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Coumba Diakité, la Malienne qui fait des pneus sa matière première

Ces femmes d’affaires qui mettent l’Afrique en boîtes (5/5). Avec By’Recycl, Coumba Diakité transforme les pneus usagés. Une idée prometteuse, tant le vieux caoutchouc pollue les rues de Bamako.

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Publié le 03 août 2019 à 07h00, modifié le 03 août 2019 à 19h17

Temps de Lecture 4 min.

Coumba Diakité (compte Facebook officiel).

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme… Depuis dix-huit mois, Coumba Diakité a fait sienne cette phrase attribuée au chimiste Laurent Lavoisier. Une sentence que la jeune Malienne n’applique pas aux solutions des éprouvettes, mais aux pneus usagés dont elle a fait sa matière première, notamment pour la fabrication de canapés et de fauteuils.

Rien ne prĂ©destinait pourtant la jeune femme Ă  imaginer un futur pour les vieux pneus. En 2012, elle rentre de Tunisie, une licence d’informatique et gestion en poche, dĂ©croche un emploi salariĂ© temporaire, avant de se marier. Si, jusque-lĂ , elle reste sur l’autoroute dont a rĂŞvĂ© pour elle sa famille, celle d’un emploi en col blanc dans un bureau climatisĂ©, c’est pendant sa première grossesse qu’elle prend le premier chemin de traverse en s’ouvrant Ă  l’environnement.

« J’aime apprendre Â», confie celle qui s’ennuyait un peu Ă  la maison en attendant l’arrivĂ©e de son premier enfant et s’inscrivit Ă  un MOOC – ces cours en ligne ouverts Ă  tous – de l’universitĂ© de Laval, au QuĂ©bec, sur les enjeux du dĂ©veloppement durable. Cette formation et la naissance de son bĂ©bĂ© agissent comme un rĂ©vĂ©lateur et lui donnent envie de changer son environnement direct. « Franchement, comment aurais-je pu continuer Ă  supporter qu’on brĂ»le les dĂ©chets autour de moi au risque d’empoisonner tout le monde ?, demande-t-elle aujourd’hui. Comment peut-on laisser polluer cet air qu’on respire tous, sans rien dire ? Comment peut-on dĂ©truire ainsi la planète qu’on laissera Ă  nos enfants ? Â»

Toilettage

Une fois que ces questions se sont imposĂ©es Ă  elle, la jeune maman sait qu’elle a trouvĂ© sa voie. Consciente que le gouvernement malien ne peut pas tout faire et que chaque citoyen doit aussi se battre contre le non-retraitement des dĂ©chets, elle s’investit corps et âme dans la lutte contre la dĂ©gradation de l’environnement. « Je commence Ă  travailler sur ma ville et mon pays, mais je sais que l’enjeu est plus large et que mes rĂ©ponses pourront ensuite s’appliquer ailleurs Â», insiste-t-elle.

Au Mali, seuls 25 % des dĂ©chets sont retraitĂ©s. Il n’y a pas encore de politique globale, mĂŞme si le gouvernement, aidĂ© par la Banque mondiale, a investi 6 milliards de francs CFA (9,14 millions d’euros) pour crĂ©er une dĂ©charge finale moderne. Mais le chemin Ă  parcourir avant son ouverture reste long et semĂ© de mille embĂ»ches. En attendant, les rebuts s’accumulent toujours dans les rues de la tentaculaire Bamako oĂą vivent dĂ©jĂ  plus de 2,5 millions de personnes sur un total de 18,54 millions de Maliens.

Consciente que les dĂ©chets sont multiples, et qu’elle ne peut s’attaquer Ă  tout Ă  la fois, Coumba procède par Ă©limination et s’arrĂŞte sur ces vieux pneus, omniprĂ©sents, qui polluent les paysages urbains lorsqu’ils sont abandonnĂ©s, et l’air lorsqu’ils sont brĂ»lĂ©s. Au Mali, ces rebuts sont souvent le fait des nombreuses sociĂ©tĂ©s minières qui utilisent beaucoup de matĂ©riel de travaux aux larges roues. De plus, « comme ce sont des objets constituĂ©s de 80 % de plastique, il faut compter cinq cents ans pour qu’ils se dĂ©gradent Â», rappelle l’environnementaliste.

