Climat

« Les multinationales les plus polluantes ont plus leur place aux Nations Unies que la jeunesse »

Climat

par Clémence Hutin

« La crise climatique est une folie. Nous pouvons l’arrêter ici, à Varsovie. » C’est avec un plaidoyer vibrant que le négociateur des Philippines a ouvert la 19e convention des Nations Unies sur le climat. « Un nouvel accord universel sur le climat est à notre portée », a alors insisté Christiana Figueres, secrétaire exécutive de la convention. Elle a pourtant décidé d’exclure trois jeunes militants de la conférence, pour avoir brandi des pancartes mentionnant les noms des provinces touchées par le typhon Haiyan et demandant « combien encore »... Parmi eux une Française, Clémence, 23 ans. Elle nous a transmis sa lettre envoyée à Christiana Figueres.

Chère Christiana [1],

Je suis Clémence, la jeune écologiste de 23 ans exclue de la COP19 pour avoir exprimé de la solidarité avec les Philippines. Comme vous n’avez pas répondu à notre première lettre, j’aimerais vous écrire plusieurs choses que j’ai toujours à l’esprit.

Comme vous pouvez l’imaginer, je ressens actuellement beaucoup de frustration, avant tout parce que cette situation est à mes yeux tout à fait absurde.

Hier, pendant la conférence inter-générations, vous avez dit à mes ami-e-s : « Je suis très reconnaissante du fait que vous êtes ici, et je sais que beaucoup d’entre vous ont fait d’incroyables efforts et sacrifices pour être ici, et je vous souhaite la bienvenue. » En effet, venir ici a été coûteux pour moi. J’ai pris un bus de Paris, pour éviter de prendre l’avion. J’ai voyagé 29 heures, et j’ai pris deux semaines de congé pour être ici – mon temps à Varsovie sera déduit de mes vacances.

J’ai eu la chance de vous rencontrer en juin à Istanbul, au Global Powershift. Votre discours à l’assemblée de jeunes était émouvant, vous nous demandiez de nous énerver, de nous battre. Nous battre pour notre futur. Vous nous avez parlé de vos filles.

Ces mots sonnent maintenant bien creux. Je sens de graves incohérences dans ce discours. Vous me dites de m’énerver, de me battre, de pousser les dirigeants… et vous m’expulsez le premier jour de la conférence pour avoir fait preuve de solidarité avec les Philippines.

Christiana, pensiez-vous vraiment ce que vous disiez à Istanbul ? Les actes pèsent plus que les mots [2]. D’après ce que je constate, les multinationales les plus polluantes ont plus leur place ici que la jeunesse [3].

J’aimerais pointer une deuxième incohérence dans votre discours. Pendant la conférence hier, en réponse à la question de mes ami-e-s pour savoir si nous pouvions rentrer, vous leur avez dit : « Je ne peux pas savoir si on peut les laisser rentrer, et quand. Car c’est une discussion que je dois avoir avec le service de sécurité, c’est à eux de me conseiller sur la décision à prendre. »

Je suis tout à fait d’accord. Cependant, le chef de la sécurité a été très clair : nous pouvions rentrer dès le lendemain. J’ai entendu dire que vous aviez pris cette décision personnellement.

Je pense qu’il y a des choses plus importantes à faire en ce moment. Nous n’avons que deux semaines par an pour négocier un accord sur le climat, et souvent, vous insistez sur le temps très court que cela représente. Vous dites aussi souvent : « J’ai une COP à diriger. » Je vous soutiens Christiana. Je vous prie de la diriger. Guidez nos dirigeants vers un accord ambitieux, juste, et contraignant.

Vous devez savoir qu’aujourd’hui, malheureusement, la société civile ne croit plus beaucoup en la conférence des Nations-Unies sur le changement climatique. Moi même je doute parfois de ma foi dans le système politique. Cela étant dit, je pense que cette conférence a un rôle clef à jouer pour pousser les gouvernements à éviter un dérèglement climatique catastrophique, et j’aimerais éviter que cela discrédite ou affaiblisse la conférence, ou que cela mène à un désengagement de la société civile.

C’est pourquoi je pense que le secrétariat de la conférence doit maintenant envoyer un message clair : que les négociations des Nations-Unies sont un lieu démocratique, où la société civile est la bienvenue, et les multinationales polluantes, dont le modèle économique est incompatible avec une action ambitieuse pour combattre le changement climatique, n’y ont pas leur place.
J’espère que ce message résonnera pour vous.

Sincèrement,
Clémence Hutin, Jeunes Amis de la Terre Europe, le 15 novembre 2013