"Des études ont montré que les taxes environnementales peuvent permettre d'atteindre les objectifs environnementaux tout en augmentant les recettes des Etats. Les modélisations montrent qu'elles ont un effet moins négatif sur le PIB que d'autres types d'impôts, comme les impôts directs (l'impôt sur le revenu par exemple) ou les impôts indirects (TVA)".
A l'heure où le gouvernement français semble freiner sur la mise en place d'une fiscalité environnementale et a plutôt opté pour une augmentation de la TVA et de nouvelles tranches d'impôt sur le revenu, les conclusions de l'Agence européenne de l'environnement sont sans appel. L'AEE, qui a étudié le potentiel de réformes fiscales vertes dans quatre pays particulièrement touchés par la crise économique (l'Espagne (1) , l'Italie (2) , le Portugal (3) et l'Irlande (4) ), estime que "les taxes environnementales peuvent modifier les comportements, encourager les consommateurs à réorienter leur consommation vers des produits moins taxés. Ces incitations pourraient probablement créer des emplois faiblement et hautement qualifiés, dans les secteurs de l'efficacité énergétique et du recyclage notamment. Cette réforme de la taxation peut également stimuler l'innovation à long terme".
Le principe général de telles réformes : supprimer les subventions néfastes à l'environnement, basculer la fiscalité du travail et de l'investissement vers l'environnement, et ainsi abaisser le coût du travail et déplacer la charge fiscale sur la production et la consommation de biens et services nuisibles à l'environnement.
"Les gouvernements européens sont à la recherche de moyens efficaces pour créer de la croissance durable. La réforme fiscale écologique est une idée dont le temps est venu. Partout en Europe les gens sont clairement préoccupés par le fait que les solutions à la crise doivent être équitables, il est donc préférable de faire payer aux pollueurs les coûts qu'ils imposent actuellement au reste de la société", analyse Jacqueline McGlade, directrice de l'AEE.
Le Portugal : un leader des impôts verts devenu mauvais élève
L'exemple du Portugal est intéressant, car ce pays a longtemps été leader européen pour la fiscalité environnementale (elles représentaient 11,5% des recettes fiscales totales en 1995).
Mais il n'a pas su faire les ajustements nécessaires pour maintenir ce niveau élevé face à l'inflation. Résultat : "Au cours des 15 dernières années, le Portugal a connu l'une des plus fortes baisses des taxes liées à l'environnement, après l'Italie", regrette l'AEE. Leur taux était de 2,5% du PIB en 2010 (les impôts représentaient 31,5% du PIB) et de 7,9% du total des prélèvements.
Les taxes sur l'énergie, dont les taxes sur les carburants, représentent la plus grande part des impôts verts aujourd'hui (3,2 Md€), suivies par les taxes liées au transport (1,2 milliards €) et, dans une moindre mesure, les taxes sur les déchets et sur l'eau (48 M€). Un taux de TVA réduit est appliqué également pour les produits verts. Une taxe sur l'électricité pour les ménages et les entreprises a été instaurée en 2012. Les élus locaux ont également proposé la création d'une taxe touristique locale, de 1 à 3 euros par nuit, justifié par les pressions de ce secteur sur les infrastructures publiques (pointe électrique, routes, eau, déchets…) et sur l'occupation des sols (urbanisation des zones côtières, perte de valeurs du paysage et de la biodiversité). Quarante millions de touristes visitent chaque année le Portugal.
Pour faire face à la crise, le Portugal a décidé d'élargir l'assiette fiscale. En 2013, l'impôt sur le revenu devrait apporter 3 Mds supplémentaires, l'impôt sur les sociétés 200 M€, les impôts indirects 685 M€ et les cotisations sociales 270 M€. Pour l'AEE, "les revenus qui pourraient être générés à la suite d'une réforme fiscale écologique pourrait être utilisés pour remplacer une partie ou la totalité de ces augmentations d'impôts".
La rétablissement du niveau de 1995 des taxes liées à l'environnement permettrait de limiter les pressions sur l'environnement et les ressources tout en rendant le pays plus compétitif, ajoute l'AEE.
3 Md€ de recettes supplémentaires
L'AEE se base dans son analyse sur l'année 2010, les recettes fiscales vertes représentaient alors 4,3 Md€ (contre 54 Md€ de recettes totales, avec les cotisations sociales). L'agence estime que les revenus supplémentaires provenant des taxes liées à l'environnement pourraient être obtenus par des mesures introduites progressivement sur une période de quatre ans et pourraient rapporter 2,2 Md€ supplémentaires chaque année, auxquels s'ajouterait 0,2 Md€ de TVA supplémentaire. La suppression de dépenses néfastes à l'environnement générerait quant à elle une économie de 0,7 Md€.
Dans un premier temps, l'AEE préconise l'ajustement de taxes existantes, telles que la taxation des carburants et de véhicules. Pour les poids lourds, la mise en place d'une redevance et d'une taxe sur la pollution atmosphérique (SO2 et NOx) est préconisée. Cette dernière pourrait en effet apporter une contribution substantielle au budget, même introduite à un niveau bas. .
L'AEE estime qu'un alignement de la taxe sur l'électricité avec les niveaux introduits en Espagne et en Grèce, constituerait une source de revenu importante, même si une partie des recettes est redistribuée aux ménages via des chèques verts. Une augmentation des taxes sur le gaz offrirait également un potentiel important de revenus.
Si les gros industriels sont concernés par le marché de quotas carbone, une partie du tissu industriel portugais échappe à la taxation carbone. La mise en place d'un tel régime (avec une taxe à 15€) créerait des conditions de concurrence équitable tout en permettant au pays de respecter ses engagements sur le climat, note l'AEE.
Alors que 35% de l'électricité portugaise est produite par l'hydraulique, l'AEE préconise de s'inspirer de l'Espagne en mettant en place une redevance pour les plus anciennes installations qui produisent à faible coût (les coûts d'investissement ont été rentabilisés) et bénéficient du marché ETS.
Une taxation des combustibles fossiles pour pollution de l'air permettrait d'augmenter la compétitivité des énergies renouvelables et ainsi de réduire les besoins de subventions et de tarifs de rachat.
Enfin, une taxe sur l'extraction de ressources naturelles (les mines représentent à elles seule 735 M€ à l'export) permettrait d'allier durabilité économique et environnementale.