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De New York à la Nouvelle-Aquitaine : l’émergence des « GIEC » territoriaux

En Nouvelle-Aquitaine, l’érosion du littoral est aggravée par le changement climatique. L’immeuble Le Signal, à Soulac-sur-Mer, était à 200 mètres de l’océan lors de sa construction en 1967 : il n’en est plus qu’à douze mètres aujourd’hui. Jean-Pierre Muller / AFP

En mars prochain, la ville de New York fêtera les 10 ans d’existence du New York City Panel on Climate Change, un panel de chercheurs de haut niveau réuni pour examiner les données scientifiques récentes sur le changement climatique et ses impacts potentiels sur la ville. Cet organisme synthétise la connaissance et formule des recommandations pour des politiques locales de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d’adaptation aux évolutions du climat les plus pertinentes possibles.

Sur la base notamment des informations fournies par ce panel, New York déploie un programme de renforcement de sa résilience au changement climatique, assorti d’un budget de 20 milliards de dollars. Ce programme comprend des investissements dans de nouvelles infrastructures, l’amélioration d’infrastructures existantes, mais aussi la définition de bonnes pratiques d’aménagement et de construction.

Pionnière, New York n’est toutefois pas la seule collectivité à expérimenter de nouvelles formes d’interactions entre scientifiques et décideurs sur le climat. Partout dans le monde des « GIEC locaux » – c’est-à-dire des groupes de scientifiques chargés d’évaluer l’état de la connaissance sur les changements climatiques – émergent pour faciliter l’appropriation territoriale des enjeux climatiques.

Adapter la réflexion aux spécificités du territoire

En France, le collectif AcclimaTerra (comité scientifique régional sur le changement climatique) a publié en juin dernier le rapport « Anticiper les changements climatiques en Nouvelle-Aquitaine. Pour agir dans les territoires ».

Ce groupe permanent de 21 experts scientifiques pluridisciplinaires et indépendants est mandaté par le Conseil régional depuis 2011 pour « apporter aux acteurs du territoire les connaissances nécessaires à leur stratégie d’adaptation au changement climatique ».

Sous la direction du climatologue Hervé Le Treut, le rapport décrit par domaine, à partir de la littérature scientifique existante, les leviers de l’adaptation territoriale en prenant en compte les spécificités de la nouvelle région : sa longue façade littorale, ses marais aménagés par l’homme, ses paysages de moyenne montagne et ses systèmes agricoles et viticoles.

Des recommandations sont formulées pour les différents types de milieux : urbains, milieux humides, forêts, montagnes et littoraux mais aussi pour les activités économiques associées, à savoir l’agriculture, la pêche et la conchyliculture et la gestion de la ressource en eau. Le rapport identifie, par exemple, trois grands modes d’adaptation à combiner pour adapter l’agriculture régionale à de futurs épisodes de sécheresse : « un choix d’espèces, de variétés, de races mieux adaptées et plus résilientes face aux nouvelles conditions climatiques, une irrigation raisonnée et une évolution de la répartition spatiale des cultures ».

Ces travaux sont très précieux à un moment où les territoires se heurtent à des questions aussi fondamentales et complexes que la définition de la neutralité carbone ou la compréhension de leurs options d’adaptation face à des changements qui n’affecteront pas de la même manière toutes les régions.

« Adapter le rapport de la science à la décision politique »

Le diagnostic global du GIEC, encore confirmé en 2018, de changements déjà en cours dont les impacts seront d’autant plus importants que nous continuerons à émettre des gaz à effet de serre, doit être complété et affiné à l’échelle locale en associant les acteurs politiques, économiques et les acteurs scientifiques du territoire.

Pour Pascale Bosbœuf, chercheuse au Laboratoire de l’action urbaine de l’École d’urbanisme de Paris, qui étudie directement ces organismes frontières, « cela fait 30 ans que les chercheurs nous alertent sur les changements économiques et sociaux nécessaires pour endiguer le changement climatique, il est probablement temps d’adapter aussi notre rapport de la science à la décision et notre façon de produire des connaissances ».

