Afrique-Partenariat-Climat: « Il faut gérer les questions liées à l’inclusivité, l’équité, l’ouverture, la transparence »-Seyni Nafo

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Seyni Nafo-Crédit Photo:IISD

Afrique-Partenariat-Climat: « Il faut gérer les questions liées  à l’inclusivité,  l’équité,  l’ouverture, la transparence »- Seyni Nafo

Seyni Nafo, diplomate malien et  président du groupe africain à la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques décrypte les différentes relations entre entre l’Afrique et ses différents partenaires. La France est un maillon indispensable,  selon lui. A quelques jours des prochaines négociations à Bonn (Allemagne), en amont de la COP 23 prévue au mois de novembre prochain,  le diplomate malien  décrit les différentes actions du groupe africain et les perspectives du continent au niveau global.

 

Propos recueillis par Houmi Ahamed-Mikidache

25-04-2017

Concrètement, depuis la COP 22 , où  en êtes –vous dans la mise en place des actions de l’initiative pour l’accès à l’énergie en Afrique ?

Il y a quelques mois, le président de la Guinée-Conakry, Alpha Condé, présidant le conseil d’administration de cette initiative et président de l’Union Africaine,  a envoyé une correspondance à tous les chefs d’Etat africains pour leur demander de faire parvenir leurs projets prioritaires, disposant d’études de faisabilité  et en recherche de financement partiel. Il a envoyé une seconde lettre aux membres du conseil afin que chaque membre désigne deux experts. En fait,  le conseil d’administration est un conseil  africain de sept africains des régions du nord, de l’ ouest, de l’ est,  et du sud avec en plus  le président de la Banque Africaine de Développement et celui de l’Union Africaine, avec en plus deux membres non régionaux, l’Union Européenne et la France, au nom de l’ensemble des partenaires qui se sont engagés à Paris. Il devrait y avoir, en tout,  18 experts  (deux experts par représentant) ,  chargés d’adopter les éléments techniques, les règles de procédures, les critères de sélection,  et de commencer à prioriser le pipeline de projets. Nous sommes en ce moment dans une phase opérationnelle.

Comment va le groupe africain ? Est-il prêt à faire face à la demande des pays ?

Le groupe Africain est aujourd’hui assez bien structuré. La décision de  l’Union Africaine de créer trois commissions prouve que l’Afrique est bien structurée. Cette commission est dirigée par les  chefs d’Etat eux-même. Il  y a quelques semaines, j’étais à Rabat. J’ai rencontré le président du Niger, Mahamadou Issouphou qui préside la commission sur le sahel. « Il a pris  à bras le corps la réflexion ». Nous avons travaillé à l’élaboration d’une feuille de route. Le président Denis Sassou Nguesso a tenu, il y a quelques semaines,  une réunion sur  la création d’un fonds bleu dans le bassin du Congo. Le président Condé, lui, est en charge de l’accès aux énergies renouvelables. Il y a des résultats assez probants. Il y a un mouvement qui se passe, mené par les chefs d’Etat.

Y a-t-il des difficultés dans la mise en œuvre des actions liées à l’initiative d’accès à l’énergie en Afrique ?

Oui, Il y a  des difficultés à mettre en place ce type d infrastructure.  On est entre 75 à 80 pays, il y a autour de la table 55 pays africains,  tout le G7, l’Union Européenne,  et puis d’autres pays…Pour 55 pays africains, il y a 9 administrateurs qui représentent plus de 80 pays. Il y a donc des difficultés à  mettre en place un système comme celui-là. Il faut gérer les questions liées  à l’inclusivité,  l’équité,  l’ouverture, la transparence : ce n’est pas évident d’équilibrer tout ça.

Quel est le rôle de la France  ?

La France a un rôle assez  essentiel, pour au moins trois raisons. La première raison c’est que les engagements ont été pris à la COP 21. La présidente de la COP 21  se sent un peu dépositaire politique des engagements présentés à Paris. La ministre française de l’environnement,  Ségolène Royal  a rencontré une vingtaine de chefs d’Etat pour recueillir leurs projets prioritaires. La France s’est engagée, lors de la COP21 , à verser deux milliards d’euros . Suite au sommet France/Afrique , cet engagement a été réévalué  à trois milliards d’euros.  La France a mis  a disposition  six millions d’euros pour le fonctionnement de l’initiative d’accès à l’énergie en Afrique. A tous les niveaux,  la France  a fait un travail de plaidoyer extraordinaire auprès des chefs d’Etat africains, auprès de la Commission Européenne et d’autres partenaires. La déclaration de soutien à Paris de dix gigawatts, de dix milliards de dollars, c’est d’ailleurs  la France qui était à la manœuvre dans les négociations. Mais, avant même le début de cette initiative, la France a joué un rôle primordial.

