Le Centre pour l’environnement et le développement (CED), en partenariat avec le Réseau des chefs traditionnels d’Afrique pour la gestion durable de la biodiversité et des écosystèmes de forêts (ReCTrad) et World Resources Institute (WRI) ont organisé un atelier d'échanges et de réflexions avec les acteurs du secteur forestier de l’arrondissement de Messamena dans le département du Haut-Nyong, région de l’Est-Cameroun, le 26 juillet 2024. L’activité s’inscrivait dans la volonté d’améliorer la chaîne de légalité des produits forestiers ligneux et non-ligneux, afin de rendre la chaîne d’approvisionnement plus transparente. Les échanges se tenaient dans un contexte où Messamena qui est une zone abritant une riche biodiversité et une grande variété d'écosystèmes forestiers, est cependant confronté à des problèmes d'exploitation forestière illégale, dont les conséquences sont dévastatrices sur les ressources forestières, les produits forestiers non ligneux (PFNL) et la pharmacopée traditionnelle. « L’arrondissement de Messamena est un creuset d’une exploitation forestière abusive et les chefs sont parfois impuissants pour défendre les forêts qui sont les nôtres. En ce moment, nous avons à Messamena plusieurs sociétés forestières qui sont en train de piller nos forêts sans qu’on s’assure de la légalité de leurs activités », a confié Sa Majesté Emmanuel Mvom Abolo, chef traditionnel de deuxième degré du canton Bikélé-Sud.
Les impacts de l'exploitation forestière illégale sont nombreux. Il faut tout d'abord relever une déforestation massive et une dégradation des écosystèmes forestiers, qui conduit à une perte de biodiversité et à la fragmentation de l'habitat des espèces animales et végétales. « Il y a beaucoup d’indices et éléments qui montrent une décroissance du couvert de la végétation. Vous allez apercevoir beaucoup de souches qui jalonnent les routes. Il y a des zones dévastées et où on aperçoit des billes de bois », a relevé Achille Wankeu, chargé de projets au CED. Notre source révèle en outre l’existence de zones qui sont potentiellement des sites de blanchiment de bois, c’est-à-dire où le bois est coupé pour être ensuite acheminé dans des scieries, notamment des scieries vietnamiennes.
Un autre constat et non des moindres : « les Vietnamiens ont une forte implication dans cette exploitation illégale, parce qu’ils arrivent à la financer. En plus, c’est une exploitation aux engins lourds, où on se rend compte que le bois est coupé à l’aide de moyens qui nécessitent de gros capitaux que souvent les locaux n’ont pas. Ces exploitants asiatiques investissent dans l’exploitation qui leur permet d’avoir du bois à moindre coût », martèle M. Wankeu, représentant du CED, partenaire technique du projet. L’autre pendant de l’activité illégale menée sur le terrain est le prélèvement sélectif des essences dont les plus sollicitées sont le tali, l’ayous, l’iroko, le pachy, le kotibé, etc. Conséquence : ces essences surexploitées deviennent rares dans la zone d’exploitation.
L’exploitation forestière illégale : facteur de conflits fonciers et de déracinement culturel
La présentation des différentes facettes de l’exploitation forestière illégale a aussi permis de se rendre compte que le phénomène prive les communautés locales de la pharmacopée traditionnelle et des revenus issus de la vente légale des PFNL. L’impact économique est dès lors perceptible sur les populations déjà défavorisées. L'exploitation forestière illégale engendre également des remous sociaux, notamment des conflits fonciers et des tensions entre populations locales et exploitants illégaux. Le CED va plus loin en indiquant que la pratique pourrait entraîner une intensification de la pauvreté, car les revenus générés par l'exploitation illégale ne bénéficient généralement pas aux communautés locales, mais à des acteurs extérieurs. Mieux, l’on assiste à une inflation généralisée au niveau local, car les plantations qui fournissent la base de l'alimentation sont délaissées au profit d’activités illicites mais plus lucratives liées à l’exploitation du bois. Au fur et à mesure, il y a une acceptation sociale de l’exploitation forestière illicite. Par ailleurs, l'exploitation forestière illégale, de l’avis du ReCTrad, contribue au changement climatique, car la déforestation entraîne les émissions de grandes quantités de carbone stocké dans les arbres, ce qui contribue au réchauffement global de la planète.
