Êtes-vous prêts à renoncer à l'avion pour des raisons écologiques ?

Une manifestation pour lutter contre le réchauffement climatique à Londres en 2007 ©Getty -  Peter Macdiarmid
Une manifestation pour lutter contre le réchauffement climatique à Londres en 2007 ©Getty - Peter Macdiarmid
Une manifestation pour lutter contre le réchauffement climatique à Londres en 2007 ©Getty - Peter Macdiarmid
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Dans la foulée d'un mouvement né en Suède, le flygskam ou honte de prendre l'avion à cause de la pollution, de plus en plus de personnes réfléchissent à ne plus utiliser ce mode de déplacement, particulièrement lors de courts trajets.

Le mot-clé sur Twitter se répand depuis plusieurs mois : #Flygskam ou #Avihonte en français. Le mouvement est parti de Suède et décrit la honte de prendre l'avion au vu des conséquences écologiques d'un vol. L'industrie aéronautique représente aujourd'hui 2% des émissions globales de CO2, et 14% des émissions du secteur des transports. Et le trafic aérien mondial double tous les 15-20 ans, avec plus de 40 000 avions prévus dans le ciel dans 20 ans et 8,2 milliards de passagers en 2037, contre 4,1 en 2018.

De quoi faire réfléchir bon nombre de personnes en France qui envisagent également d'arrêter de prendre l'avion, particulièrement pour les vols internes ou sur des distances courtes. 

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Selon l'association du transport aérien international (IATA), les vols internes représentent 36% des vols dans le monde. Suite à notre appel, vous avez été très nombreux à vous prononcer sur Twitter et Facebook sur votre envie ou non d'arrêter l'avion. 

Emmanuel a répondu à cet appel sur Twitter et explique qu'il a arrêté l'avion depuis 15 ans, désormais, après avoir calculé son bilan carbone : "A l'époque, j'avais constaté que même en réduisant ma consommation de viande par exemple, le bilan était ruiné dès que je rajoutais un vol. Pourtant, dès que j'avais des vacances, mon premier réflexe était de prendre l'avion pour aller sur une autre continent. Cette prise de conscience a coïncidé avec une période où je ressentais une lassitude du voyage. Je me souviens avoir découvert le Machu Picchu avec des hordes de touristes et je m'étais demandé si c'était mieux que de le voir en photo." 

Quand j'ai dit à ma femme qu'on irait voir sa famille à Moscou en train, elle a trouvé ça bizarre !" Emmanuel

Aujourd'hui, l'avion ne lui manque pas : "J'ai pu penser mes voyages différemment avec le train, le bateau... Le voyage commence dès que j'ai franchi ma porte. Au début, ma femme a trouvé ça un peu bizarre, d'autant plus que sa famille est en Russie. Mais justement, quand on a découvert la Scandinavie en reliant Paris à Moscou par le chemin des écoliers, elle a trouvé ça super ! C'est plus difficile avec les amis qui n'ont pas toujours compris, ou même avec les collègues qui me prennent parfois pour un extra-terrestre. Heureusement, mon boulot me laisse le choix du moyen de locomotion quand je dois me déplacer et je prends toujours le train, même parfois le train de nuit !"

"Je ne suis pas sûr que ne plus prendre l'avion sauvera la planète"

D'autres salariés n'ont pas toujours l'embarras du choix. Colin est un commercial de la région stéphanoise. L'avion fait partie de son quotidien, il prend entre 50 et 60 vols par an en moyenne. Et même s'il constate depuis quelques temps une diminution de son utilisation de l'avion, c'est plus par contrainte économique que pour des raisons écologiques.

Colin prend en revanche moins l'avion pour ses déplacements personnels : "En général, je pars en voiture ou en bateau. Je ne privilégie pas l'avion, pour autant si je dois le prendre pour aller en Asie par exemple, je le prendrai. A mon sens, on met ce sujet en valeur comme si le fait de ne plus prendre l'avion pouvait sauver la planète, je n'en suis pas sûr. D'autant plus que les émissions de gaz à effet de serre sont plutôt limitées lorsqu'on prend l'avion par rapport à un gros bateau de croisière par exemple."

L'avion : le plus gros pollueur ?