Vous parlez du financement de l’initiative sur l’accès à l’énergie en Afrique, qu’en est-il du financement du fonds vert. La décision des Etats-Unis de ne pas contribuer au financement de ce fonds est-il un obstacle dans la mise en œuvre de vos actions   ?

Oui , cela pose un certain nombre de difficultés. Les Etats-Unis s’étaient engagés à investir trois milliards de dollars dans le fonds vert. Si,  sur leur promesse de trois milliards  ,  il n’y a qu’un milliard de décaissé,  alors que les Etats-Unis représentent quand même trente pourcent de la capitalisation du fonds [ un fonds doté de dix milliards de dollars de promesse], c’est inquiétant. La situation géopolitique ne s’est pas dégradée, elle a fondamentalement changé. Moi, je ne peux pas faire du « Trump bashing ».  Je suis en train de réfléchir aux moyens d’ avancer, aux résultats à obtenir…Au final, les chefs d’Etat l’ont bien compris. Il faut des résultats. Peut-être que sur le plan international, Donald Trump va arriver à réduire l’intérêt géostratégique ou géopolitique du sujet. Il n’empêche que les températures, l’année dernière, étaient les plus élevées, il n’empêche que l’alternance entre  sécheresse et événement extrêmes est toujours là, et s’intensifie en Afrique. La croissance démographique ajoutée au changement climatique est un cocktail mortel.  Mais quoi qu’il arrive,  Donald Trump ou pas  Donald Trump, finance climat ou pas,  l’Afrique doit  intégrer la question  du climat dans la planification du développement, si elle veut avoir une chance de se développer. Nous n’avons pas le choix, quelque soit les vicissitudes de la géopolitique,  de trouver des solutions, de maintenir la dynamique que nous avons adoptée. Dans le contexte actuel, j’essaye de voir ce qui est possible. Je ne crache jamais sur l’avenir. En tant que diplomate, dans le processus multilatéral,  il ne faut jamais refermer les portes. On est pas des ONG, on doit voir comment on doit avancer. Je ne tiens pas le langage des ONG qui parlent  d’une certaine manière. Au final, il y a des liens qui se nouent. Ce n’est pas l’ennemi.  La  position des Etats-Unis  sur le fonds vert est connue. Mais, notre champs de travail mutuel est assez large, il faut qu’on travaille ensemble.  Nous travaillons d’ailleurs sur plusieurs sujets avec eux, au quotidien. A noter qu’ils  ne se sont pas retirés du processus, de l’Accord de Paris. Donc on continue…

Vous avez rencontré récemment le nouveau directeur du Fonds Vert pour le Climat, Howard Bamsey ? Que ressort-il de votre réunion ?

J’ai rencontré le directeur du fonds vert et tout son staff pour exposer la nouvelle diplomatie du climat que l’Afrique met en œuvre.  J’ai demandé une coopération stratégique avec le fonds. Le directeur se dit disponible  à accompagner l’Afrique. Nous allons, en principe, organiser vers le mois d’octobre le deuxième dialogue entre l’Afrique et le fonds à Bamako. Donc, je voulais aussi commencer un travail de préparation, une présentation des pipelines de projets ambitieux et matures  pour qu’on puisse  se retrouver au mois d’octobre dans  de bonnes conditions. Aujourd’hui, on a un pipeline d’une valeur de quatre milliards de dollars. Je trouve que nous devrions avoir une base de projets plus importante,  10 fois plus importante. Mais, il faut véritablement accompagner les pays,  mettre en place des dispositifs, structurer  les priorités et développer les programmes.

Vous y arrivez ?

C’est très difficile, parce que les pays ne sont pas les mêmes. Les infrastructures ne sont pas les mêmes. L’Afrique ce n’est pas un bloc homogène. C’est plusieurs blocs. Il y a des pays qui sont très  en avance. Les résultats ne sont pas les mêmes en fonction des cinquante- cinq  pays. Il y a des pays  très structurés, qui ont tout ce qu’il faut, comme l’Afrique du Sud, le Maroc, et qui n’ont pas besoin d’initiative d’accès à l’énergie. Ils n’ont d’ailleurs pas besoin du groupe africain pour mobiliser les ressources et structurer les projets. Mais, une grande partie des Pays comme les Pays les Moins Avancés (PMA)  ont besoin d’appui d’un certain nombre de dispositifs, d’incitations. Ils ont besoin d’être structurés pour avoir accès aux ressources qui leur permet de mettre en œuvre leurs projets. En tant que président du groupe, c’est  ma préoccupation première. Il me reste encore quelques mois pour mettre toute mon énergie dans l’accompagnement des pays, dans  cet agenda de mise en œuvre.

