoir la conception des logiciels. Leur performance accrue demande en effet des machines de plus en plus puissantes et énergivores. "L’obésiciel, ou le gras numérique, est le 1er facteur d’obsolescence, selon Frédéric Bordage. Aujourd’hui, pour utiliser Windows/Microsoft Office il faut 114 fois plus de mémoire vive qu’en 1997. De même, les multiples fonctionnalités des sites augmentent le nombre d’octets nécessaires." 
Preuve à l’appui : entre un site standard et sa version allégée, il faut 219 fois plus d’octets. La solution passe par l’écoconception de logiciels et d’applications qui consomment moins de ressources informatiques et fonctionnent plus longtemps sur les mêmes équipements. "C’est la frugalité appliquée aux logiciels. On se concentre sur le message essentiel et sur des fonctionnalités non pas gadget mais vraiment utiles, car c’est ce que demande de plus en plus le consommateur. Les retours d’expérience des pionniers montrent un potentiel très important, de l’ordre de 2 à 100 fois moins de ressources informatiques nécessaires, à condition de s’intéresser à la conception et pas aux lignes de code", précise Frédéric Bordage.

Vive la journée sans email !



Pour réduire son empreinte numérique, une entreprise peut aussi prôner un usage raisonné des boîtes mail. C’est ce que pratique le site PriceMinister, qui a instauré une demi-journée par mois sans e-mail. Ou la société Atos, distributeur de services numériques, qui dispose depuis 2011 d’un programme "Zéro e-mail". "Contrairement à une idée reçue, le principal problème avec les mails ne réside pas dans leur stockage mais plutôt dans leur envoi. La solution consiste donc à bien réfléchir avant d’envoyer un mail, à privilégier le format texte brut, qui requiert 12 fois moins d’octet que le format HTML, à en limiter le temps de lecture, à réduire le nombre des destinataires et à éviter les pièces jointes trop lourdes", commente Frédéric Bordage. Lutter contre les spams peut également s’avérer très efficace. Alors qu’ils représentent 9 mails sur 10, ils émettent autant que trois millions de voitures en un an, selon le rapport McAfee sur l’empreinte carbone des spams.

Faire bonne impression !



Au nombre des bonnes pratiques à adopter, il y a aussi la réduction des impressions car, au bureau, les salariés français continuent d’imprimer 65 kg de papier par personne et par an. Pour réduire cet impact, l’entreprise RTE (Réseau de Transport d’Electricité) a certainement trouvé la bonne idée : "Nous avons intégré un critère lié au nombre de pages imprimées par salarié dans leur prime d’intéressement, témoigne Marc Villemon, responsable Green IT chez RTE. Résultat : nous avons atteint l’objectif fixé à trois ans dès la première année, et nous avons réduit nos impressions de 20%". 
La gestion de la fin de vie des équipements est elle aussi très importante. Et à ce titre, la France fait figure de mauvais élève. Seuls 30% des appareils électroniques jetés sont finalement recyclés.
Enfin, débrancher tout ce qui peut l’être contribue aussi à préserver la planète. Ainsi, chez Pôle Emploi, on réfléchit à un projet d’extinction des postes de travail la nuit. Une action qui peut avoir un réel impact quand on sait que cela concerne 54 000 machines. Et l’entreprise a tout à y gagner. "Si seulement 40% des agents le faisait, les économies seraient d’1,5 million d’euros", a calculé Jean-Christophe Chaussat, le responsable RSE. Des mesures qui vont devenir indispensables alors que la tendance est au déploiement du cloud computing, de la 4G ou encore des objets connectés. On en comptait 500 millions en 2003. Un chiffre qui pourrait grimper à au moins 50 milliards en 2020.

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