Sylvie Lewicki : « Pour développer durablement le Sahel, il faut transformer les contraintes en opportunités »

Regard d'expert 21 février 2019
Face aux changements climatiques, dans un contexte de croissance démographique qui reste élevée, les pays du Sahel sont exposés de façon accrue aux contraintes socio-économiques et environnementales. Entretien avec Sylvie Lewicki, directrice régionale du Cirad en Afrique de l’Ouest Zone sèche sur ces enjeux et l’engagement du Cirad aux côtés de ces pays.

Au Sahel, deux habitants sur trois vivent en milieu rural. Ils tirent leurs moyens de subsistance de l’agriculture pluviale et du pastoralisme. Le Cirad œuvre au développement de ces deux secteurs au travers de ses activités de recherche et d’innovation qu’il mène en partenariat. Quels sont, dans cette région particulière du globe, les enjeux au cœur de ces actions ?

Sylvie Lewicki : Le Sahel représente une région située au sud du Sahara, du Sénégal à Djibouti. On y trouve essentiellement trois zones qui se différencient notamment par leur pluviométrie allant de très faible à modérée.

Au-delà du climat, à la fois contraint et contrasté, le Sahel cumule plusieurs aléas : les terres y sont fragiles, les sols agricoles se dégradent et une compétition croissante pour les ressources menace la coexistence pacifique des communautés. Les changements climatiques aggravent cette situation.

Mais si cette image du Sahel est commune, celle d’une région d’opportunités, capable de répondre à ces défis est tout aussi indéniable. Pour développer durablement le Sahel, il faut se mobiliser pour transformer les contraintes en opportunités !

En valorisant des pratiques agricoles paysannes, en les enrichissant des innovations issues de la recherche, basées sur les principes de l’agroécologie, les pays du Sahel peuvent faire prospérer une agriculture durable. Donner des emplois attractifs aux millions de jeunes africains est également un enjeu crucial. Cette jeunesse constitue une ressource, une chance inouïe !

Quels sont les principaux leviers de développement sur lesquels le Cirad engage ses forces de recherche au Sahel ?

S. L. : Le premier levier de développement, fondateur des autres, est l’éducation et la formation des 380 millions de jeunes qui arriveront sur le marché du travail d’ici 2030, 30 millions chaque année ! Le défi du Sahel et plus largement de l’Afrique subsaharienne sera de leur fournir des emplois et un revenu. C’est primordial ! C’est pourquoi la formation est au cœur des préoccupations du Cirad. Il s’agit de renforcer les capacités des institutions de recherche, mais aussi des organisations professionnelles et non gouvernementales. Nous cherchons aussi à contribuer à la modernisation des formations professionnalisantes en valorisant les acquis de la recherche. Les processus d’innovations constituent un objet de recherche mais certains projets vont jusqu’à l’accompagnement à la création d’entreprises innovantes. Nous sommes dans le souci permanent d’assurer un continuum entre la production de connaissances et d’innovations et la formation qui constitue un levier essentiel vers l’impact et le développement.

Les deux tiers de ces nouveaux actifs vivront en milieu rural. L’agriculture jouera donc un rôle pivot dans l’accès de ces jeunes au marché du travail, dans le développement des pays du Sahel et dans la stabilité du continent.

Un autre levier majeur de développement au Sahel est l’aménagement hydroagricole et des cultures irriguées. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’eau est présente au cœur même du Sahel avec de grands fleuves : le fleuve Sénégal, le fleuve Niger ou le Logone-Chari, et des lacs comme le Lac Tchad. La gestion de l’eau permet d’améliorer la stabilité de la production agricole de l’intensifier et de diversifier les cultures, ce qui est crucial pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations du Sahel.

Au Sahel, le Cirad concentre également ses efforts sur l’agroécologie pour l’amélioration des systèmes agro-sylvo-pastoraux. Mais il faut également favoriser les filières et les marchés générant une forte valeur ajoutée.

Il s’agit en particulier de valoriser les produits issus du pastoralisme et notamment le lait. Les questions foncières constituent un autre questionnement de recherche pour le Cirad. Elles intègrent la gestion des conflits entre agriculteurs sédentaires et éleveurs nomades

Les questions de santé animale, enfin, se posent encore au Sahel. Néanmoins, il faut noter de grands succès comme la lutte contre les trypanosomoses, maladies véhiculées par les mouches tsé-tsé ou la peste des petits ruminants, qui ont permis de développer l’élevage en Afrique sub-saharienne. Avec l’élimination récente de la mouche tsé-tsé dans les Niayes au Sénégal, par exemple, une hausse de la production bovine équivalente à 2,8 millions d’euros par an est attendue.

Comment, d’un point de vue institutionnel, le Cirad s’implique-t-il dans la zone sahélienne ?

S. L. : La présence historique du Cirad dans les pays Sahéliens fait suite à celle des instituts de recherche qui ont mené à sa création - l’Institut de recherche sur les huiles et oléagineux-IRHO à Bambey au Sénégal, l’ Institut de recherche du coton et des textiles-IRCT à Bébédjia au Tchad, créés dans les années 1940, les Laboratoires de médecine vétérinaire de Fracha au Tchad ou de Dakar-Hann au Sénégal créés au début des années 1950. Ce sont les plus anciens mais il y en a d’autres.

Aujourd’hui, avec plus de 40 cadres scientifiques du Cirad en poste, les pays du Sahel constituent la zone du monde qui rassemble le plus grand nombre d’expatriés rattachés à l’établissement. Cette zone est prioritaire pour la France mais aussi pour l’Europe et l’ensemble de la communauté internationale. Au Sahel, le Cirad œuvre de concert avec ses partenaires historiques parmi lesquels on trouve l’Institut d’économie rurale (IER) au Mali, l’Institut de l’environnement et recherches agricoles (Inera) au Burkina Faso ou encore l’Institut sénégalais de recherches agricoles (Isra). Ensemble, ils cherchent à atteindre les objectifs de développement rural et de sécurité alimentaire fixés dans le cadre de l'Alliance Sahel*. Récemment, dans ce contexte, l’établissement a signé, de même que ses partenaires sahéliens, la Déclaration de Ouagadougou pour la recherche agricole au Sahel.

* Créée en 2017 à l’initiative de la France de l’Allemagne, l’Alliance Sahel est composée de douze bailleurs. Elle mise sur une approche de coopération entre les grands partenaires du développement et les États du G5 afin d’accélérer la mise en œuvre d’actions de développement qui correspondent directement aux besoins exprimés par les populations. Elle intervient au Burkina Faso, au Mali, en Mauritanie, au Niger et au Tchad.