INTERVIEW« Ce n’est pas le fait de planter des arbres qui va sauver la planète »

Reforestation massive : « Ce n’est pas le fait de planter des arbres qui va sauver la planète »

INTERVIEW« 20 Minutes » a interrogé Frédéric Amiel, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales, sur l’impact des reforestations massives dans lequel se lancent de plus en plus de pays
Reforestation au Brésil
Reforestation au Brésil - SUPERSTOCK/SUPERSTOCK/SIPA / Sipa
Jean-Loup Delmas

Propos recueillis par Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Dans le monde, des pays se lancent dans d’immenses projets de reforestations, contenant plusieurs millions, voire milliards, d’arbres.
  • Censé combattre le réchauffement climatique, ces projets sont-ils réellement efficaces ?
  • 20 Minutes a interrogé Frédéric Amiel, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales sur l’impact des reforestations massives.

Edit : Dans une interview accordée à HugoDécrypte lundi 4 septembre, Emmanuel Macron a souhaité que chaque élève de sixième plante un arbre pour participer à la protection de l’environnement. Comme l’idée de planter des arbres n’est pas nouvelle, nous avons retrouvé dans nos archives cette interview de 2019 mais qui est toujours d’actualité. Bonne (re)lecture !

Qui sème les arbres récolte le CO2. Telle est la doctrine de nombreux pays, qui se sont lancés dans des reforestations massives afin de lutter contre le réchauffement climatique. L’Australie a prévu de planter un milliard d’arbres d’ici 2050, le Pakistan compte en planter dix fois plus. En 2017, l’Inde plantait 66 millions d’arbres en… 12 heures. Alors, la reforestation massive, cyprès pourtant si loin (vous l’avez ?) d’avoir des résultats ?

Dans une interview dans Science, le chercheur Thomas Crowther estimait que c’était la solution pour lutter contre le réchauffement climatique, indiquant qu’il y avait sur terre assez d’espace pour 1.200 milliards arbres supplémentaires. 20 Minutes a interrogé Frédéric Amiel, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales, spécialiste de la déforestation, qui tempère cet enthousiasme.

La reforestation massive est-elle la solution miracle pour lutter contre le réchauffement climatique ?

Il faut nuancer cela, toutes les forêts ne se valent pas et n’ont pas la même qualité. On ne peut pas comparer une forêt primaire, même une forêt naturelle, à une monoculture qu’on va replanter. Et surtout, il faut voir ce qu’on fait de ces « nouvelles » forêts au final. Vouloir reforester, c’est très bien. Mais si ce sont des forêts d’exploitation qu’on va couper dans 30 ans, et replanter des arbres derrière pour eux-mêmes les recouper, elles n’auront pas ce rôle de stockage de carbone, puisque celui-ci sera relâché dans l’atmosphère lors de la coupe.

Pour que les forêts puissent jouer leurs rôles de puits de carbone, il faut les laisser tranquilles pendant des centaines d’années. On pense même que le bilan carbone peut parfois être négatif pour une forêt : en effet, lors de leur pousse, les arbres prendraient également du carbone contenu dans le sol. Du coup, des forêts coupées trop régulièrement non seulement ne serviraient pas de stock de carbone, mais en rejetteraient car leur découpe libérerait ce CO2 puisé dans le sol. C’est pour cela qu’au-delà d’une reforestation massive, il faut surtout s’atteler à favoriser la reconstitution naturelle des forêts. Stopper la déforestation mais également leur laisser reprendre de l’espace. Reboiser c’est bien, mais il faut voir quelle politique on applique à long terme.

Et il faut aussi cesser de voir les forêts uniquement comme des puits de carbones. Elles ont plein d’autres avantages écologique, en termes de biodiversité, de fertilisation des sols, d’aide contre les inondations et les glissements de terrain… C’est pour ça que cela doit être réfléchi.

Si elles ont effectivement des défauts, certains avancent néanmoins que les forêts en monoculture permettent de prendre du bois là plutôt que dans les forêts naturelles ou primaires.

Oui, les forêts en monoculture peuvent avoir cette utilité. Vu que l’humain a besoin de bois, on peut effectivement planter des forêts de ce type pour ne pas toucher aux autres. Mais une fois encore, ça rejoint l’idée qu’il faut réfléchir au niveau du territoire. La gestion des forêts est complexe. Il ne s’agit pas de planter des arbres au pif en se disant qu’ils stockeront du carbone. Par exemple, la France est l’un des pays où les forêts regagnent naturellement du terrain, ce qui est une bonne chose, mais on ne sait pas vraiment quoi en faire. Il faut maintenant les gérer, savoir comment éviter les propagations d’incendie, quelles espèces y poussent, etc.

Pourquoi une reforestation bien gérée n’est-elle donc pas systématiquement mise en place par les gouvernements, si c’est si simple ?

Parce que justement, c’est loin d’être simple. Cela demande du temps, de l’argent et de l’espace, trois éléments difficiles à réunir. Sans parler de la réflexion que cela demande sur leur gestion à long terme. Et la réflexion sur l’occupation des territoires est aussi l’un des défis de demain. Si les humains ont tendance à se regrouper dans des villes, la place « libérée » est occupée par une agriculture de plus en plus importante. Dès lors, il faut réfléchir à la façon d’organiser les sols entre une agriculture importante et des forêts qui doivent reconquérir de l’espace.

Est-ce qu’il n’y a pas également un danger à ce que les pays, sous couvert de planter des millions ou des milliards d’arbres, se sentent dédouanés écologiquement et en profitent pour polluer plus à côté ?

Effectivement, c’est un risque. Tout le monde se pose la question des intentions. Car ne nous y trompons pas : ce n’est pas le fait de planter des arbres qui empêchera le réchauffement climatique. S’il s’agit de planter des arbres en plus pour vouloir « compenser » une production accrue de gaz à effet de serre, ça n’a pas grand intérêt. Il faut repenser notre modèle agricole et économique, et ne pas se dire : « Puisqu’on plante des arbres, on est sauvés. »


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