Guet Ndar est un quartier de pêcheurs. Il est situé sur la Langue de Barbarie, une bande de terre s'étendant du Nord au Sud de Saint-Louis et formant une barrière naturelle entre le Fleuve Sénégal et l'Océan Atlantique.
Abibatou Mbaye est née et a toujours vécu dans ce quartier.
Le 18 mars 2018, elle a perdu l’usage de ses jambes. Ce jour-là, des vagues déchainées ont causé l’effondrement d’un des murs de la maison.
La jeune femme, d’une trentaine d’années, et six autres membres de sa famille ont été grièvement blessés. Abibatou marche désormais à l’aide de béquilles.
Son beau-frère, Amadou Diop, nous guide vers ce qu’il reste de la maison à travers les ruelles escarpées de Guet Ndar. A l’intérieur, dans une courette plus de cinq personnes s’affairent. On entend le bruit des vagues qui finissent par éclabousser tout le monde.
Plus tard, nous le retrouvons en compagnie de ses voisins à la place publique du quartier. Ils ont tous la soixantaine dépassée et ils n'ont pas souvenance d'une tragédie pareille. Durant leur jeunesse, la mer était très loin des maisons.
Habibou Diaw, un voisin de Amadou, explique les effets de l'avancée de la mer.
Birane Mbaye est arrivé à Goxou Mbathie à l'âge de quatre ans.
A l'époque le quartier de pêcheurs venait d'être créé. Ses parents ont quitté Guet Ndar pour s'installer ici en 1977.
Cet ancien pêcheur a changé de métier après une altercation en mer avec des gardes-côte mauritaniens.
A quarante quatre ans, le pêcheur a acquis une très bonne connaissance de la mer.
Selon lui, l'avancée de la mer et l'érosion cotière ont surpris beaucoup de monde à Saint-Louis.
Sur la plage de Goxou Mbathie, des ouvrages initiés par la société française Eiffage visent à faire reculer la mer.
Il s’agit de routes secondaires mais surtout de filets en fer remplis de bêtons disposés le long de la berge.
Une solution provisoire pour éviter que la mer n'emporte tout sur son passage.
Birane Mbaye n’est pas convaincu par cette initiative de l’entreprise française.
Lors de sa visite au Sénégal en février 2018, le président français, Emmanuel Macron, a annoncé une aide de 15 millions d’euros pour financer la construction de cette digue contre l’érosion côtière à Saint Louis.
Le coût global du projet est estimé à 27 milliards de Fcfa. La construction de la digue est cofinancée par la France et la Banque mondiale. Elle est confiée à la société Eiffage.
Sur la plage de Goxou Mbathie, Lamine Diakhaté, un vieux pêcheur est assis dans sa pirogue en train de réparer des filets. Cet homme a peur pour l’avenir de sa famille. Sa maison est proche de la plage et est directement menacée par les eaux.
A la sortie de la ville de Saint-Louis, sur la route qui mène à l'université Gaston Berger, des installations temporaires en paille et des tentes en bâche bleus meublent le décor.
Cette zone fait partie de l'estuaire du fleuve Sénégal qui s'y déverse en période de crue.
Il s’agit d’un camp de déplacés appelé « Khar Yalla » qui signifie "en attendant Dieu" en langue wolof.
Les déplacés des quartiers de pêcheurs de la Langue de Barbarie s’entassent ici dans des tentes de fortunes installées à même le sol.
Ils sont soutenus par les autorités municipales, le gouvernement du Sénégal et la Croix-Rouge.
Au milieu des installations provisoires, un groupe d’hommes et de femmes engagent une discussion très animée.
L'un d'entre eux est en train d'écrire sur une feuille blanche mais les cris et les plaintes l'empêchent de se concentrer.
Chacun veut faire entendre sa voix.
L'homme qui écrit s'appelle Baye Mamadou Thiam. Il est en train d'établir une liste de bénéficiaires d’une aide offerte par une ONG.
Il y a des doublons et des gens inscrits sans être résidents du camp. C’est ce qui explique les disputes et querelles.
Papa Niang est recasé à Khar Yalla avec sa femme et ses trois enfants.
Il s'est installé ici quand sa maison s'est effondrée à Santhiaba, un des quartiers de pêcheurs de Saint-Louis, situé sur La Langue de Barbarie.
Il vit dans cette tente de quatre mètres carrées avec sa femme et leurs enfants depuis août 2017.
Emilie Ndiaye et sa petite fille ont quitté Guet Ndar où leur maison a été complétement détruite par les vagues.
A peine arrivées, elles font face au dénuement total sur les lieux. Il n'y a ni meuble, ni bagage dans les tentes qu'on leur propose mais pour elle c'est mieux que de risquer sa vie face à la mer.
Ces recasés sont soutenus par la Croix-Rouge.
L'organisation a construit des installations provisoires en paille et a aussi doté le site de toilettes et de cuisines de fortune.
Les recasés de Khar Yalla font aussi face à une autre difficulté: ils sont obligés de retourner à La Langue de Barbarie chaque matin pour leurs activités économiques.
Les recasés sont majoritairement des pêcheurs et leur vie est liée à la mer.
Leurs enfants sont tous scolarisés dans les écoles de Saint-Louis.
Ils sont donc obligés de faire la navette entre Khar Yalla et Saint-Louis, plus de dix kilomètres par jour.
A 30 kilomètres au sud de la ville de Saint-Louis, se trouve la commune de Tassinéré Gandiole. Dans cette paisible bourgade située près du Parc de La Langue de Barbarie, un phènomène extraordinaire s'est produit en 2003. Les populations se sont réveillées et ont trouvé la mer à la place du fleuve.
Ce phénomène est la conséquence directe de l'ouverture d'un canal sur la bande de terre séparant l'océan du fleuve à Saint-Louis. Cette brêche a été réalisée par des ingénieurs marocains sur demande du président Abdoulaye Wade en 2003.
Elle devait sauver Saint-Louis d'une inondation qui avait dépassée la cote d'alerte. Mais depuis 15 ans, ce canal ne cesse de s'élargir. Elle mesure maintenant 7 km et commence juste en face de la commune de Tassinéré.
La brèche hante le sommeil de milliers de personnes qui ont vu leur mode de vie complètement bouleversée par le remplacement du fleuve par la mer. Des villages entiers sont rayés de la carte; des activités économiques et touristiques fortement perturbées.
Mamadou Lamine Fall est un habitant de Tassinéré Gandiole. Sa mère et son père son nés dans cette commune jadis située aux bords du fleuve Sénégal. Depuis 2003, il vit sous la menace de la houle et des vagues. Sa maison située juste en face de la plage est désormais un champs de ruine. Il ne reste plus rien. Les quatre chambres ont été complétement détruites par les vagues. Il vit désormais dans une tente au milieu des ruines.
Le professeur Boubou Aldiouma Sy, géomorphologue à l'Université Gaston Berger de Saint Louis explique pourquoi les côtes sénégalaises sont vulnérables face à l'avancée de la mer.
Selon lui, pour faire face à l'avancée de la mer il faut construire des brises-lames et des épis pour créer des dépôts naturels sur la plage.
En attendant qu'une solution durable soit trouvée, les pêcheurs de Saint-Louis essayent "d'arrêter la mer avec leurs bras".