Difficile d'apporter une réponse sans équivoque lorsque l'on s'intéresse à la question du moyen de transport le plus polluant. L'agence européenne pour l'environnement a calculé en 2014 les émissions moyennes de CO2 par km et par passager en tenant compte d'un taux de remplissage moyen. L'avion émettrait 285 grammes de CO2 par passager au km contre 104 pour la voiture et 14 pour le train.

Emissions de CO2 par passager par km
Emissions de CO2 par passager par km
- Agence européenne pour l'environnement

Toutefois, train, voiture et avion ne sont pas substituables sur tous types de trajet. L'avion se retrouve une nouvelle fois plus polluant si on compare les moyens de transport par heure de trajet. In fine, le transport aérien serait donc responsable de 2 à 3% des émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, la nocivité de certains autres gaz et notamment des oxydes d'azote n'est pas prise en compte. Ces effets sont à considérer avec une autre donnée : celle de l'augmentation du trafic aérien. Il pourrait doubler d'ici 2036 selon l'IATA et contribuer encore plus au réchauffement climatique. En 2018, Airbus a publié un graphique synthétisant cette croissance du secteur

Tous les 15 ans le trafic aérien double
Tous les 15 ans le trafic aérien double
- Airbus

Les compagnies aériennes promettent des mesures pour l'environnement

En 2016, l'organisation internationale de l'aviation civile (OACI), qui regroupe 192 pays, a mis en place un système de compensation des émissions de gaz à effet de serre baptisé Corsia. Il doit permettre une carbone-neutralité à partir de 2020, puis une réduction de moitié des émissions d’ici 2050 par rapport aux niveaux de 2005. Précisons que le secteur n'est pas soumis à l'accord de Paris sur le climat ni au protocole de Kyoto de 1995.

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La compensation du carbone n'est pourtant pas une baisse des émissions explique l'économiste et porte-parole d'Attac, Maxime Combes : "La compensation c'est de dire : en 2019, je relâche beaucoup de CO2 en prenant l'avion et je plante un arbre qui va absorber ce carbone sur 20 ou 30 ans. Et ce qui compte en matière de réchauffement climatique, c'est ce que vous relâchez aujourd'hui, pas ce qui pourra être stocké dans 40 ans ! Il faut rappeler que selon les spécialistes, nous avons 12 ans pour réduire nos émissions et même seulement 2 ans pour les pays les plus développés."

Vers une taxation du kérosène

Sur les réseaux sociaux, vous avez été nombreux à pointer du doigt le coût d'un trajet en avion par rapport à son équivalent en train. En France, pour un même trajet, l'avion est parfois le mode de déplacement le moins cher. Comme il est mécaniquement plus rapide, il est parfois privilégié par rapport au train et à la voiture pour ces raisons. 

Le prix des billets d'avion s'explique de deux façons : l'absence de taxe sur le kérosène et de TVA sur les billets. Eric Lombard est le coordinateur français du réseau d'ONG Stay Grounded ("Rester au sol" en français) qui milite depuis plusieurs années pour une taxation plus forte du kérosène en France et dans le monde. 

Une taxe qui est très mal vu du côté des compagnies aériennes qui craignent un coup porté à leurs marges et à leur compétitivité. Interrogé sur la question en janvier dernier devant la commission du développement durable de l'Assemblée nationale, les responsables d'Air France-KLM ont été très clairs : "une éventuelle taxation du kérosène pour les vols domestiques porterait atteinte à l'objectif de restaurer la compétitivité du transport aérien français" déclare le DG du groupe Benjamin Smith. De son côté, la présidente non-exécutive a renchéri devant ses anciens collègues (elle fut députée de 1993 à 1995) : "Si nous avions une taxation française sur le kérosène, ce serait dramatique car tous nos compétiteurs iraient faire le plein ailleurs qu'en France."

L'argument est également répété à l'envi par le gouvernement et la majorité. Certes, ils veulent se prononcent en faveur d'une taxation du kérosène. "Bien sûr qu'il faut une taxe ! Je pense que chaque secteur économique doit prendre sa part de l'effort" affirme la secrétaire d'Etat à la transition écologique, Brune Poirson. 