Sur le plan culturel, Sa Majesté Bruno Mvondo, président du ReCTrad, dénonce mordicus la perte des traditions et des savants locaux, la perte de la pratique et de la transmission des connaissances traditionnelles, des cultures, entre autres. Sans oublier l’altération de la qualité de la vie (spirituelle, physique, sociale, économique, anthropologique, culturelle…). Ainsi que la déstabilisation de l’accès des communautés locales à des constituants naturels de vie traditionnelle, confie l’autorité traditionnelle. Les conséquences sur la santé globale, la vulnérabilité/insécurité alimentaire et les risques de malnutrition, la perte de revenus et d’opportunités économiques s’ajoutent au tableau noir des contraintes que fait peser l’exploitation forestière illégale sur les communautés.
Les caisses de l’Etat paient le lourd tribut car il n’y a pas une traçabilité des activités menées sur le terrain. « Généralement, on parle beaucoup plus de préjudice financier, mais le plus gros préjudice s’estime en termes de dégradation de la biodiversité. Et cela n’a pas de prix. Maintenant, sur le plan financier, il y a une grosse perte, parce que c’est le bois qui est coupé et qui ne passe pas forcément dans les caisses de l’Etat », précise Achille Wankeu du CED. Et de poursuivre : « A défaut de chiffres exacts, en termes de billes, on imagine à peu près cinq à dix camions qui chargent par jour et qui sont acheminées dans des zones comme Yaoundé et Douala en direction des scieries bien identifiées ». Il faut aussi relever que le poste forestier de Messamena n’a pas de matériel roulant et dispose juste d’un effectif de quatre personnes y compris le chef de poste, pour couvrir un territoire d’une superficie de 6700 km². Il va donc de soi que, sur 24 forêts communautaires présentes dans la zone, seules deux soient en activité en 2024.
Les chefs traditionnels sont-ils complices des exploitants forestiers illégaux ?
Le fait de cibler plus d’une vingtaine chefs traditionnels pour l’atelier de Messamena est stratégique. « Lorsqu’on a fait des recherches, on s’est rendu compte que l’autorité traditionnelle est l’un des maillons faibles de la protection des forêts, parce que c’est le moyen par lequel les exploitants passent parfois pour accéder à la forêt. L’autorité traditionnelle a une emprise sur la communauté. Une fois que les négociations sont faites avec les chefs, ça donne accès à la forêt. Parfois, les retombées de cette exploitation ne profitent pas à la communauté », relate M. Wankeu. Une autre justification de la sensibilisation des chefs réside au niveau du fait que très souvent, ils ne sont pas outillés pour la préservation des forêts et n’ont pas de connaissance en termes de valeurs de la forêt. L’enjeu est donc de les encourager à aider le gouvernement à protéger les forêts.
