Les « villes-éponges », entre mythe et réalités

Renforcer la résilience des villes face aux inondations et valoriser les eaux de pluie torrentielles… en se métamorphosant en gigantesque éponge ? Comme nombre de néo-concepts urbanistiques, la figure de la « ville-éponge », née en Chine, frise l'utopie. Tant mieux ?

« Des villes qui ont établi un lien entre infrastructure verte et implémentation de mesures de « développement à faible impact » avec un asset management efficace au sein d’une approche qui associe eaux de pluie et mitigation des inondations ». C’est ainsi que le Canadian Water Summit définit, tant bien que mal, le pourtant très évocateur concept de « ville-éponge ». La métaphore, en effet, est parlante : selon cette vision, la ville et ses infrastructures vertes doivent « absorber » les eaux de pluie et, plutôt que de les éliminer, les valoriser.

 

La Chine, aux avant-postes de la ville-éponge

Si le concept utopique a été pensé par l’architecte Peter Cook dans les années 1970, qui voit dans la « sponge city » le rêve d’une ville qui s’absorbe dans son paysage, c’est en Chine que le sens actuel du concept semble s’être concrétisé avec un programme national  lancé fin 2014. Son objectif ? Faire en sorte qu’à l’horizon 2030, 80% des aires urbaines locales soient capables d’absorber et de réutiliser 70% des eaux de pluie torrentielles qui les touchent. Les intentions de cet ambitieux plan étaient doubles : améliorer la résilience urbaine face aux fréquentes inondations torrentielles menaçant la grande majorité des métropoles chinoises, et sécuriser leur approvisionnement en eau.

Dans la boîte à outil des villes chinoises figure l’idée de substituer aux traditionnelles et coûteuses solutions de drainage des alternatives tirant profit du paysage urbain existant et/ou s’inspirant du cycle naturel de l’eau. À l’image de la pionnière Wuhan, ces villes-éponges conçoivent des jardins pluviaux et des toits végétalisés, aménagent des dispositifs de « bio-rétention » d’eau, pensent les trottoirs et les chaussées pour faciliter le ruissellement de l’eau, et, enfin, construisent des revêtements routiers perméables (ou poreux). Ces derniers, comme Taipei l’a bien compris, permettent de réduire les effets des îlots de chaleur urbains, et pourraient, à l’avenir, s’intégrer à des solutions connectées de gestion intelligente de l’eau.

 

Le grand essaimage de la métaphore spongieuse

Près de cinq ans après le lancement du plan, les infrastructures des villes, à Shenzhen en particulier, se sont « verdies ». Comme le note un des partenaires, le programme a permis la maîtrise des eaux de ruissellement et l’orientation du développement urbain vers des objectifs globalement plus vertueux.

Après son succès chinois, le modèle de la ville-éponge séduit les zones climatiques sur-exposées, des Caraïbes au Kenya, ainsi que dans les grandes mégalopoles telles que Berlin ou New York. La capitale allemande a noué un partenariat avec la ville de Copenhague qui, après un ravageur épisode pluvieux, avait dynamité les vieilles habitudes de design avec des « techniques de ville-éponge » afin de mieux gérer les eaux de ruissellement dans la ville. Ce gigantesque plan de près d’1,5 milliard de dollars inclut une expansion du réseau d’égouts mais, surtout, une panoplie de solutions « de surface », allant de la plantation d’herbe en remplacement de l’asphalte à la création de zones de rétention d’eaux temporaires ayant par ailleurs d’autres fonctions urbaines (comme des aires de jeux construites sous le niveau « zéro »). Le tout crée un réseau absorbant qui achemine, tout en les ralentissant, les eaux pluviales… Soit, en un mot, une authentique ville-éponge ?

Le modèle utopique de la « ville intelligente » est décrit comme un idéal auto-réalisateur correspondant au grand rêve de notre temps : celui d’une gouvernance liée à une « forme d’intelligence non-humaine investie de fonctions de contrôle et de régulation ». De même, l’utopie de la « ville verte » est peut-être celle d’un temps encore en train d’éclore, point de convergence entre la transition numérique et la transition écologique. Par son attrait métaphorique, le concept de « villes-éponges » permet de déplacer les imaginaires tout en inventant, dans le réel, de nouveaux modes de faire. Alors, les idées en elles-mêmes seraient-elles plus importantes que les solutions qu’elles apportent pour préparer les esprits à de nouveaux modes de vie ? « L’idée de créer un programme de gestion des eaux de pluie torrentielles pour tout New York est un peu intimidante », expliquait-on côté danois… Mais : « c’[était] déjà assez fou de le faire à Copenhague ! ». La « spongification », sous l’impulsion des municipalités et des spécialistes des infrastructures durables paraît bel et bien en marche, à la condition qu’elle parvienne à mobiliser l’investissement privé.

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