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Mais pas question de la mettre en place au niveau interne. Ce doit être fait à l'échelle européenne plaide la députée LREM de l'Essonne, Amélie de Montchalin, lors de la campagne pour les élections européennes : "C'est un sujet européen sur lequel nous comptons mettre le doigt. Pourquoi européen ? Car tous les vols moyen-courriers vont faire le plein de kérosène ailleurs qu'en France et nos compagnies vont se retrouver plus chères que les autres."

L'économiste d'Attac Maxime Combes plaide alors pour une mise en place sur les vols internes : "Si on craint la concurrence étrangère, instaurons cette taxe sur nos vols intérieurs. Il est peu probable que pour un Paris-Toulouse, la compagnie aérienne aille faire son plein en Allemagne. Elle le fera à Roissy ou Orly."

Des solutions sont sur la table

Lors de l'examen en séance publique de la loi LOM (loi d'orientation des mobilités), plusieurs députés de l'opposition ont déposé des amendements pour discuter de la taxation du kérosène sur les vols internes. L'un d'entre eux, déposé par l'ancienne ministre socialiste Delphine Batho (non-inscrite), prévoyait la fin de l'exonération de la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) du kérosène au 1er janvier 2020. Une trentaine de députés de la majorité ont également déposé des amendements en ce sens. Ils ont tous été rejetés lors de la séance publique (il s'agit des amendements 1350, 2850, 2437 et 3249).

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A l'Assemblée nationale, on a pu assister à une passe d'armes (lisible en entier ici) entre la ministre des transports, Elisabeth Borne, et le député communiste de Seine-Maritime, Jean-Paul Lecoq, dans le nuit de jeudi 13 à vendredi 14 juin.

- Elisabeth Borne : "Ces amendements tendent à taxer tous les vols internes, donc aussi vers la Corse et l'Outre-mer. [...] Ce sont les billets que l'on taxe, pas le kérosène."

- Jean-Paul Lecoq : "Cela veut dire que les navettes Paris-Marseille pourraient aller faire le plein à Turin ? Dans ce cas, ce raisonnement vaut pour tous les vols ! Vous prétendez qu'il faut agir au plan européen mais demain c'est à Jersey - qui sera hors de l'UE - que les avions iront faire le plein ! Votre proposition européenne ne tient pas !"

Autre piste pour l'économiste Maxime Combes, la suppression des liaisons aériennes très courtes : "aujourd'hui encore on peut relier Bruxelles à Amsterdam en avion. Cela représente 200km qu'on peut facilement faire en train et qui est aussi rapide." Plusieurs députés néerlandais ont d'ailleurs demandé il y a quelques mois la fin d'une telle liaison aérienne.

L'économiste Maxime Combes
L'économiste Maxime Combes
- Emmanuelle Marchadour

La même proposition a été faite en France par les députés François Ruffin (LFI) et Delphine Batho : ils proposent d'interdire l'avion s'il existe un trajet en train qui n'est pas supérieur à 2h30 de plus que la liaison aérienne. Les députés expliquent : "un aller-retour Paris-Marseille en avion émet 195 kg de C02 par passager. Ce même aller-retour effectué en TGV en émet près de 50 fois moins ! Chaque jour, environ quatorze avions décollent de l’aéroport Marseille-Provence pour rallier les tarmacs parisiens, et pour gagner au mieux deux heures, tout au plus. Deux heures qui coûtent donc cinquante fois plus de CO2. Plus de 20 % du trafic aérien en France est exclusivement métropolitain, et concerne majoritairement des villes bien reliées au réseau ferroviaire : les dix aéroports français les plus fréquentés sont situés dans des agglomérations desservies par des trains à grande vitesse."

La discussion sur cet amendement est disponible ici (à partir de 3h04). L'amendement a été rejeté. La ministre des transports, Elisabeth Borne a pris la parole pour s'en expliquer : "Personne n'a le monopole de la prise de conscience de l'urgence écologique. La disposition proposée serait manifestement contraire à la liberté d'entreprendre, à la liberté d'aller et venir et serait donc certainement inconstitutionnelle. Les français n'ont pas besoin d'interdiction par la loi ou la contrainte pour choisir le train quand il y a des offres performantes."

L'équipe