Seulement, la réalité sur le terrain jusqu’à présent révèlerait une complicité de certaines autorités traditionnelles dans l’exploitation illégale. « Certains chefs traditionnels sont complices et l’administration forestière est appelée comme sapeur-pompier lorsqu’on ne s’est pas accordé sur les termes du partage des bénéfices », explique le chef de poste forestier, Elvis Tadida. Quand bien même Sa Majesté Emmanuel Mvom Abolo reconnaît qu’il y a des chefs qui sont complices, il estime que « c’est une minorité ». C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a fondé beaucoup d’espoir en l’atelier de Messamena. « Nous sommes fiers de l’atelier organisé par le réseau des chefs, qui nous donne les moyens de défendre ces forêts qui sont la richesse qui nous reste. Quand elle est pillée, c’est le chef traditionnel qui est accusé en premier lieu. Nous disposons des capacités nécessaires pour mieux défendre nos forêts », défend l’autorité traditionnelle. A sa suite, Sa Majesté Mvondo est péremptoire. « Lorsque les produits forestiers sont en train de disparaître et font l’objet d’une exploitation abusive, illégale, le chef traditionnel n’aura plus la ressource nécessaire pour implémenter les rites et les rituels. Aujourd’hui, les chefs traditionnels sont heureux de recevoir une telle formation qui leur donnera les moyens, les outils pour mieux contrôler l’exploitation forestière et mieux assurer la conservation de la forêt et la gestion durable de la ressource, afin que la tradition soit davantage implémentée et qu’on avoir de quoi transmettre aux générations futures », soutient le président du ReCTrad. D’après l’adjoint d’arrondissement de Messamena, Agathe Ndinga, l’atelier est un projet salutaire, tant pour les populations que pour le chef traditionnel qui est en même temps auxiliaire de l’administration, et qui devrait répercuter au niveau local les recommandations, pour une meilleure gestion des ressources naturelles.
L’urgence de bâtir une économie forestière durable au niveau local
Les travaux de Messamena ont surtout mis l’accent sur la nécessité d’une meilleure prise en compte du rôle du chef traditionnel dans la lutte contre l’exploitation forestière illégale. Le chef de poste forestier, M. Tadida, s’est voulu regardant sur la nouvelle loi N°2024/008 du 24 juillet 2024 portant régime des forêts et de la faune promulguée par le président de la République, Paul Biya, le 24 juillet 2024, qui change de paradigme dans la gestion des ressources naturelles. Le nouveau texte met un point d’honneur sur la collaboration et la gestion participative. « La communauté est désormais associée dans la gestion des forêts. Avant, gérer la forêt sans les efforts des communautés locales a montré ses limites. Aujourd’hui, ce qu’on vise c’est gérer la forêt avec l’aide des communautés qui vivent dans la forêt, la connaissent mieux que quiconque et l’utilisent », indique le représentant de l’administration forestière. Et d’ajouter que le nouveau texte protège davantage les droits des communautés riveraines.
Les parties prenantes étaient davantage regardantes sur la manière de faire de l’exploitation forestière un instrument durable de développement local. Pour le directeur de l’initiative Open Timber Portal pour le Bassin du Congo à World Resources Institute Africa, Dr. Achille Djeagou Tchoffo, il est question d’arriver à avoir des emplois durables grâce à la forêt. La loi forestière c’est pour la durabilité non seulement de la forêt mais aussi des hommes qui y vivent et développement des activités pour assurer l’avenir de leurs enfants, estime celui qui représente le partenaire financier (les fonds alloués proviennent de l’Union européenne, ndlr). « Beaucoup de forêts sacrées sont en train d’être érigées en patrimoines mondiaux de l’Unesco lorsque vous avez réussi à démontrer que l’attachement à votre espace est unique. L’on pourrait les aménager de façon à attirer les touristes et générer des revenus. Il faut penser à toutes ces alternatives. Ce n’est pas seulement l’exploitation forestière qui va aider à aller de l’avant, mais aussi d’autres activités comme l’écotourisme si on arrive à documenter ces savoirs et à les valoriser », fait-il observer.
Duclair Mbouna, coordonnateur national de WRI-Cameroun, abonde dans le même sens quand il explique qu’« un pays ne peut pas baser son économie sur la matière première. Dans des zones forestières comme Messamena, on doit penser à former des menuisiers expérimentés, pour engager des plaidoyers auprès du conseil régional par exemple et voir dans quelle mesure les marchés publics peuvent être réalisés avec des meubles issus des ressources du Cameroun. Pour ce faire, il faut d’abord former les jeunes et disposer des menuiseries ». Autrement dit, il est possible d’être en phase avec la boussole de développement (SND-30) tout en générant des emplois durables au niveau local, à travers la création des clusters de menuiserie dédiés à une formation de qualité.
01/10/24 à 10h32 GMT