Où positionnez-vous la Chine dans le processus de l’Accord de Paris ?

La Chine est quand même proactive.  Ses engagements sont assez significatifs. Je ne pense pas que cela va changer. Je crois que la position fondamentale de la Chine n’oscillera pas. Ce qui pourrait changer ce sont les négociations techniques. Puisque la relation de confiance avec les américains sera différente…On pourrait voir la Chine adopter une position assez conservatrice, avec des résultats bien en de- ça de ce qui est demandé par la science. C’est certain qu’il y aura des conséquences, si les Etats Unis se retirent de l’Accord de Paris. Il y aura un impact  dans les négociations, dans les positions que la Chine va prendre. Même s’il faut le souligner, il y avait une relation fusionnelle entre les deux pays, entre le président Chinois, Xi Jinping, et l’ancien président des Etats-Unis, Barack Obama. Rappelez-vous, ils ont signé conjointement deux communiqués et ont déposé en même temps leurs instruments de ratification. Mais, à partir du moment où  les positions  sont  diamétralement opposés, c’est différent.

Et le Canada, où le voyez-vous dans  cette nouvelle configuration ?

L’arrivée du Premier Ministre du Canada  Justin Trudeau a été positive, rafraichissante et  salutaire. Même en terme d’engagement en terme de finance climat. L’enveloppe promise par ce pays est de 2,6 milliards. C’est l’une des rares fois où les Etats-Unis et le Canada ont des positions diamétralement opposées. Dieu merci, c’est rafraichissant.

Le Canada, comme la France fait partie de la coalition internationale sur le prix du carbone. Où en est l’Afrique ?  Que pensez-vous de l’initiative de Fabrice Le Saché, coordinateur de l’index Up40 et cofondateur d’Aera group, un groupe qui s’est prononcé pendant la COP 21, pour la mise en place d’un prix plancher du carbone en Afrique ?

Les initiatives de mise en place d’un prix carbone en Afrique, sont rares, les pays concernés sont minimes. On les compte sur les doigts d’une main.  Ce n’est pas une priorité absolue pour l’Afrique. Il y a des pays  qui sont très engagés, d’autres moins. Il y a aussi une coalition internationale avec des pays qui se sont engagés certes. La prochaine  négociation à Bonn, prévue en mai, permettra certainement d’aborder  le fameux  l’article 6* de l’accord de Paris sur les mécanismes de marché  et  il y aura des choses assez intéressantes à discuter.

Quel est l’enjeu de la conférence de  Bonn en Mai ?

C’est le départ des négociations. A Marrakech, on s’est mis d’accord sur la feuille de route, on s’est mis d’accord  sur  le fait que il faudrait que les règles et procédures et modalités soient finalisées pour 2018. A Bonn, on va rentrer dans la négociation de ces règles et procédures. Depuis le début de l’année, les pays soumettent leur positions et  perspectives. Bonn c’est en fait le point de départ des négociations thématiques et sectorielles.

Le groupe Africain est-il  prêt ?

On a commencé à soumettre nos soumissions. Sur ce point-là, je n’ai aucune inquiétude sur  notre capacité à défendre le continent à un niveau assez élevé.

 

*L’article 6 consiste à traiter du Mécanisme de Développement Propre issu du protocole de Kyoto. Il s’étend à tous les pays. Il reconnaît l’échange de permis d’émission, mais cet aspect reste à être défini. D’après la convention cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques, « le MDP intéresse aussi bien les pays riches que les pays pauvres et des mesures ont été prises pour le rendre opérationnel avant même l’entrée en vigueur du Protocole. Il est particulièrement rentable et offre un degré de flexibilité aux pays développés essayant d’atteindre leurs objectifs. Il peut être plus efficace  pour eux d’effectuer un travail utile sur le plan environnemental dans les pays en voie de développement que chez eux localement où, la terre, la technologie et le travail sont généralement plus chers. Les bénéfices pour le climat restent les mêmes. » A noter que les Etats-Unis et la Chine n’ont pas ratifié le protocole de Kyoto. Ce protocole est entré en vigueur en 2005 et n’a pas été respecté.

 

 

 

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