DOSSIERS \ Les femmes de la Méditerranée en mouvement En Croatie, les femmes se battent contre l’Eglise pour conserver leurs droits sexuels et reproductifs

Rada Boric est une militante féministe croate, conseillère municipale et membre de la Women’s Court. Elle dénonce l’influence négative de l’Eglise catholique sur les droits reproductifs et sexuels et pointe l’importance d’une justice féministe auprès de laquelle les femmes peuvent témoigner sans être jugées.

Quelle est la situation des droits des femmes en Croatie ?

La Croatie vit une régression des droits des femmes dans beaucoup de domaines. Notre pays est entré dans l’UE en 2013. Nous sommes un Etat laïc, mais l’influence de l’Eglise catholique est grandissante. En 1990 quand la Croatie est devenu indépendante de la Yougoslavie, une guerre a éclaté. L’Eglise catholique a permis au pays de garder son identité culturelle. Donc quand nous avons eu notre première Constitution, nous y avons inscrit : «En Croatie, vivent les Croates et les autres ». « Les autres » ce sont les minorités. Les femmes font bien sûr toujours partie du groupe des « autres ». L’Eglise catholique enracinée dans le nationalisme menace tous les jours les droits des femmes, notamment les droits sexuels et reproductifs.

Un référendum a fait entrer la définition du mariage dans la Constitution : uniquement entre un homme et une femme. Pourquoi la définition du mariage est-elle constitutionnelle ? La constitution a pour but de défendre les droits fondamentaux ! Les personnes qui ont fait entrer la définition du mariage dans la constitution ont créé « la marche pour la vie ». Elles ne disent pas qu’elles sont contre l’avortement, elles disent qu’elles sont pour la vie, car pour elles, la vie est sacrée et  commence dès la fécondation. Elles font circuler des fakes news sur l’avortement. Elles militent, manifestent en face des hôpitaux pratiquant les avortements en arguant que la voie publique appartient à chacun.e. Les femmes qui avortent doivent prendre une décision difficile, et lorsque qu’elles arrivent à l’hôpital, elles trouvent des manifestant.e.s avec des pancartes exhibant des images destinées à heurter leur sensibilité. Ces personnes ouvrent des cliniques, officiellement pour pratiquer des avortements, mais lorsque les femmes s’y rendent, elles essayent de les faire changer d’avis.

Notre loi sur l’avortement est appelée : Loi sur les services médicaux, car il s’agit d’un service médical ! Il y a des régions de Croatie où vous ne pouvez plus trouver un.e gynécologue en hôpital qui accepte de pratiquer des IVG car les médecins font jouer la clause de conscience. Nous ne sommes pas contre les médecins qui avancent que l’avortement est contre leurs valeurs, mais nous pensons que dans ce cas l’hôpital doit s’assurer de mettre à la disposition des patientes un.e autre gynécologue qui acceptera de pratiquer l’opération. Maintenant certain.e.s pharmacien.ne.s font jouer leur clause de conscience pour refuser de délivrer des contraceptifs. C’est une situation hypocrite !

Il n’y a aucun raison de se battre contre l’IVG. Il y avait autant d’avortements clandestins avant sa légalisation qu’il y en a maintenant.

Nous nous battons pour un droit à un avortement sécurisé ! Je ne veux pas voir des femmes passer la frontière pour pratiquer une IVG comme j’ai vu des Yougoslaves, dans les années 1990, venir en Croatie pour recevoir des soins. Ma mère me disait que dans les années 1960, c’était les Françaises qui se rendaient en Croatie pour se faire avorter !

En ce qui concerne le travail, les femmes ont les emplois les plus précaires. La plupart d’entre elles sont en CDD. Cela signifie que pour garder leur travail elles doivent être d’obéissantes petites filles, accepter le harcèlement sexuel. Ce manque de sécurité rend les gens encore plus méfiant lorsqu’ils voient arriver les réfugié.e.s.

 

Quel est le travail de la Women’s Court ?

La Women’s Court est une justice alternative. Les femmes sont trop souvent traitées comme des objets par la justice institutionnelle. Elles ne sont jamais crues par les juges : par exemple lorsqu’elles portent plainte pour viol, il leur est très difficile de prouver le crime.

Nous voulions une justice féministe.

Nous voulions créer une zone sécurisée, dans laquelle les femmes peuvent raconter, sans être jugées, ce qui leur est arrivée. Elles sont sujets de la justice féministe et non plus objets de la justice institutionnelle.

La Women’s Court est un espace pour les femmes où elles peuvent faire porter leur voix et témoigner des injustices qu’elles ont subies pendant la guerre ou bien maintenant. Nous encourageons tous les témoignages portant sur les injustices : la pauvreté, l’exploitation au travail, la dérégulation des lois du marché, les menaces sur la santé, les abus des pouvoirs religieux etc. Nous travaillons également à renforcer les alliances et coalitions féministes et pacifistes pour que tout acte de violence soit puni, pour  influencer les institutions internationales de justice, et pour publier des résolutions fondées sur les expériences d’injustice quotidienne des femmes.

 

Propos recueillis par Salome, 50-50 Magazine

Crédit photo Zahra Agsous

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