Le défi est de créer les bonnes dynamiques pour aller au-delà de rapports distants ou de présentations ponctuelles entre chercheurs et décideurs locaux.

Il s’agit d’une part d’établir un dialogue durable qui permette aux acteurs territoriaux d’avoir un canal pour partager leurs questionnements. Trop souvent, en effet, l’information nécessaire pour sortir d’une situation d’incertitude bloquante existe mais n’est pas portée à connaissance faute de relais pour formuler ensemble les besoins. Une politique de mobilité aurait par exemple tout intérêt à tenir compte des évolutions du risque d’inondation pour permettre aux investissements faits aujourd’hui de garantir un niveau de service robuste et résilient dans les décennies à venir.

Pourtant, peu habitués à intégrer ce type de questions, les acteurs du transport n’ont pas le réflexe d’aborder le sujet avec la communauté scientifique locale qui peut pourtant avoir des choses à dire sur la manière dont les changements globaux modifient les dynamiques des cours d’eau.

Il s’agit d’autre part pour la communauté scientifique de s’approprier les enjeux du territoire – notamment par un accès privilégié au terrain – et d’oser interpeller directement les acteurs en rappelant les questions critiques, en contexte. L’élévation du niveau de la mer par exemple constitue aujourd’hui une dynamique certaine et de mieux en mieux comprise. À l’image de ce qu’il se passe en Nouvelle-Aquitaine, cette compréhension peut nourrir les évolutions des modes de gestion et d’occupation du littoral.

Des figures politiques et scientifiques fortes

Partie en éclaireur, la démarche aquitaine commence à faire des petits, souvent sous l’impulsion de collectifs de chercheurs.

Au cours du colloque sur « L’adaptation des territoires aux changements climatiques » qui s’est tenu à Marseille en décembre dernier, une table ronde a réuni les représentants de trois autres de ces réseaux ou plates-formes, aujourd’hui à différents stades de structuration, en Occitanie (RECO, Réseau d’expertise sur le climat en Occitanie), en PACA (GREC-SUD, Groupe régional d’experts sur le climat en Région sud), en Auvergne-Rhône-Alpes (Ouranos-AuRA).

Si toutes ces initiatives n’ont pas la même forme ni la même organisation, certains facteurs clés de réussite se dégagent des premières expériences.

On peut notamment citer l’importance du portage politique : le groupe new-yorkais a été mis en place directement par Michaël Bloomberg, alors qu’il était maire de la ville ; en Aquitaine, le mandat vient directement du président du Conseil régional, Alain Rousset.

Par ailleurs, la présence d’un « champion scientifique » capable d’incarner la démarche peut lui donner une bonne impulsion : à New York, Cynthia Rosenzweig, de la NASA, joue ce rôle ; en Aquitaine, c’est le climatologue Hervé le Treut qui l’endosse. L’existence d’une communauté scientifique impliquée sur le territoire peut également jouer en la faveur de ces « mini-GIEC ».

Il est toutefois important d’ajuster la gouvernance et les modalités d’action aux contraintes et aux spécificités de chaque territoire en prenant appui sur les dynamiques – politiques, scientifiques mais aussi associatives – déjà présentes. De telles initiatives n’ont pas encore vu le jour dans toutes les régions et celles qui existent commencent tout juste à partager leurs expériences. Le défi aujourd’hui est donc d’encourager et de soutenir leur développement et de permettre à ces collectifs de se structurer dans la durée.


Cet article a été écrit sur la base d’un constat partagé auquel sont arrivés les représentants de collectivités, administrations, laboratoires et entreprises membres – scientifiques et acteurs locaux – du Club Villes Territoires Energie et Changement Climatique lors de leur rencontre de novembre 2018.

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