Cette statistique n’a pas été pour rien dans la maturation de son projet et l’a guidée doucement vers l’idée que l’élasticité du produit en ferait des salons très confortables… Début 2018, son concept est fin prêt. Elle lance By’Recycl pour offrir une nouvelle vie à ces masses caoutchouteuses après une radicale mise en beauté dans son atelier.

La jeune femme qui, hier, dĂ©tournait les yeux de ces dĂ©tritus, les cherche dĂ©sormais. Quand le pneu arrive chez elle, elle adore le requinquer, lui qui a dĂ©jĂ  Ă  son actif une ou deux vies. Les « yougou yougou Â» ou « au revoir la France Â», ont en effet commencĂ© sur les routes europĂ©ennes avant d’être exportĂ©s en Afrique, oĂą ils sont parfois prĂ©fĂ©rĂ©s Ă  leurs concurrents chinois, vendus neuf au Mali mais jugĂ©s de moins bonne qualitĂ©.

« Faire les choses dans l’ordre Â»

Dans son atelier, Coumba vĂ©rifie d’abord que leur niveau d’usure en fera encore de bons socles de base. Trop Ă©clatĂ©s, ils ne pourraient pas ĂŞtre travaillĂ©s. Ensuite, elle les toilette puis les mesure pour savoir quel diamètre de structure en bois sera nĂ©cessaire afin de les habiller. « Je travaille avec quatre menuisiers et suis très fière d’avoir crĂ©Ă© des emplois Ă  Bamako Â», raconte la jeune femme dĂ©jĂ  capable de retraiter 50 pneus par mois.

Si les commandes ne se bousculent pas, elle a quand mĂŞme dĂ©jĂ  vendu des produits dans des entreprises et quelques hĂ´tels. Elle mise dĂ©sormais sur son statut de membre du groupe des 54 femmes distinguĂ©es en 2019 par le forum Women in Africa (WIA) pour voir son business s’élargir. « Je suis dĂ©sormais prĂŞte Ă  passer Ă  la dimension supĂ©rieure, car c’est nĂ©cessaire. L’économie circulaire est l’une des clĂ©s pour sauver la planète. Ce n’est pas en dilapidant les matières premières qu’on parviendra Ă  faire cohabiter 9 milliards d’humains bientĂ´t. Il ne faut plus jeter mais transformer les objets usagĂ©s Â», milite-t-elle.

Une création By’Recycl en pneus recyclés (Photo COmpte Facebook officiel By’Recycl).

Autour d’elle, Coumba DiakitĂ© sent parfois encore le doute planer. « J’aime l’idĂ©e d’entreprendre, confie-t-elle. Mon mari l’accepte très bien aussi, mais je sais que c’est parce que j’ai fait les choses dans l’ordre : en me mariant d’abord et en ayant deux enfants avant de monter mon affaire. Pourtant, j’entends encore autour de moi des personnes dubitatives, pour qui je devrais avoir un emploi salariĂ©. Cela reste la norme dans beaucoup d’esprits masculins. Plus encore parce que je suis diplĂ´mĂ©e de l’enseignement supĂ©rieur Â», regrette la jeune femme. Un regret qui pèse peu, car, au fil des ans, elle a appris le discernement, persuadĂ©e aujourd’hui qu’il faut savoir faire mentir la tradition.

Sommaire de notre série Ces femmes d’affaires qui mettent l’Afrique en boîtes

Du Cameroun au Mali en passant par le Sénégal et la Sierra Leone, le Monde Afrique vous emmène à la rencontre de quelques-unes de ces femmes entrepreneuses qui n’azttendent pas de trouver un emploi salarié pour faire bouger leur communauté et leur continent.

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